Contrats « clés en main » : attention aux conséquences juridiques

Le contrat « clé en main » est un contrat complexe qui peut faire l’objet de plusieurs types de prestations, tels que le conseil, la fourniture du matériel et la fourniture du logiciel. Ces éléments de natures différentes forment une convention unique qui engage le fournisseur sur l’ensemble de la prestation.

La jurisprudence, les prestataires informatiques, ainsi que clients, utilisent la notion de contrat « clé en main » pour désigner certaines solutions informatiques. Mais que recouvre vraiment cette qualification dans le monde digital ? La jurisprudence définit un contrat « clé en main » comme la réalisation d’un « système informatique global » (1) composé d’une multitude de prestations, telles que « la fourniture de matériels ainsi que de logiciels de base et de programmes spécifiques » (2).

Autrement dit, le prestataire s’engage à livrer un ensemble permettant de parvenir à un résultat conforme aux besoins du client. A ce titre, le prestataire informatique met en place l’installation informatique ou la sous-traite, il fournit le matériel, dirige la mise en place et le démarrage du système.

Les contrats dits « clé en main » sont d’ailleurs qualifiés de contrats d’entreprise par la jurisprudence (3), ce sont des contrats par lesquels une entreprise confie à une autre la conception d’une partie dont elle a la charge globale (4).

Ainsi, la particularité du contrat « clé en main » réside, d’une part, dans l’existence d’un résultat global suscitant une diversité de prestations réalisées par le prestataire informatique, et, d’autre part, dans l’unicité de ce dernier. En effet, toutes ces prestations n’obéissent qu’à un seul régime contractuel : celui du contrat qualifié de « clé en main ». Pourtant, les différents composants du produit final n’ont pas la même valeur, ni les mêmes conditions, à commencer par l’inclusion possible, dans ce type de contrat, de la fourniture de matériels et de logiciels. Malgré cela, il est établi par la jurisprudence que la qualification unique de « contrat clé en main », recouvrant de multiples prestations, a des conséquences juridiques considérables.

Le contrat clé en main et l’obligation de résultat

La différence entre l’obligation de moyen et l’obligation de résultat tient au régime de la preuve du manquement allégué contre le prestataire. Dans le cadre d’une obligation de moyen, il appartient au client de prouver le manquement. Pour ce qui est de l’obligation de résultat, le prestataire ne pourra échapper à sa responsabilité que par la preuve de son absence de faute.

Cette obligation de résultat attaché à la qualification de contrat « clé en main » pose question quant à l’étendue de l’engagement contractuel du prestataire informatique, qui doit être rigoureusement appréhendé notamment lors de l’élaboration du cahier des charges par le client.

En effet, l’enjeu de cette qualification est important, puisqu’elle impose au fournisseur une obligation de résultat sur la prestation globale. C’est ainsi que la chambre commerciale de la Cour de cassation a décidé que «  ayant constaté que le contrat portait sur la création d’un site « clé en main », l’obligation souscrite par le prestataire devait s’analyser comme une obligation de résultat (5). »

L’importance de la preuve

En revanche, à défaut de mention contractuelle spécifiant une installation « clé en main », il incombe au client qui soutient que le prestataire est débiteur d’une obligation de résultat d’en apporter la preuve (6). Dans une affaire tranchée par la Cour d’Appel de Paris, il ne résultait pas du bon de commande qu’une telle obligation pesait sur le prestataire qui a fourni les logiciels, matériel et services. Les juges ont relevé qu’aucune mention contractuelle ne spécifiait une installation « clé en main » et que la référence à une plaquette publicitaire n’avait pas valeur contractuelle et ne saurait conférer au bon de commande qualification d’obligation de résultat.

Toutefois, comme pour toutes les obligations de résultat, la faute du client est de nature à faire diminuer la responsabilité contractuelle du prestataire, maître d’œuvre (7). De plus, lorsque le client s’est immiscé de façon inopportune, lorsqu’il n’a pas ou peu collaboré avec le prestataire (8), ou lorsque qu’il a lui-même fait de mauvais choix (9), la responsabilité du prestataire informatique est amoindrie.

Mais le prestataire reste tout de même extrêmement lié lorsqu’il vend une prestation « clé en main ». En effet, l’obligation de résultat attachée au contrat a des conséquences sur l’obligation de délivrance conforme du prestataire.

Le contrat clé en main et l’obligation de délivrance

L’obligation de délivrance du vendeur de produits complexes n’est considérée comme satisfaite qu’à partir du moment où l’ensemble est en mesure de fonctionner (10).

En revanche, l’absence de délivrance d’un élément de la prestation globale n’est pas une défaillance suffisante pour justifier la résolution d’un contrat portant sur un ensemble de prestations. En effet, la particularité des contrats de prestations informatiques est d’échelonner la réception de la « solution » par des réceptions provisoires : on parle de « recettes provisoires ».

Encadrer l’exécution du contrat

Chacune de ces étapes est marquée par des contrôles et des tests. Elles ont pour effet de limiter l’obligation de résultat du prestataire, dans la mesure où l’ensemble n’est pas encore achevé et que ces étapes ne portent pas sur le fonctionnement global du système. Dans ce contexte, il est donc important que le client encadre l’exécution du contrat par un calendrier impératif pour assurer un suivi serein et régulier de la mise en place de l’ensemble informatique et renforcer les obligations du prestataire avant la livraison du produit final. De plus, le prestataire devra conseiller son client pendant toute la relation précontractuelle et contractuelle.

L’obligation de conseil renforcée du prestataire

L’obligation de conseil est, en effet, accentuée pour le prestataire informatique dans le cadre d’un contrat « clé en main ». Il est courant que ce type de prestation s’adresse à des clients profanes en matière informatique. Aussi, le prestataire informatique devra mettre en garde le client sur toutes les prestations livrées pour l’ensemble d’un système informatique et l’orienter vers le meilleur choix d’équipement adapté à ses besoins. Le prestataire informatique doit aussi assurer une assistance au client lors de la mise en fonctionnement du système.

Il est d’ailleurs souvent recommandé au client profane de recourir à une société de conseil, en mode assistance à maîtrise d’ouvrage, afin d’être en mesure de déterminer de manière rigoureuse ses besoins.

En conclusion, dans un contrat « clé en main », la rédaction de stipulations et d’obligations claires et rigoureuses reste la seule manière de déterminer l’étendue des obligations du prestataire.

En outre, la phase de définition des besoins et l’élaboration du cahier des charges pour le client sont essentielles. Une collaboration des parties reposant sur un contrat ficelé et une confiance réciproque sera une des conditions pour aboutir à la réception « clé en main » du système informatique.

Cet article a été rédigé par François-Pierre Lani, avocat associé et Lucie Chartrain, cabinet Derriennic Associés


(1) TC, Rennes, 16 mai 2012, n°2011F00457.
(2) Cass. Com, 24 janvier 1989, n° 87-10.075.
(3) CA, Paris, 5e ch. 28 février 1989, Sté SCOD c/ Sté Gamme.
(4) Civ, 1ère, 4 juillet 2000, n° 97-22.570.
(5) Cass, com, 17 mai 2017, n° 15-17.948.
(6) CA, Paris, pôle 5 – chambre 11, 23 novembre 2018, n° 15/19053.
(7) Com, 1er juillet 1997, n° 95-13.073.
(8) Cass. Com. 5 avril 2011, 09-71756 ; CA Paris, 23 novembre 2018, n° 15-19053.
(9) Com, 7 janvier 1997, n° 94-16.558.
(10) Civ, 1ère, 19 nov. 1996, n° 94-18.502.