Les contrats avec les fournisseurs, surtout si ceux-ci sont stratégiques, méritent une attention particulière. Certaines clauses peuvent en effet contenir des chausse-trappes, être sujettes à interprétation, créer des risques techniques ou financiers pour le système d’information. L’exemple des contrats de licences de l’éditeur Oracle.
Le droit d’utilisation : un problème de définition | |
Exemple de clause | Point d’attention |
» Il vous est concédé un droit non exclusif, non cessible, d’utilisation des logiciels et des services commandés, pour la durée de protection par le droit d’auteur (sauf stipulation contraire au bon de commande), exclusivement pour les opérations internes liées à votre activité, aux conditions stipulées au dit contrat, y compris les définitions et règles tarifaires figurant dans la commande et la documentation du logiciel. […] La documentation est livrée avec le logiciel, et également accessible en ligne. « | Il s’agit là d’une clause de cession des droits d’utilisation des logiciels, clause que l’on retrouve dans tous les contrats par lesquels on octroie une licence d’utilisation d’un produit.
Oracle concède un droit limité d’utilisation des logiciels et des services commandés. Cependant, ce droit d’utilisation n’est aucunement défini dans le contrat de licence qui opère un renvoi à la documentation qui sera livrée ultérieurement avec le logiciel ou accessible en ligne. |
La modification des conditions de la licence : une décision unilatérale | |
Exemple de clause | Point d’attention |
» Les prestations de service sont fournies conformément aux conditions Oracle applicables aux services concernés commandés. Ces conditions peuvent être modifiées à tout moment et les conditions qui vous sont applicables, ainsi que la façon d’y accéder, figurent dans la commande. « | Oracle se réserve la possibilité de modifier unilatéralement, et à tout moment, les conditions applicables aux services commandés et le mode d’accès aux conditions, sans recueillir l’accord préalable du bénéficiaire , ni prévoir au minimum une notification informant le cocontractant que des modifications ont été effectuées et l’invitant par conséquent à en prendre connaissance. |
Les conditions de licence particulières : quels critères ? | |
Exemple de clause | Point d’attention |
» Dés le paiement du prix, vous bénéficiez sans redevance supplémentaire, pour la durée de protection des droits d’auteur, du droit non exclusif, non cessible, limité, d’utiliser exclusivement pour les opérations internes liées à votre activité tout ce qui a été développé et livré par Oracle spécifiquement pour vous, dans le cadre du présent contrat. Toutefois, certains livrables pourront être soumis à des conditions de licence particulières stipulées au bon de commande. « | Cette clause définit le périmètre des conditions d’utilisation des logiciels Oracle.
L’éditeur précise, tout d’abord, qu’il est possible, dès le paiement du prix, de bénéficier, sans redevance supplémentaire, pour la durée de protection des droits d’auteur, du droit non exclusif, non cessible d’utiliser exclusivement pour les opérations internes tout ce qui a été développé et livré par Oracle dans le cadre du contrat. Cependant, le contrat stipule immédiatement, ensuite, que certains livrables pourront être soumis à des conditions de licence particulières, mais sans en préciser les critères, ni les effets. |
Une clause de garantie sans garantie | |
Exemple de clause | Point d’attention |
» Pendant un an à compter de la livraison (livraison physique ou téléchargement), Oracle garantit que les logiciels fonctionneront comme indiqué dans la documentation, sur tous les points essentiels. Vous devez avertir Oracle de tout manquement à cette garantie dans le délai d’un an à compter de la livraison.
Oracle garantit également que les services seront fournis en conformité avec les règles de l’art. Vous devez avertir Oracle de tout manquement de cette garantie dans les quatre-vingt-dix jours à compter de l’exécution des services défectueux. Les garanties ci-dessus sont limitatives, et Oracle ne garantit pas qu’Oracle corrigera toutes les erreurs, ni que ses logiciels fonctionneront de manière ininterrompue ou exempte d’erreurs, ni l’aptitude des logiciels à satisfaire vos objectifs particuliers. Au titre des garanties ci-dessus, vous aurez exclusivement la faculté de (A) faire corriger les erreurs ou si Oracle est dans l’impossibilité d’y remédier pour l’essentiel à des conditions économiquement acceptables, de résilier le contrat de licence, et de vous faire rembourser le prix acquitté pour le logiciel ou les services de support technique non utilisés ou (B) faire réexécuter les services défectueux ou si Oracle est dans l’impossibilité d’y remédier pour l’essentiel à des conditions économiquement acceptables, de mettre fin aux dits services et de vous faire rembourser du prix acquitté pour les services défectueux. Sauf disposition légale contraire, ces garanties sont exclusives et il n’y a pas d’autres garanties, expresses ou implicites, notamment d’adéquation avec un besoin particulier. « |
Cette clause de garantie s’apparente à une clause de garantie en conformité légale, par laquelle Oracle garantit que les logiciels livrés sont conformes au contrat signé et aux règles de l’art. Le fondement d’une telle clause est l’exécution de bonne foi du contrat, ainsi que l’obligation de délivrance. Or, cette garantie légale est contractuellement limitée.
Oracle garantit le fonctionnement des logiciels comme indiqué dans la documentation sur ce qu’elle considЏre comme des » points essentiels « , mais ne se donne pas la peine de préciser ce qui est justement considéré comme essentiel. Il est d’autant plus surprenant qu’Oracle ne soit pas en mesure de garantir le fonctionnement d’une solution logicielle qu’elle a pourtant créée. Par ailleurs, les garanties sont » limitatives » et pourtant ne sont pas énumérées, même limitativement. De même, Oracle n’offre que deux options au titre des garanties :
Ces dispositions laissent le client dans une situation d’incertitude quant au devenir de tout son système informatique. En effet, si Oracle considère que la réparation lui coûte trop cher, elle peut décider de mettre fin au service de manière unilatérale. |
Support technique : un risque de modification unilatérale | ||
Exemple de clause | Point d’attention | |
» Les prestations de support technique comprennent les mises à jour logiciel, le support produit et/ou toute autre prestation de support annuel éventuellement commandée pour les logiciels. Les prestations de support technique annuel éventuellement commandées sont fournies la première année et toutes les années suivantes aux conditions générales en vigueur lorsqu’elles sont exécutées. Les conditions générales de support technique font partie intégrante du présent contrat et peuvent être modifiées à tout moment par Oracle.
Toutefois, les modifications ne se traduiront pas par une réduction importante du niveau de support des logiciels supportés pendant la période pour laquelle les redevances correspondantes ont été payées. Vous devez en prendre connaissance avant chaque commande. « |
Cette clause définit les prestations de support technique auxquelles ont droit les cocontractants d’Oracle.
Les conditions de support technique, elles aussi, peuvent faire l’objet de modifications unilatérales à tout moment par Oracle. Elle s’engage pourtant à ne pas réduire de manière substantielle le niveau de support des logiciels si les redevances correspondantes ont été payées. Ce qui semble le minimum, étant donné que le client a exécuté son obligation : payer le prix de la licence… |
Garantie en contrefaçon : un risque économique | |
Exemple de clause | Point d’attention |
» Si une action en contrefaçon est intentée par un tiers, soit contre vous, soit contre Oracle (…) au motif qu’une des informations, concepts, spécifications, instructions, logiciels, données ou composants fourni soit par vous, soit par Oracle et utilisé par le receveur violerait les droits de propriété intellectuelle d’un tiers, le fournisseur assurera la défense du receveur à ses seuls frais et indemnisera le receveur de tous dommages et intérêts, préjudices, frais et dépenses de toute nature accordés au tiers selon une décision judiciaire exécutoire ou négociés à l’amiable avec le fournisseur.
S’il est établi ou si le fournisseur estime, que le composant peut avoir violé les droits de propriété intellectuelle d’un tiers, le fournisseur pourra, à son choix, modifier le composant pour faire cesser la violation (tout en conservant l’essentiel des fonctionnalités ou de la finalité) ou obtenir une licence qui permette de continuer à utiliser le composant. Si aucune de ces actions n’est économiquement acceptable, le fournisseur aura la faculté de mettre fin à la licence du composant concerné, d’en exiger la restitution, et de rembourser au receveur les redevances correspondantes payées à l’autre partie ainsi que les redevances de support technique payées d’avance à Oracle, prorata temporis.[…] Les dispositions du présent article constituent le recours exclusif en matière de contrefaçon. « |
Cette clause est dénommée » garantie de contrefaçon « , mais il s’agit plus d’une clause d’éviction par laquelle, le » fournisseur » garantit le » receveur » du » composant « contre le trouble apporté par autrui à sa possession et de l’indemniser en cas de contrefaçon. Cette garantie est ici limitée par Oracle.
Si un composant viole les droits de propriété intellectuelle d’un tiers, Oracle se réserve le droit de modifier le composant pour faire cesser la violation ou d’obtenir une licence permettant de continuer à l’utiliser. Cependant, elle n’envisage cette possibilité que dans le cadre de conditions économiquement acceptables. Si tel n’est pas le cas, le client se retrouvera sans logiciel, puisque le prestataire se réserve le droit de mettre fin à la licence du composant en contrepartie du remboursement du client. Aucune mesure de transition n’est prévue au contrat. |
Clause limitative de responsabilité : un remboursement, pas une réparation | |
Exemple de clause | Point d’attention |
» Les parties ne seront en aucun cas responsables des dommages indirects. Par dommages indirects, les parties conviennent d’entendre notamment les pertes de bénéfice, chiffre d’affaires, données ou usage de celles-ci, encourues par l’autre partie ou un tiers.
Il vous appartient de prendre toutes les précautions nécessaires à la sécurité et à la conservation des fichiers, données et supports d’information que vous utilisez. Sauf dispositions contraires de la loi, la responsabilité d’Oracle pour dommages directs au titre des présentes ne saurait excéder le montant du prix payé par vous au titre du présent contrat et si le préjudice résulte de votre utilisation des logiciels ou des services, la responsabilité sera limitée au prix payé à Oracle pour les logiciels ou les prestations de services défectueux ayant causé le dommage. Les stipulations du présent contrat répartissent le risque entre les parties. Les prix convenus reflètent cette répartition du risque et la limitation de responsabilité qui en résulte. « |
Ce type de clause est usuel dans les contrats et permet de limiter ou d’écarter la responsabilité de l’un des cocontractants, souvent le vendeur ou le prestataire de service, en cas de mauvaise exécution ou d’inexécution du contrat.
Oracle liste elle-même, mais de manière non limitative, les dommages qu’elle considère comme étant indirects et pour lesquels elle exclut sa responsabilité : perte de bénéfice, chiffre d’affaires, données ou usage de celles-ci… Par ailleurs, Oracle limite sa responsabilité concernant les dommages directs au montant du prix payé par le client au titre du bon de commande, ce qui équivaut ainsi à un remboursement et non pas une réparation d’un dommage qui, par définition, peut être supérieur au prix de la licence ! Oracle pourra se prévaloir de la validation d’une telle clause par la cour de cassation, en l’occurrence, la licence s’élevait à un million d’euros. |
Mises à jour logiciel ou support produit : des incertitudes | |
Exemple de clause | Point d’attention |
» Les licences mises à jour logiciel & support commandées peuvent être renouvelées par période d’un an.
Si vous choisissez d’acquérir le support pour une licence appartenant à un groupe de licences, vous devez acquérir le même niveau de support pour toutes les licences appartenant à ce même groupe. Vous avez la faculté de résilier le support technique pour un sous-groupe de licences, à condition de résilier les licences de ce sous-groupe. Les redevances de support technique des licences restantes seront calculées conformément à ce sous-groupe aux conditions de support technique en vigueur à la date de la résiliation. La définition du groupe de licences figure aux conditions générales de support technique actuellement en vigueur. Si vous décidez de ne pas acquérir de support technique, vous n’êtes pas autorisé à mettre à jour les licences non supportées avec les nouvelles versions. « |
Les mises à jour logiciel et le support associé peuvent être renouvelés par période d’un an, mais seulement dans le cas où le client souhaite renouveler les mises à jour logiciel ou support produit pour le même nombre de licences et pour les mêmes logiciels. Le client est lié et ne peut choisir de renouveler les mises à jour logiciel ou le support pour une partie seulement de ses licences.
Dans le cas des groupes de licences, Oracle impose à ses clients d’acquérir le mђme niveau de support pour l’ensemble des licences du sous-groupe. Étant précisé, par ailleurs, que le client ne pourra résilier le support technique que s’il résilie, par la même occasion, les licences de ce sous-groupe. Le client est donc lié en ce qui concerne le support technique. Par ailleurs, le choix laissé au client d’acquérir le support technique reste illusoire dans l’hypothèse où si le client ne l’acquiert pas, il n’a pas la possibilité de mettre à jour les licences non supportées avec les nouvelles versions. Oracle se réserve le droit d’arrêter le support de certains de ses logiciels ou de certaines versions. Oracle reste maître de la date d’arrêt effectif, ainsi que de toute information relative au support et à la maintenance, ce qui laisse le client dans une grande incertitude quant à la fiabilité du logiciel, et, par conséquent, de son système informatique… |
Audit : le client en supporte le coût | |
Exemple de clause | Point d’attention |
» Oracle se réserve la faculté d’auditer l’utilisation des logiciels après vous avoir prévenu au moins 45 jours à l’avance. Vous vous engagez à coopérer à cet audit notamment en donnant accès à Oracle à toute information pertinente. Cet audit ne devra pas perturber votre activité de manière déraisonnable. Vous vous engagez à payer dans les 30 jours au plus suivant notification écrite toute redevance supplémentaire de licence et de support en cas d’utilisation excédant les droits acquis.
A défaut, Oracle aura la faculté de mettre un terme de plein droit aux prestations de support technique, aux licences, et/ou au présent contrat, Il est expressément convenu qu’Oracle ne supportera pas vos frais de participation à cet audit. « |
Les clauses d’audit sont également des clauses habituelles dans les contrats et ont pour intérêt de donner, généralement à l’un des cocontractants, le moyen de contrôler la réalité, l’étendue d’une situation contractuelle, c’est-à-dire la bonne exécution d’une obligation du contrat à la charge d’un autre cocontractant.
Oracle se réserve le droit d’auditer l’utilisation des logiciels par le client et précise que tous les frais inhérents à la participation de cet audit seront supportés par le client. Ceci alors même que la société encourage la diffusion de sa solution en autorisant l’utilisation des logiciels par les mandataires du client et en distribuant des licences d’évaluation. Or, dans ce cadre, le client doit supporter financièrement une opération menée par et pour le prestataire, afin que celui-ci puisse vérifier l’utilisation conforme du logiciel, pourtant largement diffusé par elle, à la licence qui a été souscrite ! Et ce d’autant plus que la définition des utilisateurs est absconse… |
Résiliation : des précisions s’imposent | |
Exemple de clause | Point d’attention |
» En cas de manquement à ses obligations essentielles par l’une des parties, l’autre partie pourra résilier de plein droit le présent contrat 30 jours après mise en demeure par écrit resté sans effet. Si c’est Oracle qui résilie, toutes les sommes dues à la date d’effet de la résiliation deviendront exigibles dans les 30 jours, ainsi que toutes sommes impayées relatives aux logiciels et aux services commandés dans le cadre du présent contrat, majorées des taxes et frais applicables. Si Oracle résilie la licence pour un logiciel au titre de l’article garantie de contrefaçon, toutes les sommes restant impayées pour les services liés à ladite licence deviendront exigibles dans les 30 jours. Sauf en cas de non-paiement des redevances, la partie qui ne sera pas en défaut pourra, à sa seule discrétion prolonger la période de 30 jours, pendant la même durée que celle où la partie défaillante s’efforce de remédier à son manquement. Il est convenu qu’en cas de manquement de votre part au présent contrat, vous ne serez plus autorisé à utiliser les logiciels ni à bénéficier des services commandés. Il est également convenu que, si vous avez souscrit un contrat de financement Oracle Finance Division pour vous acquitter du paiement des redevances exigibles, et que vous avez manqué à vos obligations contractuelles au titre de ce contrat, vous n’êtes pas autorisé à utiliser les licences ou les services objets dudit contrat et Oracle est en droit de résilier le présent contrat. Les dispositions qui restent applicables au-delà de l’expiration du présent contrat sont les dispositions relatives à la responsabilité, la garantie de contrefaçon, les paiements, ainsi que toutes celles qui par nature ont vocation à continuer à s’appliquer. « | Il s’agit d’une clause de résiliation unilatérale de plein droit. Chaque partie a la faculté de mettre fin de manière anticipée au contrat qui les lie, en cas de survenance d’un évènement ou en cas d’inexécution ou mauvaise exécution contractuelle.
Cette clause doit être rédigée de manière précise : dans quels cas peut-on résilier ? Quelles sont les modalités de mise en œuvre ? Quels en sont les effets ? En principe, en cas d’application d’une telle clause, le contrat disparaît pour l’avenir seulement. Si Oracle résilie le contrat, soit au titre de l’article résiliation, soit au titre de la garantie de contrefaçon, toutes les sommes deviendront exigibles dans les 30 jours, ainsi que toutes sommes impayées relatives aux logiciels et aux services commandés dans le cadre du contrat, majorées des taxes et frais applicables. Ainsi, dans l’hypothèse où Oracle aurait porté atteinte aux droits de propriété intellectuelle d’un tiers, et qu’elle n’arrive pas à modifier un composant contrefaisant, elle peut, selon les dispositions du contrat, décider de résilier la licence. Le client devant alors payer toutes les sommes dues, majorées de taxes et frais divers, alors même qu’il n’est pas à l’origine de la résiliation, ni fautif. |
Cet article a été écrit par François-Pierre Lani, associé au cabinet Derriennic (www.derriennic.com)