Constructeurs automobiles : vont-ils enfin prendre le train de l’innovation ?

Les constructeurs automobiles investissent beaucoup en R&D, déposent des quantités de brevets, mais peinent à vraiment innover. Pourtant, ils n’ont plus le choix et l’un des axes à privilégier concerne les données pour innover davantage dans les usages et pour les clients.

Dans ce contexte, le rôle des DSI s’avère crucial. Le secteur automobile se caractérise par un paradoxe. C’est l’un des secteurs qui investit le plus en recherche et développement et, en même temps, celui qui est considéré comme l’un des moins innovants. Les constructeurs automobiles continuent à investir massivement en R&D, avec les secteurs de la santé, des technologies et de l’électronique, qui fournissent les efforts les plus importants dans ce domaine.

Les constructeurs automobiles augmentent régulièrement leurs budgets et ont ainsi dépensé (voir tableau), en 2015, environ 110 milliards de dollars en R&D (dont 15 pour Volkswagen, 9 pour Toyota, 7 pour General Motors et autant pour Ford), selon l’étude 2015 Global Innovation 1000 publiée par PWC. C’est cinq fois plus que dans l’aéronautique et trois fois plus que dans la chimie et l’énergie, selon l’étude PWC. Pour les français, les dépenses R&D de Peugeot (2,9 milliards de dollars en 2015) et de Renault (2,7 milliards) sont similaires. En comparaison, le budget R&D de Tesla ne dépasse pas les 500 millions de dollars : pourtant, l’entreprise est, selon le classement PWC, la troisième société la plus innovante au monde, derrière Apple et Google, loin devant la dixième (Toyota).

Le retard d’innovation des constructeurs, dont beaucoup se sont contentés pendant des années d’ajouter quelques fonctionnalités pour moderniser leurs véhicules, n’est plus, aujourd’hui, tenable. Pour au moins trois raisons. D’abord, parce que de nouveaux acteurs issus du monde des technologies s’intéressent de près à ce marché. On songe, bien sûr, à Tesla, mais il y a aussi Google (avec sa Google Car) ou Apple avec son projet Titan (véhicule électrique), qui sont en embuscade. Plus tous ceux qui pourraient arriver sur le marché dans les années à venir pour capter une partie de la valeur…

S’adapter aux nouveaux comportements des consommateurs

Ensuite, les constructeurs doivent de toute façon s’adapter aux nouveaux comportements d’achat. Selon l’étude annuelle Cars Online de Capgemini, réalisée auprès de 7 500 consommateurs, « près de la moitié (47 %) souhaitent utiliser ou utilisent déjà des fonctionnalités automobiles connectées et 80 % d’entre eux les considèrent comme un élément important dans le cadre de l’achat de leur prochain véhicule. »

Dans un avenir proche, la moitié des consommateurs interrogés envisagent l’achat d’un véhicule connecté construit par des géants de la technologie comme Apple et Google, même si la marque de leur véhicule actuel leur convient parfaitement. Selon l’Idate, 420 millions d’automobiles seront connectées dans le monde en 2018, représentant une croissance annuelle de 57 % par rapport aux 45 millions de véhicules connectés en 2013.

Beaucoup d’initiatives apparaissent autour de la connectivité des véhicules ou l’amélioration de l’expérience utilisateur, par exemple avec l’accord, annoncé en novembre 2015, entre Volvo Cars et Microsoft pour que les conducteurs puissent parler à leur véhicule, le partenariat entre PSA Peugeot-Citroën et IBM pour lancer des services connectés, ou encore le projet de co-innovation lancé avec le Centre d’information technologique de Toyota aux États-Unis et Verifone, afin de simplifier au maximum l’expérience des conducteurs dans les stations-service. Basée sur SAP Hana, la solution, développée pour écran tactile, agrège des informations telles que la localisation du véhicule, son trajet, son niveau d’essence, ainsi que les centres d’intérêt du conducteur.

Moins d’ingénierie, davantage de focus sur le client

Enfin, les enjeux actuels et futurs de la transformation des constructeurs automobiles ne résideront pas tant dans la qualité technique des véhicules que dans l’exploitation intelligente des données générées par ceux-ci et par ceux qui les conduisent. Or, sur ce terrain, les constructeurs sont également à la traîne.

Selon l’étude Going Big : Why Companies Need to Focus on Operational Analytics publiée par le Digital Transformation Institute de Capgemini, l’automobile figure parmi les secteurs en retard (avec la pharmacie) sur le degré de capitalisation de la valeur des données. Les constructeurs automobiles figurent ainsi dans la catégorie des groupes qui « mettent en œuvre des projets d’analyse opérationnelle à petite échelle et ne parviennent pas à en dériver de la valeur. »

Cette étude a classé les secteurs selon leur capacité à recentrer leurs projets d’analyse de données sur les opérations de back-office (supply chain, production et gestion d’actifs de production), au détriment de l’analyse de données clients. Les constructeurs sont dans une situation paradoxale expliquent les auteurs de l’étude : « Les volumes de données vont continuer à croître, un véhicule peut générer jusqu’à 1,5 gigabyte de données chaque jour, mais un constructeur sur cinq se contente de collecter exclusivement des données structurées, c’est le taux le plus élevé de tous les groupes industriels, et traite ces données de façon isolée. »

Pour un groupe industriel, notamment automobile, six axes d’innovation peuvent être privilégiés, qui, tous, s’appuient, directement ou indirectement, sur les technologies de l’information :

  • Les produits (électronique, matériaux, mécanique) : les constructeurs automobiles restent les premiers pour les dépôts de brevets. Ainsi, d’après le classement de l’Institut national de la propriété industrielle, Peugeot a déposé 1012 brevets en 2015 et Renault 539.
  • Les processus : pour introduire davantage d’agilité, de simplification, notamment grâce à des solutions logicielles et à la dématérialisation.
  • Le modèle de distribution, avec, à terme, un rééquilibrage des ventes, via les concessionnaires et les ventes directes, même si, pour l’heure, le rôle des concessionnaires reste déterminant. Mais, selon l’étude Cars Online, un consommateur sur trois souhaite acheter en ligne (60 % en Chine et en Inde).
  • La chaîne logistique, toujours un point faible dans le monde industriel, notamment pour l’exploitation des données.
  • Les usages, avec des services de mobilité, la conduite autonome, les véhicules connectés…
  • La culture des collaborateurs, pour passer d’une culture produit à une culture client. C’est le point le plus délicat, pour insuffler une réelle culture numérique. Patrick Hoffstetter, chief digital officer de Renault, expliquait, lors de la présentation du baromètre de la transformation digitale de CSC, en février 2016 : « Il y a encore cinq ans, nous avions des DRH qui ne connaissaient pas LinkedIn et des responsables marketing qui ignoraient l’audience de leurs sites Web. »
  • La gestion des données pour proposer de nouveaux services. C’est le domaine dans lequel les constructeurs automobiles disposent des meilleurs atouts : les volumes de données (techniques et clients) existent, le marché est suffisamment vaste pour amortir de nouveaux services et les acteurs des technologies de l’information, en particulier les éditeurs de logiciels, sont prêts à nouer des partenariats avec les constructeurs pour se trouver de nouveaux débouchés.

Deux exemples illustrent la transformation des constructeurs vis-à-vis de la valorisation de leurs données : BMW et Volvo Cars.

BMW : une reconfiguration du SI et des compétences

Dans le cadre de son programme de transformation baptisé Next, qui concerne la rentabilité, la marque, les produits et la relation client, le groupe BMW n’a pas oublié le volet technologique. « C’est l’IT qui détermine le succès de la transformation, d’autant que de nouveaux entrants viennent du monde des technologies comme Tesla, Google ou Apple », rappelle Klaus Straub, DSI du groupe BMW. Le groupe a ainsi initié deux programmes principaux : Efficience IT et Performance IT.

Le premier, intégré à la stratégie globale du groupe pour restaurer la profitabilité, s’attache à standardiser et industrialiser. « Il s’agit de réduire l’effort de la DSI pour adresser les challenges futurs », résume Klaus Straub. Le second, programme interne à la DSI de BMW, vise à modifier l’allocation des ressources vers les thématiques des nouveaux projets.

Le constructeur automobile a décliné sa stratégie de transformation sur cinq éléments :

  • Renforcer le multicanal : aujourd’hui, souligne Klaus Straub, « 99 % de nos revendeurs ne sont pas directement contrôlés par le groupe, mais on doit apprendre à vendre en direct aux consommateurs, ce qui passe par le numérique. »
  • Optimiser la chaîne logistique : « L’industrie 4.0, c’est connecter toutes les composantes de la chaîne logistique : les machines, les robots et les produits vont se parler », prévoit le DSI de BMW. Cela suppose que la chaîne logistique soit la plus fluide possible : « Si, sur les 25 000 pièces d’un véhicule il en manque une, la chaîne de production s’arrête », assure Klaus Straub.
  • Le rapprochement des business modèles : « Jusqu’à présent, deux mondes coexistaient : celui des véhicules et celui du « Corporate », désormais les deux sont connectés », explique Klaus Straub.
  • La reconfiguration des compétences : dans le cadre du programme Next, 600 personnes ont été réaffectées sur des problématiques telles que le cloud, SAP Hana, le Big Data et la sécurité. En outre, la DSI a recruté 234 personnes supplémentaires.
  • La connectivité, qui est un axe privilégié par tous les constructeurs automobiles : « Nous avons six millions de véhicules connectés à Internet », assure le DSI de BMW, qui utilise des solutions de Big Data et d’analytique en temps réel (Teradata), de machine learning, de modélisation statistique et de Data Lake pour « capitaliser sur les données et les injecter dans les véhicules. » Le constructeur a, par exemple, développé trois applications. D’abord, l’utilisation de l’analytique pour les flux de trafic en temps réel, grâce aux informations émises par 200 000 véhicules en Allemagne, qui génèrent 1,5 million d’appels par jour. Ensuite, les données des véhicules sont stockées (dans un cluster Hadoop) et utilisées pour vérifier que les voitures d’occasion n’ont pas fait l’objet de fraude, par exemple sur le kilométrage réel. « C’est un réel problème, notamment sur le marché chinois », assure Klaus Straub. Enfin, le contrôle en ligne des ateliers de peinture, avec des capteurs pour vérifier la qualité (réduire le nombre de défauts) et développer la maintenance prédictive. Pour une ligne de production, douze robots interviennent et chacun est équipé de onze capteurs, avec 2 000 points de mesure par capteur.

Bien plus que la qualité des véhicules, c’est « la marque et les données qui deviennent cruciales, le CIO devient le chief integration officer », assure Klaus Straub.

BMW France : un Tech Date pour les start-up

Durant le mois de mai 2016, les start-up proposant des solutions dans les domaines de la mobilité et de la connectivité ont pu soumettre leur candidature pour le Tech_Date de BMW France. Une vingtaine de start-up ont été présélectionnées et invitées à présenter leur projet lors du BMW Tech_Date, le 9 juin 2016. Les trois start-up gagnantes ont été choisies sur deux critères : le niveau d’innovation de la solution proposée et sa capacité à changer la mobilité et la connectivité futures, ainsi que le délai d’intégration potentiel pour BMW.

Cette initiative complète deux autres programmes vers les start-up : d’une part, le « BMW Start-up Garage », créé en avril 2015, programme d’accélérateur qui accueille des start-up proposant « une technologie, un produit ou un service innovant à fort potentiel de développement ou de disruption dans l’industrie automobile. » D’autre part, BMW i Ventures, créée en 2011, qui est une société de capital-risque qui soutient les start-up.

Les principes de transformation du SI de BMW
Objectifs Actions
Renforcer le positionnement de la DSI
  • Adaptation de l’organisation et de la stratégie IT
  • Recrutement de 234 personnes
Participer au développement du business de BMW
  • 500 projets lancés
  • Audit ISO 9001 pour mesurer la maturité des processus
Garantir la disponibilité du SI
  • Disponibilité de 99,96 % du SI
Sécuriser le futur
  • Réallocation des ressources IT vers les besoins futurs de performance business
Source : BMW.

Volvo Cars : un centre d’excellence et datathon

Chez Volvo Cars, on a également bien compris que, comme le souligne Jan Wassén, responsable Business Analytics, « l’information doit être vue comme un actif d’entreprise ». Le constructeur, cinq fois plus petit que BMW, a lui aussi transformé la manière de capitaliser sur ses données. Il s’agit de passer progressivement d’une entreprise focalisée sur la production industrielle de véhicule (car centric), dominée par des ingénieurs et la recherche-développement, à une organisation centrée client.

Dans la première configuration « les ingénieurs et la R&D utilisaient peu l’analytique et de manière standardisée, même si les véhicules connectés ont fait évoluer favorablement la situation », explique Jan Wassén. Dans la seconde, « le client est au cœur du modèle. » Mais, passer de l’une à l’autre implique de transformer la gestion des données.

« Nos processus n’étaient pas clairs, il n’y avait pas de coordination en matière d’analytique, avec des compétences éparpillées, des datawarehouses locaux et un manque de culture de la donnée », résume Jan Wassén. Dans ce contexte, l’enjeu est triple : « Changer la culture et les compétences, modifier les sources de création de valeur et capitaliser sur les données en termes de qualité, d’agilité, de disponibilité et de compréhension de ce que l’on peut faire avec », résume le responsable Business Analytics de Volvo.

Le constructeur a créé une organisation hybride dédiée à l’analytique, appuyée par un datawarehouse et une plateforme Big Data basée sur le standard Hadoop (Teradata). « C’est une entité centrale, conçue comme un centre d’excellence et un hub, avec des relais dans les métiers qui agissent comme des nœuds de réseaux », explique Jan Wassén.

Les missions de cette équipe réduite (trois analystes business et deux collaborateurs de la DSI) concernent principalement la qualité des données, la gouvernance et le reporting. « Les analystes se concentrent sur les problématiques métiers, en lien avec les priorités stratégiques, avec le sponsoring du vice-président marketing, ventes et services de Volvo », ajoute Jan Wassén.

L’une des initiatives de Volvo Cars a consisté à organiser un datathon. « C’est un format de type workshop entre deux et cinq jours dont l’objectif est de transformer l’information en connaissance », précise le responsable Business Analytics de Volvo. Le datathon réunit les métiers, les data scientists et les spécialistes des données, de manière à mieux comprendre le potentiel des données et imaginer des business cases présentés aux métiers.

Le datathon organisé en mars 2016 a, par exemple, étudié trois questions : comment s’organise le parcours du consommateur entre ses comportements en ligne ou dans les points de vente ? Quels sont les meilleurs outils marketing (brochures, propositions d’essais de véhicules, actions des commerciaux…) qui sont les plus efficaces ? Que peut-on déduire du comportement des consommateurs qui utilisent les configurateurs en ligne pour personnaliser leurs véhicules ? Toutes les données utiles pour répondre à ces question ont été capturées, stockées et affinées dans une plateforme de data discovery et dans le datawarehouse, en fonction du modèle de données de l’entreprise.

Les retours d’expérience de BMW et de Volvo Cars ont été présentés lors du dernier événement Teradata Universe qui s’est tenu à Hambourg en avril 2016.


Centre d’excellence : les compétences à fédérer

  • Communication.
  • Connaissances métiers.
  • Maîtrise des données.
  • Expertise statistique.
  • Design de solutions analytiques.
  • Compétences techniques.
  • Capacités de créativité.

Source : Volvo Cars.


Gouvernance de l’analytique : les sept rôles du top management

  • Renforcer les compétences en analytique.
  • Élaborer une vision et une stratégie.
  • Établir les principes d’actions (guidelines).
  • Évaluer les business cases.
  • Définir les critères de succès.
  • S’assurer du respect des standards.
  • Contrôler l’état d’avancement des projets.

Source : Volvo Cars.