Conduite du changement : les cinq facteurs d’échec

La conduite de changement prend de plus en plus d’importance dans les projets en raison des impacts organisationnels et humains. Dans de nombreux cas, les actions menées dans ce domaine n’atteignent pas les résultats escomptés. Quelles en sont les raisons majeures et peut-on mieux faire  ?

Les organisations doivent faire preuve d’anticipation, d’innovation, de réactivité et de flexibilité dans des délais de plus en plus courts. Pour y parvenir, elles engagent des transformations sur tous les fronts, structurels et technologiques, dans un environnement concurrentiel de plus en plus complexe. Les DSI sont évidemment en première ligne, avec des projets porteurs de changements importants, qui doivent être opérés rapidement.

La complexité des projets SI : une constante

Les projets SI sont parmi les plus difficiles à mettre en œuvre, compte tenu de leurs impacts sur tous les métiers de l’entreprise et du nombre d’acteurs à convaincre. Ils sont aussi beaucoup plus complexes qu’ils n’y paraissent. Selon leur nature, l’utilisateur doit s’approprier de nouveaux réflexes, de nouveaux usages, de nouvelles compétences et de nouvelles pratiques « métiers ». Dans le cas de projets structurants, métiers et transverses, ils transforment les processus, les relations hiérarchiques et entre collègues, le mode de fonctionnement d’un groupe, voire une organisation tout entière et quelquefois les cultures. Autant de facteurs déstabilisants pour des acteurs qui doivent à la fois assurer le quotidien et répondre aux sollicitations pendant les « travaux de construction », sans pour autant avoir cerné le bien-fondé des projets.

La nécessaire maîtrise des risques liés au facteur humain

Il y a ceux qui décident le changement, ceux qui le pilotent et ceux qui doivent le mettre en œuvre. Parmi ces derniers, il y a ceux qui y adhérent, ceux qui le subissent et ceux qui s’y opposent. Quelle que soit la posture, le concours de tous est nécessaire. On peut le regretter, mais le changement ne se décrète plus.

À l’annonce d’un projet qui implique une réorganisation ou un changement de conditions de travail, les acteurs concernés vont adopter des stratégies différenciées pour cerner ce qu’ils ont à perdre et à gagner. Leur niveau d’information et de compréhension du projet revêt une importance capitale, car les comportements qui en découlent peuvent le modifier, en freiner voire bloquer la mise en œuvre. Il est également essentiel de diagnostiquer très en amont la nature et l’importance des changements par catégorie d’acteurs, les résistances et les capacités d’adaptation individuelle et collective pour définir la stratégie la plus adaptée, permettant aux acteurs d’adhérer et de s’approprier les changements attendus.

Ignorer cette dimension, c’est exposer le projet à des risques et le compromettre. Les anticiper et les maîtriser est précisément le domaine de l’accompagnement du changement, dont l’objectif est d’enclencher rapidement les dynamiques individuelles et collectives pour faciliter le déploiement opérationnel et de pérenniser les changements.

Quand les projets piétinent faute d’accompagnement

Plus de 50 % des projets, quelles que soient leur nature et leur importance, n’atteignent pas aujourd’hui leurs objectifs en termes de délais et de budget impartis (Cf. Best Practices SI, n° 106, 2 avril 2013). Ce constat s’explique essentiellement par l’insuffisante prise en compte de la dimension humaine et la façon dont ce volet est géré. On peut dès lors identifier cinq facteurs de blocages.

Un cahier des charges incomplet : et les pratiques métiers ?

Centré majoritairement sur les spécifications techniques et fonctionnelles, le cahier des charges sous-estime l’existant, les pratiques métiers des utilisateurs, leur manière de diriger ou d’être managés, d’interagir en interne ou en externe et les prérequis en termes de compétences. Il en est souvent de même pour l’environnement du projet : ses impacts sur les processus environnants, au-delà des interfaces techniques, sur l’organisation et les cultures en vigueur. En l’absence de ces données et dans l’incapacité de cerner précisément ce qu’il va s’agir de modifier ou de faire évoluer, les attentes exprimées en matière de conduite de changement se limitent à de la formation et à de la communication informative sur le projet.

Un déficit de communication

Le degré d’information et de compréhension des parties prenantes du changement est surestimé. La communication, trop souvent limitée à l’annonce du lancement du projet et à son état d’avancement, ne donne pas la juste visibilité, créant durant certaines phases un « effet tunnel », préjudiciable au projet. C’est au moment où il faut mobiliser le gros des troupes sur des projets importants que les chefs de projet le réalisent. Une tâche difficile qui nécessite le concours de toute l’équipe projet et des bénéficiaires du projet.

Un faible portage du projet

Pour les grands projets transverses et métiers, le niveau de portage et la ligne managériale ne sont pas suffisamment pris en considération dans la gouvernance du projet et dans la composition des instances. Le projet n’est pas relayé, les changements non légitimés et non pilotés sur le terrain. Les instances ne sont pas suffisamment différenciées au niveau des membres et les instances de décision restent encore trop largement constituées de profils techniques.

Méthodologies de gestion de projet : inadaptées aux enjeux du changement

Sur le plan de la mise en œuvre du projet, le volet « conduite de changement », de manière générale, peine à trouver sa juste place dans les méthodologies de gestion de projet, à l’exception de l’approche sociologique. La dimension humaine n’est pas au cœur du projet. L’équipe projet pense qu’être techniquement au point suffit. Le développeur considère pour sa part que cela ne fait pas partie de ses prérogatives : il est là pour réaliser les développements et régler les problèmes techniques, quoi qu’il arrive. De son côté, le fonctionnel, à qui cette mission est souvent confiée, est d’abord l’avocat de la solution applicative auprès des métiers avant d’être celui de tous les acteurs concernés par le changement. Lorsqu’une ressource est affectée à une mission précise, son rôle relève plus de l’exécution que de l’analyse. Elle intervient souvent en mode réactif et dans l’urgence au lieu d’être proactive.

Une expertise perçue avant tout comme un coût supplémentaire

L’équipe projet voit la conduite de changement d’abord comme un coût supplémentaire, une perte de temps et non comme un levier optimisant le coût global du projet. Une stratégie d’accompagnement adaptée facilite le déploiement opérationnel, limite les retards de planning, allège les coûts de formation grâce à une découverte progressive, consolide l’appropriation et pérennise les changements. Si l’on mettait en exergue les coûts additionnels liés à l’insuffisante prise en compte de la dimension humaine, cette perception serait certainement modifiée.

Les prérequis et les domaines d’optimisation

La conduite de changement doit intervenir en premier lieu au niveau de l’équipe projet dont tous les membres doivent appréhender les mécanismes et acquérir une culture dans ce domaine. L’idéal est que ce volet soit pris en charge par une personne qui y sera exclusivement affectée et dont le profil de type ne peut être junior ou technique, compte tenu des connaissances et des compétences à mobiliser (organisation, ressources humaines, communication) et de l’expérience requise.

Cet expert doit par ailleurs savoir comment fonctionne une entreprise, être capable d’appréhender rapidement les enjeux et les processus métiers. Il doit également comprendre les logiques professionnelles et, enfin, disposer d’une culture solide en SI pour travailler avec l’équipe projet.

Son rôle doit être clairement défini et sa méthodologie partagée pour que chaque membre de l’équipe apporte son indispensable contribution. En conclusion, ce qui fait la différence entre un projet et un autre, autrement dit entre celui qui a de fortes chances de réussir et celui qui est très probablement voué à l’échec, c’est la capacité qu’ont les organisations à identifier les changements, à les expliciter et à mettre en œuvre les moyens nécessaires pour que les dynamiques s’enclenchent. C’est pour cette raison que l’on doit considérer la conduite du changement comme un chantier à part entière des projets, avec la méthodologie adaptée aux enjeux et les ressources associées. •

Cet article a été écrit par Evelyne Leroy, consultante en organisation et accompagnement du changement auprès de DSI. Elle a été DSI adjointe du Conseil général des Hauts-de-Seine.


Les dix bonnes pratiques

  1. Tenir compte de l’existant qui a fait ses preuves à un moment donné.
  2. Parfaire le diagnostic qui dimensionne les changements par typologie d’acteurs, identifie les résistances et les leviers, évalue la capacité d’adaptation individuelle et collective aux changements.
  3. Construire une stratégie progressive qui intègre le jeu des acteurs, le temps nécessaire au changement et qui le pérennise au-delà du déploiement.
  4. Mettre en œuvre une communication accessible à tous qui permet de donner du sens, des repères, de mobiliser et de booster le projet quand il le faut.
  5. S’appuyer sur la chaîne managériale et utiliser toutes les courroies de transmission du changement.
  6. Valoriser les bénéfices du projet, ses acteurs et ce qui est réalisé au cours du projet.
  7. Bien prendre en compte l’importance de la dimension métier et les changements de logique de navigation dans la formation.
  8. Travailler en étroite coopération avec les ressources humaines et la communication de l’organisation.
  9. Éviter de confier la responsabilité de la gestion du changement à des profils juniors et/ou techniques.
  10. Accepter de voir les réalités telles qu’elles sont et pas forcément comme on souhaiterait qu’elles soient.