Connaître et reconnaître les pièges des éditeurs d’ERP

Best Practices a réuni, lors d’un dîner, une dizaine de DSI qui ont partagé leurs expériences, bonnes ou mauvaises, dans l’implémentation d’un ERP et dans les relations avec les éditeurs.

Les ERP sont probablement l’un des domaines qui suscitent le plus de débats parmi la communauté des DSI. Plusieurs raisons participent à cette situation : la complexité des solutions, la taille des projets qui entraîne statistiquement plus de dérapages dans l’implémentation et de frustrations chez les utilisateurs, sans oublier, bien sûr, les stratégies pas toujours très claires des éditeurs et leurs approches commerciales relativement agressives, en particulier pour les pratiques d’audits de conformité.

Le dîner organisé par Best Practices, mi-septembre, sur « les pièges des éditeurs d’ERP », avait pour objectif de clarifier plusieurs points de friction entre les éditeurs et leurs clients, le plus souvent de grandes entreprises. Plusieurs thèmes ont été abordés par les dix participants :

1. Les clauses contractuelles.

Le contrat qui lie un éditeur à un client constitue le pivot qui va déterminer la qualité de la relation. « Relire régulièrement son contrat restera toujours une bonne idée », assure un participant. Pour un autre, il est important de faire de l’archéologie documentaire, de manière à retrouver tout ce qui a été écrit (et promis par les commerciaux…), « même si les éditeurs nous accusent de couper les cheveux en quatre », témoigne un participant.

2. Les techniques de négociation.

Sur ce terrain, c’est souvent le rapport de force qui est le plus efficace. « Beaucoup d’entreprises font appel à un avocat en mode pompier, mais c’est souvent trop tard », prévient un participant. Plusieurs conseils ont été prodigués : jouer le temps, se faire accompagner très en amont par des avocats ou signer en fin d’année fiscale. « Avec Oracle, il vaut mieux négocier en mai », suggère un DSI. Avec SAP, il faut privilégier plutôt la fin de l’année, d’autant que le nouveau DG France de l’éditeur l’a bien précisé, dans une interview au site Silicon : « Le quatrième trimestre reste le trimestre à ne pas rater dans l’année fiscale de la filiale. » Autant en profiter lorsque les commerciaux ont besoin de chiffre d’affaires rapidement.

3. Les métriques et les prix.

Souvent, les contrats renvoient à des sites Web sur lesquels figurent les prix… susceptibles d’augmenter au bon vouloir de l’éditeur. « La notion de liste de prix en vigueur est à supprimer », conseille un DSI, de même qu’il convient de se référer à des versions spécifiques et non pas à des références produits.

4. Les intégrateurs.

Plusieurs participants ont connu des échecs avec de grands intégrateurs. L’une des raisons provient du déficit de compétences. « Les grands intégrateurs sont des généralistes et manquent de compétences pointues », déplore un DSI. Le rôle de l’écosystème est fondamental et sa qualité essentielle : c’est ce qui fait le succès, par exemple, de solutions comme Safesforce.

5. Les audits.

Marc Genevois, le nouveau DG de SAP a démenti, dans une interview publiée le 29 septembre sur le site Silicon, le fait que la croissance de l’éditeur repose sur les pénalités issues des audits. Sans pour autant révéler ce que cela représente dans les revenus de SAP : « Elle n’est pas significative par rapport à celle d’autres éditeurs », a-t-il ajouté, sans plus de précision. Si c’est le cas, le manque de transparence des éditeurs sur ce point renforce les suspicions : il est fort probable que sans les revenus tirés des audits de licence, la croissance du chiffre d’affaires de beaucoup d’éditeurs serait beaucoup plus faible, voire négative pour ceux, dans d’autres domaines que les ERP, qui ont fait des audits la base de leur business modèle. Cette question des audits devient récurrente.

6. L’autonomie locale des éditeurs.

Elle est généralement très faible. « Chez Oracle, tout remonte aux États-Unis », a rappelé un participant, « Chez SAP, a précisé un autre, on obtient des réponses en Allemagne, mais pas en France. »


Audits logiciels : le Cigref promeut une charte de bonnes pratiques

Le Cigref, réseau de grandes entreprises, a publié, en septembre 2015, une charte de bonnes pratiques. Les entreprises « reconnaissent le droit des éditeurs à vérifier que les usages des licences faits par leurs clients sont conformes aux droits concédés contractuellement. Toutefois, l’usage des audits par les éditeurs doit être encadré contractuellement par des pratiques claires, équilibrées et partagées, et respecter certains principes ». Ce document aborde six thématiques :

  • La prévention des risques (mise à disposition d’outils, procédures déclaratives…).
  • La bonne foi contractuelle.
  • La limitation des perturbations (limitation du nombre d’audits, respect des règles internes du client, coût…).
  • Le périmètre et les modalités de l’audit (information préalable, outils, méthodologie…).
  • Le recours à des tiers auditeurs (confidentialité…).
  • La conclusion de l’audit (validation contradictoire, tarifs négociés, conditions restrictives…).

Verbatim des participants au dîner Best Practices

  • « Choisir un éditeur, c’est choisir sa prison et la taille des barreaux. »
  • « SAP adopte le modèle des mauvaises pratiques d’Oracle. »
  • « Nous nous sommes embarqués dans un ERP qui fait tout, nous aurions dû limiter le périmètre à la finance et aux achats, notre système d’information aurait été plus agile, nous sommes très dépendants de l’éditeur et nous ne sommes pas crédibles pour demander à notre direction générale un budget de 100 millions d’euros pour passer à la concurrence. »
  • « Tous les chefs de projets ERP devraient avoir en permanence, sur leur bureau, le contrat signé avec l’éditeur. »
  • « Les DSI doivent en connaître beaucoup plus que les commerciaux de l’éditeur. »
  • « Tant que rien n’est signé, tout est négociable. »
  • « Lorsque les commerciaux des éditeurs ont affaire à des juristes internes, ils rigolent… »
  • « Les avocats doivent intervenir très en amont dans le processus de négociation avec les éditeurs. »
  • « Les éditeurs d’ERP adoptent des positions variables, selon les pays et les clients, parce qu’ils savent qu’ils sont « borderline » et plus le client est petit, plus il a peur… C’est une stratégie commerciale. »
  • « Il ne faut jamais accepter de clause contractuelle qui renvoie à une URL Web pour définir les prix et les métriques, on est certain de se faire avoir… »
  • « Les éditeurs d’ERP ont intensifié leurs audits de licences depuis que leur chiffre d’affaires stagne, mais avec une telle stratégie, ils seront perdants à terme. »
  • « Quand le client montre les dents, il n’y a quasiment jamais de procès. »
  • « Il faut penser aux coups tordus des éditeurs dès le démarrage de la négociation commerciale et jouer le temps. »
  • « Heureusement, avec un contrat-groupe, il est possible de créer un écran de fumée vis-à-vis de l’éditeur, qui aura du mal à s’y retrouver. »
  • « Certes, les éditeurs d’ERP innovent, mais en a-t-on vraiment besoin ? »
  • « Pour certains éditeurs, on est à la limite de l’abus de position dominante. »
  • « Très souvent, les métriques ne correspondent à rien. »
  • « Il y a vingt ans, le comble du modernisme était de gérer tout son système d’information dans un ERP, maintenant c’est l’inverse ! L’ERP qui fait tout du sol au plafond, c’est fini ! »
  • « SAP, c’est comme un couteau suisse, c’est pas terrible, mais il y a toutes les fonctions. »
  • « On passe notre temps à virer Oracle, mais comme il a industrialisé sa stratégie d’acquisition, on le retrouve toujours. »
  • « Oracle est très bon en coup de peinture marketing et en langue de bois. »
  • « SAP est passé maître dans l’art de revendre ce qu’il a déjà vendu… »
  • « Parmi tous les éditeurs avec lesquels on travaille, tels IBM, Microsoft ou Adobe, les audits de conformité SAP sont les plus agréables à subir. »
  • « En matière d’audits, Oracle est le plus structuré, quand ils tapent, ça fait très mal. »