La dernière édition de l’ouvrage collectif Sociétal décrypte les enjeux économiques et sociaux de l’économie française. Dont ceux liés à l’innovation et aux modes de management des entreprises.
La fin du progrès technique ?
Certains économistes interprètent le ralentissement de la productivité comme le signe d’une érosion des effets du progrès technique. Dans la dernière édition de l’ouvrage Sociétal, publié par l’Institut de l’Entreprise, ce point est abordé par Robin Rivaton, consultant en stratégie, qui rappelle que le prix Nobel d’économie 2006, Edmund Phelps, défend l’idée que la crise de l’innovation serait à l’origine du déclin économique des pays occidentaux. « Quant aux innovations issues de l’invention que représente Internet, elles seraient circonscrites à un unique secteur, incapables d’irriguer l’ensemble de l’économie », commente l’auteur. C’est vrai que la productivité augmente moins que par le passé. Est-ce le signe d’un amoindrissement des investissements des entreprises, en particulier en R&D ? A priori non, car ils sont globalement stables.
Quant à l’investissement productif, si la crise de 2008 a entraîné un reflux, son niveau est encore supérieur à celui de la fin des années 1990. « L’invention qu’a représenté Internet a fini par être épuisée sous forme d’innovation, le progrès technique est donc dans une phase de stagnation », pense l’auteur qui assure : « Pire encore, sur le plan social, il semble qu’il serve plutôt à la défense des rentes qu’à la création d’une véritable économie de l’innovation. » L’auteur reste toutefois optimiste, il estime en effet que « la technologie est en train d’être mise au service de l’amélioration des mécanismes d’apprentissage et de la diffusion des savoirs. Ce mouvement assurera une hausse de la qualité de main d’œuvre et donc du facteur travail. »
Sociétal 2014, sous la direction de Jean-Marc Daniel et Frédéric Monlouis-Félicité, Institut de l’Entreprise, Eyrolles, 2014, 359 pages.
Comment innover dans les services ?
Pour Xavier Quérat-Hément, directeur de la qualité au groupe La Poste, les services souffrent d’un déficit d’innovation alors que les opportunités sont innombrables. Les services représentaient, en 2010, 80 % du PIB, contre 69 % en 1990. Pourtant, l’essentiel des dépenses en R&D se concentrent dans l’industrie, à 80 % environ. L’innovation dans les services regroupe quatre grandes catégories : l’innovation par l’amélioration d’un processus, par le business model, par le mode d’administration du service et l’innovation par la « promesse client » (par exemple Autolib ou Acadomia), qui joue sur la facilité d’usage et la simplification. « Notre pays attache encore et toujours plus d’importance aux révolutions industrielles », déplore Xavier Quérat-Hément, pour qui la fenêtre d’opportunité reste courte, environ dix ans : « Les grands pays émergents se positionneront bientôt sur ces marchés afin d’appuyer davantage leur croissance sur la consommation intérieure. Il faudra que les entreprises redoublent d’ingéniosité et de dynamisme, car la compétition sera rude. » L’un des points clés de différenciation concerne le design des services.
Quand les managers ne managent plus
Il paraît que les managers ne décident plus et seraient incapables de prendre des initiatives. C’est du moins ce que pensent de nombreuses directions générales. Faut-il en chercher la cause dans des facteurs culturels ou personnels ? Pas sûr… « Et si c’était plutôt le système d’action qui les enserre, le vrai responsable de cette situation ? » questionnent Jean-Luc Placet et Alain Reynaud, dirigeants du cabinet de conseil IDRH. Les managers de terrain ne demandent pas mieux que de décider : « Mais rien, autour d’eux ne les y autorise. Vu de leur fenêtre, décider, c’est trop souvent prendre un risque en aveugle, sans espoir d’une quelconque reconnaissance ou rétribution, bien au contraire. »
D’autant que chaque décision produit des exclus… Dans les entreprises, rappellent les auteurs, les environnements sont d’une grande complexité, peu lisibles, avec des règles du jeu peu explicites. Il y a des racines historiques à cette situation : « Les systèmes d’action de nos grandes organisations ont longtemps été influencés par la culture égalitaire, qui garantit une application uniforme des décisions. La gestion est collective et l’équité, la règle fondamentale. La marge de manœuvre de l’individu, du manager, est potentiellement nulle. » Et la sélection des élites s’est faite sur leur capacité à piloter ces systèmes, le rôle des managers n’est pas de décider, mais de « veiller à la bonne exécution de plans élaborés par d’autres. »
Comment, dès lors, reconstruire un système vertueux ? Pour les auteurs, un tel système a trois caractéristiques. Il doit d’abord être simple pour rendre lisibles les circuits de décision et garantir la cohérence entre informations accessibles et marges de manœuvre. Il doit ensuite se défier du « mythe du manager-héros » pour favoriser la dimension collective dans les décisions : « Le manager intermédiaire a pour pire ennemi l’isolement : seul, il se trompe ou se dérobe. » C’est enfin un système qui est attentif au « management des managers » : « Que le manager soit challengé et soutenu est fondamental. » Cela évitera, comme le rappelle Olivier Bas, vice-président d’Havas Worldwide Paris, que « 65 % des managers passent plus d’un tiers de leur temps à effectuer des tâches de reporting, une forme de néo-taylorisme qui suscite un stress permanent, ennemi de la performance. » Résultat : « Un manager ne consacre pas plus de 10 % de son temps à faire du management face à ses collaborateurs, soit environ 20 minutes par personne et par semaine. » Selon Olivier Bas, « recréer du lien, c’est remettre les émotions au cœur des modèles de management. »