Lorsqu’un DSI reporte à un DAF, dans la plupart des cas, tout se passe bien. Mais il peut arriver que les relations ne soient pas idylliques. Surtout si le DAF a tendance à s’incruster à la DSI, en utilisant une ou plusieurs des dix principales stratégies que l’on peut identifier. Comment gérer la situation ?
Les DSI reportent de moins en moins aux DAF et de plus en plus aux directions générales, si l’on en croit les résultats d’une étude Harvey Nash-KPMG : la proportion de DSI reportant aux DAF était de 12 %, au niveau mondial, en 2016, contre près de 20 % en 2013. Cela ne signifie pas pour autant que l’influence des DAF s’étiole. Car si ces derniers apparaissent moins hiérarchiquement en prise directe avec les DSI, ils conservent leur rôle de direction métier comme les autres. Et ils ont de plus en plus l’intention de se mêler des questions de systèmes d’information. Selon le baromètre 2018 des DAF, publié fin 2017 par SVP, Jacquillat & Detroyat Associés et ABV Group, la transformation digitale mobilise 47 % des DAF des grandes entreprises, 63 % se sentent très concernés par la baisse des coûts et, parmi les trois ensembles de compétences clés dont devront disposer les DAF, celles liées aux systèmes d’information sont citées par un DAF sur trois.
Une étude de PWC, sur les priorités 2017 des directeurs financiers, conclut que 60 % veulent faire évoluer leurs systèmes d’information, contre 40 % en 2016, notamment pour perfectionner et renforcer le contrôle interne et partager l’information avec leurs équipes. Ils sont même 83 % à considérer que, à l’horizon 2020, leur patrimoine applicatif sera géré dans le cloud.
Plus globalement, la fonction finance passe du DAF 1.0 au DAF 3.0 (voir tableau ci-dessous). Ils vont, logiquement, s’intéresser de plus en plus à la technologie, comme le révèle une étude du cabinet de recrutement Robert Half.
Du DAF 1.0 au DAF 3.0 : de la finance à la performance | |||
DAF 1.0 | DAF 2.0 | DAF 3.0 | |
Principale mission | Optimiser la fonction finance | Optimiser les processus métiers | Créer de la valeur au-delà des activités comptables et financières, collaborer avec l’écosystème de l’entreprise |
Titre | DAF (Directeur administratif et financier) | CFO (Chief Financial Officer) | CPO (Chief Performance Officer) |
Son métier est en… | Transition | Evolution | Mutation |
Périmètre | La direction financière | L’entreprise ouverte | L’entreprise numérique, l’écosystème |
Principaux outils | Les tableurs, les ERP, les outils de reporting… |
Les outils de management de la performance, les outils décisionnels, les solutions de dématérialisation… | Les réseaux sociaux, les outils collaboratifs, l’analyse prédictive, les solutions de dématérialisation… |
Statut | Une fonction support | Un partenaire des métiers | Un créateur de valeur |
Niveau de décision | Plutôt tactique => Le DAF parle aux financiers et à la DG | Plutôt opérationnel => Le DAF parle aux métiers | Plutôt stratégique => Le DAF parle à l’écosystème |
Principaux domaines de compétences | Expertise technique, comptable règlementation/finance/juridique | Business models, organisation, économie, risk management, relation client | Economie/modèles d’affaires numériques, innovation, leadership, communication, négociation, communication, marketing de la DAF, connaissance de la chaîne de valeur |
Source : Digitalonomics. |
On observe donc un mouvement qui va inexorablement rapprocher les DAF des DSI, que ces derniers le veuillent ou non. Pour ceux qui seraient réticents, il va falloir mettre en œuvre des stratégies pour se débarrasser d’un DAF qui s’incruste. Car il sera tenté de le faire, soit parce qu’il prend très à cœur la technologie et ses usages, soit parce qu’il n’a que ça à faire (ce qui est quand même peu probable), soit parce que sa personnalité le prédispose à un certain autoritarisme, soit encore parce qu’il estime que c’est sa responsabilité de manager de haut niveau d’influencer tous ceux qui sont dans son giron.
On peut identifier dix grands types de stratégies qu’un DAF va employer. Et qu’il faut se préparer à contrer.
La stratégie du disque rayé
Elle consiste, à répéter régulièrement un même message, par exemple : « La DSI coûte trop cher ». Soit le DAF a raison et un plan d’action peut être envisagé, soit il a tort et il faut dénicher les bons arguments. On peut aussi entendre : « Je ne veux pas entendre parler du cloud ». Pour la DSI, il peut en résulter un possible découragement et un enfermement, pas toujours conscient, dans une posture de « centre de coûts », dont il est quelquefois difficile de s’échapper.
Trois idées pour s’en sortir :
- Questionner pour savoir ce que « trop cher » signifie et par rapport à quoi ?
- Mettre en avant les gains métiers qui sont, en principe, bien supérieurs au coût comptable du système d’information.
- Se comparer aux autres métiers ou fonctions transverses : la DRH coûte-t-elle aussi trop cher ? Et la direction de la communication ? On peut, bien sûr, s’interroger également sur le coût de la direction financière.
La stratégie de l’expert
Le DAF va se positionner sur son terrain favori : le contrôle de gestion. Il aura ainsi tendance à y ramener toutes les considérations stratégiques et technologiques car c’est, pour lui, une zone de confort, sauf pour les DAF qui ont une sensibilité numérique, mais ce n’est pas la majorité des cas.
Trois idées pour s’en sortir :
- Monter en compétences sur le contrôle de gestion, par exemple en étoffant les équipes IT avec un ou plusieurs postes dédiés à cette fonction.
- S’approprier le vocabulaire du contrôle de gestion. Quelques mots clés feront l’affaire pour commencer.
- Valoriser cette expertise pour identifier les bonnes idées, s’il y en a.
La stratégie Columbo
Lorsque le DAF n’a pas confiance dans le DSI, il peut se créer des conflits, souvent pour des motifs futiles. Face à un DSI irréprochable et qui bénéficie d’une bonne image dans l’organisation, la stratégie va consister à identifier « le petit détail » permettant d’entamer le capital confiance dont il bénéficie dans l’entreprise et auprès des utilisateurs.
Trois idées pour s’en sortir :
- Ne laisser aucune zone d’ombre dans la gestion du SI, même si ce n’est pas facile !
- Anticiper le comportement du DAF pour identifier les points sur lesquels il va se focaliser.
- Préparer des contre-arguments.
La stratégie de l’aspirateur
Dans ce cas, le DAF, plutôt dans une posture d’opportuniste, va s’approprier tout ce que fait et pense le DSI, sans lui en attribuer la paternité. Le risque, pour le DSI, est d’accroître le décalage entre ce qu’il est vraiment, en tant que manager performant, et ce que perçoivent les métiers, les fournisseurs, les équipes IT, les utilisateurs… Avec la transformation digitale, ce risque va s’accentuer.
Trois idées pour s’en sortir :
- Renforcer les relations avec les métiers pour accroître l’influence du DSI.
- Communiquer pour prendre le DAF de vitesse.
- Trouver des idées suffisamment originales pour que l’on n’imagine pas que le DAF ait pu les avoir tout seul.
La stratégie Sun Tzu
C’est le principe du « diviser pour mieux régner », expliqué par le général chinois dans son ouvrage sur « L’art de la guerre », afin d’avoir le dessus sur un adversaire. Dans ce cas, le DAF apparaît comme excessivement manipulateur. Il va ainsi tenter de susciter des jalousies et des compétitions (grâce à l’arme budgétaire) entre les métiers. Pour le DSI, c’est une consommation inutile d’énergie, voire de ressources pour ne pas se laisser déborder.
Trois idées pour s’en sortir :
- Former des alliances informelles avec les métiers, qui sont probablement dans la même situation.
- Mettre en place des circuits d’information pour détecter le plus en amont possible les risques.
- Maintenir la cohésion dans les équipes de la DSI.
La stratégie du dictateur
Dans cette configuration, le DAF va vouloir tout contrôler et enlever toute autonomie au DSI. Celui-ci devra tout justifier et pas seulement sur le plan budgétaire. Dans les cas les plus graves, on peut avoir affaire à des pervers narcissiques, qui prennent plaisir à l’humiliation d’autrui et éprouvent un sentiment de domination. Il tend à culpabiliser sa victime et reporte toutes les erreurs sur lui. Pour le DSI, comme pour les collaborateurs du DAF, c’est relativement éprouvant sur les plans professionnel et personnel.
Trois idées pour s’en sortir :
- Déjouer les éventuels mensonges dont les conséquences retombent sur les DSI.
- Tout noter (les demandes, les réponses, les commentaires, les comptes-rendus de réunion…).
- Développer son réseau pour identifier les opportunités de poste dans une autre entreprise.
La stratégie du benchmarkeur compulsif
Par principe, le DAF a intégré le fait que tout doit se mesurer et se comparer. Il est un peu paranoïaque, redoutant de dépenser plus, ou moins bien, que les concurrents. Le DSI va donc devoir se justifier en permanence. Cela peut être utile, mais il existe une dose admissible qu’il ne faut pas dépasser, car cela consomme énormément de ressources et de temps, notamment pour négocier avec les fournisseurs et gagner quelques points de remise. En outre, une telle approche tend à sacrifier la qualité, par exemple pour les prestations intellectuelles, au profit du prix de journée qui doit être le plus bas possible.
Trois idées pour s’en sortir :
- En profiter pour demander au DAF un budget supplémentaire pour vous abonner aux services de cabinets qui proposent des études de benchmarking. Communiquez auprès de la direction des achats pour atténuer l’épidémie de vouloir tout comparer.
- Rester vigilant sur les bases de comparaison : le benchmarkeur compulsif a tendance à comparer tout et n’importe quoi.
- Réaliser régulièrement des enquêtes de satisfaction auprès des utilisateurs : l’argument de la qualité de service peut souvent s’opposer aux simples considérations budgétaires ou aux ratios trop agrégés.
La stratégie de l’impatient
Dans ce cas, le DAF est plutôt de nature inquiète alors que, parallèlement, il doit satisfaire des objectifs ambitieux, de la direction générale le plus souvent. Il va donc sans cesse poser des questions au DSI et trouvera que tout ne va pas assez vite. Et lorsqu’il s’agira d’arbitrer sur les projets à lancer, il aura tendance à privilégier les siens…
Trois idées pour s’en sortir :
- Identifier les centres d’intérêts du DAF.
- Nourrir le DAF de façon proactive avec des idées.
- Fixer des limites, par exemple afin d’éviter un appel téléphonique à minuit pour demander si, finalement, le cloud, c’est une bonne idée…
La stratégie de l’indifférence
On retrouve ce cas de figure lorsque le DAF n’a rien demandé mais se retrouve avec le DSI dans son périmètre. Il peut donc rester relativement indifférent. S’il laisse l’autonomie au DSI, c’est plutôt une bonne nouvelle, mais il peut être tenté de se rassurer en faisant appel à un trop grand nombre de consultants. Qui viendront challenger le DSI. Si c’est pour la bonne cause, tant mieux, mais il peut y avoir des dérives… avec des consultants qui, eux-mêmes, voudraient s’incruster dans la DSI avec l’aval du DAF.
Trois idées pour s’en sortir :
- Identifier le ou les sujets qui pourraient susciter l’intérêt du DAF.
- S’impliquer dans le choix des consultants.
- Si la situation ne semble pas satisfaisante, militer pour un rattachement à la direction générale.
La stratégie du gourou
A la différence du DAF expert qui peut n’avoir aucun charisme, le DAF, dans ce contexte, dispose d’une aura, justifiée ou non, en interne et/ou externe. Le DAF peut ainsi préempter la plupart des sujets, notamment ceux liés à la transformation digitale. Même si c’est pour la façade, cela contribuera à redorer son image de « DAF 4.0 ». Pour le DSI cela conduit à une altération de son image (« le numérique contre l’informatique »), à une orientation trop financière du management du système d’information. Si, en plus, un Chief Digital Officer agit aussi dans l’organisation, le positionnement du DSI se trouve bousculé.
Trois idées pour s’en sortir :
- Bien définir les responsabilités et les domaines de compétences respectifs.
- Occuper le terrain : le DSI est focalisé sur les technologies, le DAF ne pourra pas suivre, car il lui faut aussi s’occuper de la fonction finance.
- Accentuer votre communication interne et externe.
Les priorités des DAF : davantage la technologie à l’horizon 2020 | |
En 2017 | En 2020 |
1. Être en conformité avec la réglementation | 1. Suivre les avancées technologiques |
2. Suivre les avancées technologiques | 2. Être en conformité avec la réglementation |
3. Gérer et rendre les Big Data utilisables | 3. Satisfaire aux normes comptables et en matière de reporting financier |
4. Satisfaire aux normes comptables et en matière de reporting financier | 4. Gérer et rendre les Big Data utilisables |
Source : La finance d’entreprise en 2020, Robert Half. |
Reporter au DAF : est-ce une mauvaise idée ?
C’est l’une des idées reçues concernant les DSI : il serait préférable de dépendre de la direction générale plutôt que de reporter au DAF. Mais, nous apprend une étude Harvey Nash-KPMG, il n’y a guère de différence. Ainsi, l’étude conclut que :
- Les priorités données aux DSI sont similaires, que ceux-ci dépendent du DAF ou des DG : accroître l’efficience, améliorer les processus métier et garantir la disponibilité du système d’information.
- Les évolutions de budgets sont comparables : ce n’est pas parce qu’un DSI reporte au DAF que son budget sera plus contraint.
- Les DSI sont tout aussi heureux.
Il existe toutefois quelques variantes : lorsqu’un DSI dépend du directeur général, la focalisation est davantage sur les projets que sur la réduction des coûts et sur l’externalisation.Dans le CIO survey publié en 2017, les DSI qui reportent aux DAF ont montré la plus forte progression de satisfaction (douze points de plus en trois ans) : 38 % sont satisfaits. C’est certes moins que les DSI qui reportent aux directions générales (42 %, une proportion stable en trois ans), mais la différence n’est pas très significative.
Source : Harvey Nash – KPMG.
Six catégories de DAF
«Un DAF trop strict peut nuire à l’entreprise », assurent les auteurs d’une étude menée par Redshift Research pour le compte d’Epicor auprès de 1 500 DAF au niveau mondial. Cette étude propose une typologie en six catégories : le politique (27 %), le révolutionnaire (19 %), le bienveillant (19 %), le chef d’orchestre (16 %), le conservateur (9 %) et le visionnaire (9 %).
- Le politique, profil le plus répandu, est un dirigeant prudent avec une approche méthodique et consensuelle. Il aime consulter ses collaborateurs sur les décisions importantes et préfère repousser une décision plutôt que de prendre le risque de commettre une erreur. Il est plus susceptible de favoriser les investissements technologiques pour améliorer la collaboration au sein de l’entreprise.
- Le révolutionnaire ne craint pas d’altérer la culture et les structures d’entreprise si le besoin s’en fait sentir. Il aime se fixer des objectifs difficiles à atteindre et ambitieux. Il est aussi plus critique que ses pairs vis-à-vis des SI utilisés par les services financiers de l’entreprise.
- Le bienveillant préfère reporter une décision plutôt que se tromper. Il s’inquiète plus que la moyenne du manque d’informations pertinentes sur la performance financière de lignes de produits particulières.
- Le chef d’orchestre aime fixer des objectifs difficiles et ambitieux, aussi bien à son équipe qu’à lui-même. Plutôt satisfaits des SI, les DAF chefs d’orchestre sont plus nombreux que leurs pairs à les juger faciles à utiliser.
- Le conservateur, rigide et strict, préfère les systèmes existants et ne se laisse pas influencer par les réputations et les personnalités au moment de prendre ses décisions. C’est le profil le moins enclin à reconnaître la nécessité de changer les infrastructures IT.
- Le visionnaire travaille hors des systèmes formels et prend volontiers ses décisions en s’appuyant sur son expérience et son intuition. Les DAF visionnaires reconnaissent la nécessité de changer les SI de leur entreprise dans un avenir proche.
Source : Epicor.