Les Chief Digital Officers essaiment : une grande entreprise sur trois a créé cette fonction. Vont-ils s’emparer du pouvoir numérique au détriment des DSI ? Le risque qu’un CDO s’incruste dans l’organisation pour y parvenir n’est pas nul, surtout avec certains CDO portés sur la mégalomanie. Quelles sont les stratégies qu’ils utilisent et comment réagir ?
On assiste à une montée en puissance des Chief Digital Officers dans les entreprises, accentuée par quatre tendances. La première est, évidemment, le contexte de transformation digitale. Selon Gartner, sur une échelle de 1 à 7, près de 60 % des entreprises estiment que les impacts de la transformation digitale seront égaux ou supérieurs à cinq. Moins d’une entreprise sur dix considère que l’impact sera négligeable, proportion similaire à celle des entreprises qui n’ont engagé aucune initiative dans ce domaine.
Deuxième tendance notable : le numérique est et va rester durablement sur l’agenda des directions générales, ces problématiques étant abordées de plus en plus souvent dans la presse économique, dont certains titres (par exemple le quotidien Les Echos) publient des classements des groupes les plus en pointe dans le numérique.
D’après Gartner, 47 % des directions générales avouent subir la pression de leur Comex pour accélérer leur transformation numérique. Troisième tendance, la transformation numérique a de plus en plus de liens avec la performance d’entreprise : selon le CEO Survey 2017 de Gartner, 56 % des dirigeants reconnaissent que leurs investissements dans le numérique ont déjà amélioré la profitabilité de leurs entreprises. « Nous estimons que le digital contribuera à une croissance de 2,1 % du PIB des entreprises européennes », soutient Vanessa Lyon, associée au Boston Consulting Group, dans le référentiel de la maturité digitale 2017, publié par l’EBG, IBM et le BCG.
Quatrième tendance qui explique cette montée en puissance des CDO : une vague de recrutement. La proportion d’entreprises qui disposent d’un Chief Digital Officer (35 % en 2017, selon Gartner), a doublé en trois ans. Et six sur dix ont été recruté depuis 2015. Avec des salaires plutôt confortables : jusqu’à 350 000 euros bruts annuels avec plus de quinze ans d’expérience, à comparer avec 200 000 euros pour un DSI du même calibre, d’après l’étude 2017 des rémunérations, publiée par le cabinet Robert Half. De fait, cette fonction est présentée sous un jour plutôt flatteur : « Ce poste est devenu indispensable dans la définition et la mise en œuvre de la stratégie globale des entreprises, de plus en plus de CDO sont d’ailleurs rattachés directement à la direction générale. Le CDO intervient comme un interlocuteur central et un catalyseur pour la direction générale, les métiers et les DSI », assurent les consultants de PageGroup dans leur étude des rémunérations 2017.
Le Chief Digital Officer constitue-t-il une menace pour les DSI ? On peut identifier quatre types de risques pour ces derniers :
- Un risque générationnel : les CDO en poste ont principalement deux caractéristiques, ils sont plus jeunes que les DSI et c’est une profession très féminisée, à 25 %, contre seulement 3 % en 2015. Ainsi, les CDO de grandes entreprises comme Axa, Orange, le CNES, La Poste, Accor, L’Oreal, la CNP, Pernod Ricard, la Française des Jeux, PSA, Citroën, Total, BNP Paribas Cardif ou Yves Rocher sont des femmes, généralement issues d’univers autres que l’IT. Qui a et aura le pouvoir digital dans l’entreprise, le CDO ou le DSI ? La question se pose… Pour ne citer qu’un exemple : dans un groupe comme Carrefour, au comité exécutif siège la directrice de la transformation digitale (Marie Cheval), mais pas le DSI… Le terme « système d’information » n’est pas cité une seule fois dans le rapport d’activités 2016 du distributeur, le mot « digital » l’est cinq fois…
- Un risque de conflits de compétences : d’après la Chief Digital Officer Study 2016 du cabinet PWC, le nombre de CDO ayant des compétences IT ne cesse de progresser, passant de 14 % en 2015 à 32 % en 2016. On constate ce phénomène dans les fiches de poste de CDO : selon une étude sur « les métiers de la digitalisation et de la robotisation », publiée par Adecco France, les compétences requises pour être Chief Digital Officer comprennent, entre autres, la veille sur les nouvelles technologies, la maîtrise du Big Data, du cloud et des technologies Web… Qui sont aussi celles que les DSI doivent avoir…
- Un risque de conflits de territoires : d’ores et déjà, les métiers investissent directement sans passer par la DSI. Les proportions varient, selon Gartner, entre 15 % des budgets IT dans le secteur de la santé à plus de 30 % dans la grande distribution, le secteur public ou les transports.
- Un risque organisationnel : du fait des interactions entre l’IT et le digital, l’irruption des CDO et le renforcement de leurs compétences va inévitablement, à un moment ou à un autre, imposer une redéfinition de l’organisation. Qui peut ne pas s’effectuer au profit des DSI…
Six raisons de rester optimiste
Il y a toutefois, pour les DSI, plusieurs raisons de demeurer optimiste face à la montée en puissance des Chief Digital Officers. Retenons-en six :
- Le poste de CDO est un CDD. Les Chief Digital Officers sont-ils amenés à rester en poste indéfiniment ? Non, et ils le reconnaissent eux-mêmes. D’après le baromètre de la maturité digitale publié par l’EBG, 45 % d’entre eux estiment que leur fonction est « temporaire pour transformer l’entreprise ». En 2016, à l’occasion de la publication du baromètre DXC Technology (ex-CSC) de la transformation, Emmanuelle Saudeau Turlotte, à l’époque responsable du programme de transformation digitale de la SNCF, avait résumé le positionnement des CDO : « Nous mesurerons notre succès à la vitesse de notre disparition. » On note déjà un turnover significatif parmi les CDO, qui a concerné des entreprises telles que la SNCF, BPCE, Renault, Accor ou PSA. Cette tendance devrait se poursuivre. L’instabilité de la fonction de CDO, par rapport à celle de DSI, constitue une première raison de relativiser la puissance des CDO…
- Le CDO n’est qu’un métier parmi d’autres. Si les années 2010 auront vu la percée du métier de CDO, sur une échelle de temps plus longue, rien ne dit que cette fonction va persister, notamment face à des fonctions qui pourraient se révéler tout aussi stratégiques. Les entreprises disposent déjà de Chief Happiness Officers, de Chief Design Officers, de Chief Experience Officers ou de Chief Brand Officers… Pourquoi ne pas imaginer que d’autres fonctions prennent autant d’importance que les CDO ? Par exemple : Chief Articifial Intelligence Officer, Chief IoT Officer, Chief Ecosystem Officer, Chief Start-up Officer ou Chief Robots Officer ?
- Le digital n’échappe pas à la loi de Murphy. Cette loi postule que « Tout ce qui est susceptible de mal tourner tournera nécessairement mal (« If it can go wrong, it twill ! »). » La transformation digitale n’est pas exempte de biais, au moins une quinzaine (Cf. Best Practices SI, n° 170, 11 avril 2016).
- L’effet de la loi de l’offre et de la demande. Le métier de CDO, plutôt séduisant quant à ses missions et à sa rémunération, va attirer de plus en plus de candidats. Comme, en parallèle, les entreprises sont très demandeuses de tels profils, on devrait constater ce qui se passe sur n’importe quel marché lorsque l’offre et la demande augmentent : la qualité diminuera à mesure que les entreprises vont, sous la pression, diminuer leurs exigences, afin de pourvoir les postes au plus vite. Ainsi, les entreprises vont être de plus en plus nombreuses à commettre trois erreurs de recrutement. La première est de recruter un CDO qui sera trop « lisse » dans l’organisation et qui n’osera pas bousculer l’existant, la culture, les bastions et autres pré-carrés qui foisonnent dans les entreprises, notamment dans les couches de management intermédiaire. La deuxième est de recruter un CDO paresseux, qui consacrera trop de temps et d’énergie à piloter des réunions au cours desquelles de bonnes idées seront émises, mais jamais mises en œuvre, ou à régler des problèmes diplomatiques entre les métiers, jaloux de leurs prérogatives et de leurs données, dont le partage pourrait pourtant créer de la valeur pour l’entreprise. La troisième erreur est de recruter un CDO trop aventurier, qui mènera l’entreprise à la catastrophe, par exemple en voulant croiser des données dans tous les sens « juste pour voir ce que ça donne ». Dans ces trois cas, il est fort probable que le DSI ne sera pas ou peu menacé, voire encore mieux considéré, s’il parvient à limiter les dégâts occasionnés par un CDO trop lisse, trop paresseux ou trop aventurier… ou les trois à la fois !
- Le digital restera une affaire de technologies. Même si les CDO se targuent de plus en plus de disposer de compétences technologiques, il peut arriver un moment où ils se feront dépasser. En effet, la mise en œuvre de plateformes d’IoT, de l’intelligence artificielle, de la robotique ou d’interfaces conversationnelles, demande de vraies compétences en gestion de projet, en développement, en compréhension des implications sur les architectures existantes, en intégration de données et en sécurité. On ne confondra donc pas le vernis technologique, dont peuvent être parés de nombreux CDO, et les fondamentaux technologiques que maîtrisent les DSI, surtout les plus anciens…
- Les DSI ont toujours su se transformer. Une dernière raison, pour les DSI, de rester optimiste réside dans le fait que cette fonction a su, historiquement, se transformer avec les évolutions technologiques, managériales et organisationnelles. Selon Gartner, 84 % des DSI de grandes entreprises ont déjà repensé leur rôle et 93 % sont prêts à changer, y compris pour endosser les habits de CDO.
Mais trois raisons de rester pessimiste…
On ne peut toutefois ignorer les facteurs qui nuancent ces raisons de rester optimiste. D’abord, les CDO, tout comme les DSI, vont s’organiser et ils sont motivés, surtout s’ils anticipent la fin de leur job… Il existe déjà des associations qui les représentent, par exemple le CDO Club, la CDO Alliance, ainsi que des événements qui leur sont dédiés, par exemple le CDO Summit ou le CDO Global Forum. De quoi les aider à progresser : n’a-t-on pas vu, en octobre 2017, le CDO de Sodexo, Denis Machuel, en devenir le DG ?
Ensuite, les CDO bénéficient d’un a priori favorable, largement véhiculé par les réseaux sociaux et les médias (il suffit d’y lire les titres flatteurs…) : adopter un CDO serait forcément une bonne idée, même si les contours de son poste restent imprécis et ses missions tout aussi floues… Ne serait-ce que pour imiter ses concurrents !
Enfin, se pose une question cruciale : qui influence les DG sur les problématiques numériques ? On pourrait penser que ce sont les DSI qui sont les mieux placés. Il n’en est rien : d’après Gartner, les équipes de la DSI ne sont citées que par 6 % des DG, parmi leurs deux sources d’information privilégiées, et le DSI, en tant que manager, par seulement 3 %.
Le reste ? Ce sont les analystes (43 %), les fournisseurs (36 %) et les moteurs de recherche (35 %) qui sont les plus influents. Avec tout ce que cela comporte en termes de discours biaisés des analystes (la plupart étant payés par les éditeurs et les intégrateurs), d’informations par définition orientées par les fournisseurs et de biais des moteurs de recherche pour privilégier les sources les plus lucratives plutôt que les plus pertinentes…
Les fournisseurs l’ont bien compris et se frottent déjà les mains : « La transformation numérique porte la croissance du secteur », souligne Syntec numérique, le syndicat professionnel du numérique qui regroupe des ESN et des éditeurs. Dans un tel contexte, on peut craindre que les DSI, qui n’améliorent pas leur pouvoir d’influence (et pas seulement leur pouvoir de contrôle), se trouvent marginalisés par encerclement des CDO et des fournisseurs.
On ne compte plus les CDO invités aux Etats-Unis, tous frais payés, par certains grands éditeurs américains, histoire de les convaincre de faire les bons choix. Ils ont vite compris que cette population est plus malléable que les DSI, pour la plupart beaucoup plus pragmatiques face à la profusion de présentations marketing, simplement parce qu’ils se sont tous fait bernés au moins une fois…
Les techniques d’incruste des CDO : mieux les comprendre pour mieux les déjouer
La probabilité qu’un CDO « s’incruste » dans l’organisation et fasse vraiment de l’ombre au DSI en place n’est donc pas nulle. Certes, il existe des entreprises dans lesquelles tout se passe bien. Mais pour d’autres, dont on ne connaît par la proportion, c’est plus délicat. Car il en va de la survie professionnelle du DSI qui, s’il ne fait rien, risque de se retrouver dans un placard.
Quelles sont les techniques que les CDO vont employer pour s’incruster dans l’organisation et faire de l’ombre aux DSI ?
La stratégie de l’accaparement
L’objectif du CDO est de s’attribuer les bonnes idées du DSI et de ses équipes. C’est un grand classique : un manager s’attribue les idées de ses subordonnés ou de ses collègues pour paraître plus intelligent et/ou créatif que les autres.
Comment réagir. En fonction de la personnalité du CDO, puisqu’il est amateur d’idées, le DSI pourra toujours lui en suggérer, mais qui seront irréalisables, très coûteuses, inutiles ou complètement farfelues. Voire des fake news. Avec un peu de chance, il sera, un jour ou l’autre, reproché au CDO d’être « à côté de la plaque ».
La stratégie du Gourou
Il s’agit, pour le CDO, de survaloriser son expertise, alors qu’il aura simplement lu quelques résumés de livres, parcouru des newsletters, assisté à des événements sur la transformation numérique et publié quelques posts sur LinkedIn. Souvent, cela suffit pour faire illusion. On trouve également cette approche chez certains consultants qui souhaitent se positionner en experts du digital. Il est d’ailleurs toujours surprenant de voir, parmi les profils LinkedIn, le nombre d’experts autoproclamés du digital…
Comment réagir. Face aux gourous autoproclamés, il convient de les entraîner sur un terrain où ils se sentiront beaucoup moins à l’aise, en l’occurrence la technique et l’opérationnel. En leur confiant la responsabilité de mener à bien des projets relativement complexes, dans lesquels le nombre de parties prenantes est significatif et le degré de technicité assez élevé.
La stratégie du mépris
Dans ce cas, la stratégie du CDO va consister à dénigrer la fonction de DSI, voire ceux qui l’occupent. En leur déniant toute légitimité dans le digital, ce qui est assez facile si le CDO a été nommé par la direction générale pour s’en occuper.
Comment réagir. Le DSI va devoir, lui aussi, affirmer sa légitimité dans le numérique, ce qui est assez facile s’il s’y prend bien et en finesse. A chaque critique du CDO, il faut tout noter et préparer des contre-arguments pour les métiers et la direction générale. Aucun interstice ne doit être laissé suffisamment ouvert pour que le CDO s’y engouffre sans trouver de résistance.
La stratégie de l’influence
Le CDO va s’efforcer d’apparaître dans un maximum de clubs professionnels et d’événements, surtout s’il en est l’un des speakers. Occuper le terrain va également lui permettre d’être cité dans les médias, les lecteurs feront plus facilement l’association entre l’entreprise et le nom du CDO pour expliciter la stratégie digitale. Et finir par occulter le DSI ! On le voit déjà lors de remises de Trophées dans ce domaine : les DSI ne sont jamais sur l’estrade, voire même pas invités à assister à l’événement… Et comme ces événements sont couverts par les médias, c’est une couche de notoriété supplémentaire pour le CDO…
Comment réagir. Là encore, il faut occuper le terrain, les occasions ne manquent pas. Certes, c’est très consommateur de temps, mais le DSI ne doit pas se laisser déborder, d’autant qu’il est très difficile d’argumenter sérieusement sur le fait qu’un DSI n’a aucune légitimité pour s’occuper du digital.
La stratégie de l’indifférence
Le CDO peut choisir d’ignorer complètement le DSI, comme s’il n’y avait aucun existant, aucun système Legacy et aucune initiative digitale pilotée par les équipes IT. Evidemment, ce n’est pas très malin, mais tout dépend de sa personnalité et de sa motivation.
Comment réagir. C’est la stratégie du jardinier qu’il convient de privilégier. Autrement dit, vis-à-vis des métiers et des utilisateurs, labourer le terrain avec des idées, des propositions, des projets. Il en poussera toujours quelque chose et le DSI, en principe, en récoltera les fruits.
La stratégie du siphonnage des ressources
Parce qu’il faut bien mettre en œuvre la transformation numérique, la tentation est grande de s’appuyer sur les ressources de la DSI pour mener à bien tous les projets. Cela peut être une bonne idée, mais si le DSI et le CDO sont en concurrence, les ressources IT doivent être consommées « avec modération », surtout si tous les dysfonctionnements, retards dans les délais ou dépassements de budgets sont attribués à la DSI…
Comment réagir. Si le principe de recourir aux ressources de la DSI plutôt qu’à des intégrateurs est privilégié, le mode de collaboration doit s’inscrire dans une approche de type « client-fournisseur », comme avec les métiers pour n’importe quel projet IT. Avec une refacturation systématique des projets et des livrables, même pour des projets du type « La DSI peut bien développer une petite appli Android pour tester le marché, ce n’est quand même pas si compliqué… ». Il n’est en effet pas question que le budget de la DSI soit siphonné injustement. Cela a le mérite de responsabiliser le CDO sur les coûts de ses initiatives… et de ses erreurs.
La stratégie du défaussement
Puisque, dans le domaine du numérique comme ailleurs, la loi de Murphy s’applique (Cf. Supra), il faudra bien désigner les responsables. Un CDO pourra toujours rejeter cette responsabilité sur les équipes de la DSI, si celles-ci n’ont pas été assez vigilantes.
Comment réagir. Tout doit être noté et tracé, notamment les actions/décisions/modifications dont on suppute qu’elles vont conduire un projet dans le mur. Les facteurs d’échec des projets sont suffisamment connus et documentés pour pouvoir anticiper les dysfonctionnements. Il faut donc éviter qu’un CDO, qui pointe la DSI comme responsable d’un échec, puisse avoir raison.
La stratégie du copinage
C’est un grand classique dans les entreprises : le copinage avec la direction générale et les membres du Comex peut rapporter gros et nombre de managers l’ont bien compris. Un CDO qui veut s’incruster va inévitablement privilégier cette stratégie, surtout si c’est la DG qui l’a nommé à son poste et qu’il reporte directement au plus haut niveau, à la différence de beaucoup de DSI.
Comment réagir. Le DSI a intérêt à se positionner comme un expert du digital et à le faire savoir. Cette stratégie d’influence a au moins le mérite d’introduire, dans l’esprit des membres du Comex et de la DG, le doute quant à l’unicité du porteur de la transformation numérique. Et à y associer autant que possible le DSI dont on pressent qu’il en connaît autant, sinon plus, que le CDO dans ce domaine.
La stratégie de l’ascenseur
Comme les CDO ont bien assimilé le fait que leur poste est temporaire, ils anticipent la suite de leur carrière. Pour l’instant, le marché du recrutement des CDO est suffisamment immature pour qu’ils puissent se recaser dans une autre entreprise. Y compris dans un secteur complètement différent : peu importe, car les cabinets de recrutement prêtent davantage attention aux noms des entreprises, à l’intitulé d’un poste (CDO sonne particulièrement bien…) et à la notoriété d’une grande école, qu’aux résultats opérationnels d’un CDO. Une autre forme d’évolution consiste à intégrer les équipes d’un fournisseur, si possible très grand, car en principe très riche. Autant préparer le terrain en leur ouvrant la porte le plus tôt possible… C’est pour cette raison que les CDO suggèrent de faire appel à tel éditeur de CRM, « dont la solution est beaucoup plus agile que la solution maison, développée par la DSI », ou à tel grand cabinet de conseil, « dont les compétences dans le digital ne sont plus à démontrer ! »
Comment réagir. Faire appel à d’autres fournisseurs peut évidemment s’avérer pertinent. Tout dépend de la méthode. Le DSI devra porter attention à la manière dont sont suggérés les changements de fournisseurs et si le CDO n’a pas été habilement « soudoyé », comme savent si bien le faire, tout en douceur, la plupart des grands éditeurs. Pour les plus douteux (ceux dont tout le monde sait qu’ils ne tiendront pas leurs promesses… sauf le CDO), il faut introduire le doute sur leurs capacités le plus en amont possible. Les autres doivent être particulièrement challengés, sur tout (prix, licences, profils des consultants, support, références clients…). Se trouver face à un « négociateur fou » est le meilleur moyen, pour les fournisseurs, de se montrer raisonnables et pragmatiques…
La stratégie du miroir
Comme dans Blanche-Neige avec son miroir, le CDO aura besoin de valider régulièrement qu’il est le mieux placé pour jouer le premier rôle sur la scène numérique. Il va donc s’incruster dans un maximum de réunions ou de comités de pilotage pour prendre la température, détecter des idées de projets auxquelles il va pouvoir s’associer (ou pire, se les approprier) et, plus généralement, valider le fait que son « aura digitale » reste intacte.
Comment réagir. Le CDO devra être challengé sur la valeur qu’il peut apporter. Lors des réunions, il convient de lui demander systématiquement son avis et de tout noter, parce qu’à un moment ou à un autre… il changera d’avis ! Les compte-rendus détaillés seront toujours très utiles pour montrer un certain manque de consistance dans le discours…
La stratégie de l’écran de fumée
Le CDO va se focaliser sur quelques idées clés, qu’il va diffuser le plus largement possible. Il se concentrera, par exemple, sur « la nécessité de raisonner par rapport à l’écosystème », de « développer absolument l’intelligence artificielle » ou de « repenser l’expérience client ». C’est le principe de la communication politique et des « éléments de langage », basés sur quelques idées qui tournent en boucle parce qu’elles sont faciles à retenir et paraissent peu contestables (qui irait réfuter le fait qu’améliorer l’expérience client est une bonne stratégie ?)
Comment réagir. Le CDO devra être poussé en dehors de sa zone de confort conceptuelle, en l’entraînant sur un terrain qu’il ne maîtrise pas. On peut identifier ses points faibles (par exemple, le principe de fonctionnement de la Blockchain, les technologies les plus pertinentes pour créer une place de marché de fournisseurs ou les fondements théoriques d’Hadoop dans le cadre des nouveaux services basés sur l’intelligence artificielle…) et lui demander son avis argumenté. Au pire, il ne saura pas répondre ; au mieux, s’il se documente, il aura progressé dans la connaissance de son métier…
La stratégie de la prise d’otages
Pour asseoir son pouvoir, le CDO peut être tenté de se positionner comme l’interlocuteur unique afin d’obliger les métiers, dans la mise en place de leurs stratégies digitales, à passer par lui. Et convaincre la direction générale qu’il s’agit d’une excellente idée qui participe à l’alignement entre la stratégie d’entreprise, la transformation numérique et l’organisation.
Comment réagir. Comme pour n’importe quel projet, il convient de systématiser les business cases argumentés, chiffrés, avec un ROI clair et des indicateurs clés de performance pertinents. Il faut aussi prévenir le risque que trop de fournisseurs ne s’engouffrent dans l’entreprise, sans réelle cohésion, d’où l’intérêt d’un renforcement de la collaboration avec la direction des achats.
La stratégie de la terre brûlée
Cette stratégie consiste à « ubériser » la DSI en introduisant une forte dose de start-up dans l’entreprise. Comme beaucoup de médicaments, elles sont bien sûr utiles, par exemple pour soigner un déficit d’innovation et d’agilité. Mais, à forte dose, elles peuvent provoquer des effets secondaires : temps excessif pour le sourcing, risque de défaillance financière, immaturité des technologies, difficulté d’intégration dans le système d’information existant…
Comment réagir. Le foisonnement de start-up, à qui on fait appel dès qu’un métier a une idée qu’il considère comme géniale et disruptive, impose d’anticiper les difficultés potentielles, avec une vigilance sur la sélection des start-up et l’intégration de leurs solutions dans le SI. Il est prudent d’associer les directions juridique et des achats pour valider les choix.
La stratégie du baiser de la mort
Le CDO qui veut s’incruster peut avoir intérêt à nouer des relations étroites avec la DSI. C’est vertueux si l’objectif est de collaborer en bonne intelligence, ça l’est moins si le CDO a des arrières pensées, en l’occurrence affaiblir la DSI pour s’emparer de tout ou partie de ses responsabilités.
Comment réagir. En fonction de la personnalité du/de la CDO, on perçoit assez rapidement quelles sont ses intentions. Cela permet de fixer les bonnes limites de responsabilités, de marquer les territoires hiérarchiques et fonctionnels… et de rester prudent quant à la divulgation d’informations au CDO, selon le principe que « tout ce que dira le DSI pourra être retenu contre lui ! »
Les stratégies des CDO pour s’incruster… et comment s’en débarrasser | |||
Stratégie | Objectif du CDO | La phrase-type du CDO | Comment réagir ? |
La stratégie de l’accaparement | Siphonner les (très) (bonnes) idées du DSI | « J’ai déjà eu cette idée il y a deux mois » | Lui communiquer des idées impossibles à réaliser, voire des fake news crédibles pour le discréditer et lui faire perdre du temps |
La stratégie du Gourou | Survaloriser son expertise | « Avez-vous lu le dernier livre de Gilles Babinet ? Moi oui… » | L’entraîner sur le terrain technique et opérationnel, il sera beaucoup moins à l’aise |
La stratégie du mépris | Dénigrer la fonction de DSI et sa légitimité dans le digital | « A la DSI, ils ne comprennent rien au numérique, tant ils baignent dans le Cobol… » | Tout noter et contre-argumenter systématiquement |
La stratégie de l’influence | Apparaître dans un maximum de médias/événements | « Il faut que je prépare mon speech sur l’IA et l’expérience client » | Faire pareil, sur les mêmes thèmes |
La stratégie de l’indifférence | Ignorer la DSI | « La DSI, c’est l’ancien monde avec de vieilles technos… » | Occuper le terrain auprès des métiers |
La stratégie du siphonnage des ressources | Faire travailler les équipes de la DSI pour la mise en œuvre des projets digitaux | « Il me faudrait une équipe projet complète pendant deux moi » | Refacturer systématiquement… et cher |
La stratégie du défaussement | Rejeter la responsabilité des échecs sur la DSI | « Ma stratégie est la bonne, la DSI a échoué dans son exécution » | Tracer toutes les actions/décisions/modifications sur un projet |
La stratégie du copinage | Fréquenter au maximum la DG et les membres du Comex | « J’en parlais l’autre jour avec le DG… » | Se positionner comme un expert du digital |
La stratégie de l’ascenseur | Faire travailler ses amis consultants ou éditeurs (pour pouvoir s’y recaser plus tard) | « Nous avons vraiment besoin d’un CRM en mode cloud… » | Introduire le doute sur les compétences des fournisseurs, analyser leurs pratiques commerciales (voyages…) |
La stratégie du miroir | Assister à un maximum de réunions pour valider son aura dans le digital | « Mon rôle est de détecter toutes les opportunités digitales » | Établir des compte-rendus détaillés, challenger sa valeur ajoutée |
La stratégie de l’écran de fumée | Se focaliser sur 2-3 idées clés, répétées en boucle (expérience client, IA, écosystème…) | « Nous ne pourrons jamais nous différencier sans intelligence artificielle » | Le pousser à s’aventurer sur un terrain qu’il ne maîtrise pas, lui demander son avis argumenté sur des concepts émergents |
La stratégie de la prise d’otages | Obliger les métiers à passer par le CDO | « Tous les métiers sont concernés par le digital, je dois donc être systématiquement consulté » | Encercler le CDO en systématisant les business cases et en s’alliant avec la direction achats |
La stratégie de la terre brûlée | Ubériser la DSI avec des start-up | « L’innovation ne viendra que des start-up, pas de la DSI, trop peu agile » | Multiplier les parties prenantes dans le processus de choix des start-up |
La stratégie du baiser de la mort | Lier des liens de fausse connivence avec le DSI | « Nous sommes faits pour nous entendre et collaborer » | Fixer des limites de responsabilités, de territoires hiérarchiques et fonctionnels… et rester prudent |
Source : Digitalonomics. |