Compétences : une bombe à retardement pour les DRH… et les DSI

Face aux tensions sur le marché du travail, comment adapter les compétences ? C’est à la fois de la responsabilité des DSI, mais aussi des DRH. La pénurie de compétences est devenue une contrainte pour tous les DSI.

Selon le CIO Survey de KPMG et Harvey Nash (lire aussi page 5 dans ce numéro), les deux-tiers des DSI, au niveau mondial, assurent que le manque de compétences les handicape pour s’adapter au changement, un niveau que l’on n’avait pas connu depuis dix ans ! Selon Gartner, les profils hybrides vont devenir beaucoup plus nombreux dans les DSI, au détriment des généralistes ou des experts. Actuellement, les deux-tiers des profils au sein des DSI concernent des profils experts et généralistes.

Mais, dans trois ans, leur part diminuera (de 68 % à 61 %) au profit de profils hybrides, multidisciplinaires et orientés métiers, dont la proportion passera de 17 % à 30 %. Pour favoriser cette hybridation, plusieurs approches sont possibles : créer des équipes multidisciplinaires, recruter à l’extérieur de l’entreprise, favoriser la mobilité interne dans la DSI et avec les métiers, pratiquer le mentoring ou créer des centres d’excellence.

Réduire aussi la dette RH

Sans oublier de gérer la dette RH qui, à l’image de la dette technique, handicape la transformation. Et plus le temps d’adaptation des compétences est important, plus les « intérêts » à payer sont élevés… D’autant que la masse salariale pèse en moyenne pour 40 % des budgets des DSI et que dans les plus grandes entreprises, les pyramides des âges sont relativement déséquilibrées, imposant une transformation drastique.

Comment, dès lors, éviter que ne se crée une dette RH qui, si elle n’est pas gérée, se transformera en une véritable faillite de compétences ? Il convient d’anticiper les besoins de l’entreprise et les impacts des changements sur les métiers et les compétences.

Concrètement, la démarche comporte quatre étapes. La première consiste à élaborer une roadmap de la transformation, avec les budgets associés, à un horizon de trois à cinq ans. Seconde étape : à chaque métier/compétence est associée une charge à produire. La troisième phase correspond à l’évaluation des surcapacités ou des sous-capacités de compétences à moyen et long terme. Enfin, la quatrième étape porte sur les différentes stratégies de sourcing à mettre en œuvre pour acquérir les compétences adaptées, en fonction de l’organisation cible.

Trois challenges pour les DSI

Dans ce domaine, les entreprises et les DSI, qui sont en première ligne, ont à faire face à trois challenges. D’abord, le rythme du renouvellement des compétences, beaucoup plus rapide dans des contextes de transformation digitale que par le passé. Ensuite, on observe une prolifération des nouveaux métiers, tels que les Product Owners, les Scrum Masters, les coachs agiles, les Data Analysts ou les UX designers. Ces fonctions deviennent incontournables dans la plupart des entreprises et s’intègrent dans des équipes pluridisciplinaires.

Outre les nouveaux métiers, d’autres, plus anciens, souffrent de tension sur le marché du travail, par exemple les ingénieurs logiciels, les experts en agilité ou en gestion de données. La capacité de formation des écoles d’ingénieurs reste inférieure aux besoins des entreprises, de l’ordre de 20 000 personnes chaque année.

Enfin, au-delà des aspects purement quantitatifs, les compétences relationnelles (soft skills) deviennent aussi importantes que les compétences techniques, ce qui complexifie le processus d’ajustement entre les talents et les besoins. Ces soft skills regroupent, entre autres, selon une étude de 360Learning (1), la capacité à mener une veille régulière sur son métier ou son secteur, le sourcing d’initiatives ou d’acteurs innovants dans son écosystème, la connaissance client, la gestion de l’échec et son corollaire, la capacité à prendre des risques, le renforcement de l’autonomie, ainsi que la réactivité et l’adaptation à un environnement instable.

Une analyse, publiée par la Harvard Business Review (2), a identifié les caractéristiques communes des managers les plus innovants. Il y en a cinq : savoir manager les risques, cultiver la curiosité, adopter un leadership courageux, basé sur la confiance et l’autorité, avoir la capacité à saisir les opportunités et se focaliser sur une vision stratégique business.

Parmi ces cinq caractéristiques mises en exergue, développer le sens de la curiosité est le plus difficile à atteindre. Les autres peuvent s’apprendre, l’aptitude à la curiosité est hélas dramatiquement absente chez la plupart des managers et des DSI. C’est dommage, car elle détermine la capacité à saisir les opportunités, à manager les risques et à conforter la pertinence de la vision stratégique.

Trois chantiers communs pour les DSI et les DRH

On s’en doute, ces challenges ne peuvent être menés à bien que si s’instaure, très en amont, une étroite collaboration entre les DSI et les DRH. Cette coopération s’articule autour de trois missions communes. D’abord, la capacité à se projeter, en s’appuyant sur les référentiels existants, les emplois et les compétences ; il s’agit de définir et d’affiner régulièrement les écarts entre les compétences existantes et souhaitées, par exemple avec des entretiens ou des processus d’autoévaluation, auxquels les DRH sont rôdées.

Ensuite, les DSI et les DRH définissent ensemble les impacts à venir, ainsi que les priorités en matière d’accompagnement des collaborateurs concernés, sans oublier la consultation et l’information des instances représentatives du personnel, en tenant compte des contraintes du droit du travail. Elles agissent comme les pilotes de la mobilité.

Enfin, DSI et DRH ont besoin de communiquer vers la direction générale et le Comex. Pas uniquement pour dégager les budgets nécessaires à la transformation des compétences, mais pour expliquer, ou réexpliquer, les enjeux, la démarche privilégiée et obtenir un soutien indispensable au plus haut niveau.

Car l’un des effets de la transformation des compétences réside dans la remise en cause des missions des managers intermédiaires. Ceux-ci se positionnent moins dans un cadre hiérarchique et davantage avec une attitude d’accompagnement de la transformation des compétences, disposant d’une vision globale, plus proche de la notion de centre de compétences.


(1) Digital culture at scale, les bonnes pratiques pour déployer une culture digitale, 360Learning.
(2) « The 5 skills that innovative leaders have in common », Harvard Business Review.

Proportion de DSI qui estiment que le manque de compétences ralentit leur capacité d’adaptation

218 Tendance
  • LinkedIn
  • Twitter
  • Facebook
  • Gmail

Source : KPMG, Harvey Nash, VIO survey 2018.


L’analytique pour revaloriser la fonction RH ?

Pour les DRH qui ont, pendant longtemps, évolué dans un univers qu’elles pensaient aisément maîtrisable, un changement fondamental est intervenu : l’irruption de la donnée au cœur de la gestion des ressources humaines. Selon le Baromètre des DRH 2018 (1), publié par ABV Group, Willis Towers Watson et RH&M, les cinq priorités des DRH français pour 2018 vont nécessiter une exploitation intelligente des données.

Ainsi, ils privilégient l’accompagnement de la transformation de l’entreprise (85 % des DRH), l’engagement des salariés (82 %), la modernisation et la digitalisation de la fonction RH (42 %), l’optimisation des coûts (40 %) et l’amélioration de la politique de rémunération (23 %). Mais il reste du chemin à faire : une étude de l’EBG (Electronic Business Group), publiée fin 2017 (2), a révélé qu’un DRH français sur deux n’est « pas vraiment » ou « pas du tout » satisfait des outils numériques utilisés pour élaborer les indicateurs, deux sur trois affirment qu’il n’est pas possible, dans leur organisation, d’intégrer des données émanant de leur SI existant pour piloter les indicateurs qu’ils voudraient mettre en place. Pire : un DRH sur trois utilise encore la transmission de fichiers ou les consolidations manuelles pour faire remonter les informations du terrain vers la DRH groupe.

Le champ des possibles apparaît plutôt vaste, notamment grâce à un recours plus intensif à l’analytique (exploitation des données au-delà du reporting ou du décisionnel), associé à une approche de type Core RH. Rappelons que le Core RH se présente comme un Data Lake (« lac de données ») qui regroupe les données communes à tous les collaborateurs d’une entreprise. Autrement dit, il s’agit d’une base de données intelligente où l’on trouve les informations sur les recrutements, les profils de postes, les évaluations des collaborateurs, les rémunérations, les actions de formation…

Le Core RH constitue le socle à partir duquel se déclinent les initiatives analytiques. Un domaine que les DRH ne peuvent plus ignorer. L’usage des technologies par les DRH suit généralement trois phases : d’abord la dématérialisation, qui répond à un besoin d’automatisation. Ensuite, l’équipement en SIRH, qui répond à un besoin de pilotage et, enfin, l’analytique, qui répond à un besoin de performance. Si les DRH sont relativement matures vis-à-vis des deux premières étapes, surtout dans les grandes entreprises, l’analytique reste encore le parent pauvre : les trois-quarts des DRH français suivent moins de dix indicateurs pour piloter leurs activités, selon l’étude EBG. Parallèlement, d’après le cabinet Markess (3), ils expriment (à 71 %) de forts besoins pour analyser les données RH, avec des tableaux de bord et des solutions analytiques.

Les DRH auraient d’ailleurs tort de se priver, car toutes leurs missions se prêtent à une meilleure valorisation des données. On peut ainsi identifier au moins dix domaines à privilégier, qui sont autant de terrains d’expérimentations prometteuses des technologies analytiques :

  1. La mesure de la performance RH : les DRH disposent déjà d’outils technologiques pour mesurer la performance de la fonction RH. Mais elles peuvent aller beaucoup plus loin avec les technologies analytiques : d’abord, en couvrant un périmètre plus vaste que les traditionnels indicateurs présents dans les tableaux de bord. Ensuite, en allant plus en profondeur dans l’analyse, notamment en intégrant des données non structurées qui participent à la performance (par exemple l’analyse des sentiments sur les réseaux sociaux internes ou externes…).
  2. La GPEC et l’analyse des besoins de formation aux emplois numériques de demain : plus l’analyse gagne en finesse, meilleure est la justesse de la gestion prévisionnelle. Avec une approche analytique, on ne raisonne plus seulement en grande masse, mais de façon personnalisée…
  3. La gestion des talents : au-delà de la GPEC, l’enjeu majeur, dans un monde de pénurie de compétences, est de réussir à attirer et fidéliser les talents. On peut ainsi, par exemple, diminuer fortement le turn-over avec l’analyse prédictive.
  4. La valorisation du SIRH : ces systèmes d’information ont accumulé, avec le temps, de nombreuses données, qu’il est a priori difficile d’exploiter. C’était probablement vrai au début de l’engouement pour les SIRH, ça l’est beaucoup moins aujourd’hui : les données existent, pourquoi ne pas les valoriser intelligemment, y compris pour les partager avec les autres métiers de l’entreprise ?
  5. L’évaluation et la mesure de l’engagement des collaborateurs : les analyses régulières du cabinet américain Gallup (4) montrent qu’environ 85 % des collaborateurs des entreprises sont « désengagés », ce qui impacte la productivité, l’image de marque, l’ambiance de travail et la performance économique d’une organisation. Les technologies analytiques aident à détecter des signaux faibles, bien utiles pour anticiper une aggravation de la situation…
  6. Les attributs de la marque employeur : le discours Corporate sur les valeurs d’une entreprise, ses missions et ses actions sociales, en faveur du développement durable ou de l’égalité-hommes-femmes, doit s’ancrer dans la réalité. Avec des indicateurs pertinents, car la force d’une marque employeur attire les talents, selon le principe que « ce qui se fait à l’intérieur se voit à l’extérieur »…
  7. La mobilité et le management intergénérationnel : les technologies analytiques peuvent optimiser le processus de mobilité, très complexe à gérer manuellement ou avec des outils basiques. C’est aussi un des atouts du Core RH.
  8. La qualité de vie au travail : avec l’analyse des données non structurées, par exemple « l’analyse des sentiments » ou des approches dérivées du Net Promoter Score utilisées dans le marketing, les indicateurs sur la qualité de la vie au travail deviennent plus pertinents et participent à la prévention de pathologies, telles que le burn-out ou le harcèlement.
  9. La DRH comme partenaire des métiers : si la DRH se transforme en fournisseur de données pour les métiers, et ne fonctionne plus seulement comme une boîte noire dédiée au recrutement et à la gestion administrative des collaborateurs, elle devient, de fait, un partenaire business des métiers. Ceux-ci sont évidemment demandeurs, car ils disposent d’une autonomie dans la gestion de leurs ressources humaines. C’est là aussi un atout du Core RH.
  10. La revalorisation de la fonction RH : elle est indispensable, car les collaborateurs en ont encore une vision déformée. La radioscopie des DRH, publiée par Cegos (5), révèle que les salariés voient ceux-ci davantage comme des gestionnaires de processus que des managers de proximité, les DRH pensant exactement l’inverse…

(1) Baromètre des DRH 2018, ABV Group, Willis Towers Watson, Groupe RH&M.
(2) Pratiques de pilotage RH 2017, Qlik, EBG, CGI.
(3) Tendances clés du marché des solutions digitales RH, Markess 2017, salon Solutions RH.
(4) State of global workplace, Gallup, 2017. www.gallup.com
(5) Radioscopie de la fonction RH, Cegos, 2016.