On demande aux DSI de justifier leurs budgets et de prouver la rentabilité des projets. Un savoir-faire de gestionnaire qu’elles ne possèdent pas toujours… Le constat est sans appel : seulement 40 % des responsables chargés d’éclairer les décisions de leur entreprise en matière de système d’information déclarent présenter une étude de rentabilité prévisionnelle lors du lancement de grands projets, selon l’enquête du cabinet MJN Conseil. Ne parlons même pas du suivi a posteriori ….
Dès lors, les directions générales souffrent d’une visibilité toujours largement insuffisante sur le coût du système d’information, a fortiori sur ses avantages, quand bien même elles sont persuadées que le 21ème siècle est à coup sûr celui des technologies de l’information. D’un autre côté, les experts financiers (direction financière, contrôle de gestion groupe) ont abandonné depuis longtemps leur ambition de mesurer la performance de la fonction informatique, tant leur compréhension des processus du système d’information est faible, alors que, du côté des informaticiens, tout n’est pas toujours fait pour les encourager ! Le contrôle de gestion des activités informatiques n’a donc toujours pas engagé sa mutation, malgré les efforts d’une minorité de DSI qui ont conscience des dommages que peut engendrer ce manque de transparence, non seulement pour elles, mais aussi pour le devenir de leurs entreprises.
Quelle implication des DSI dans le contrôle de gestion ?
L’ancrage sur les processus informatiques est indispensable, mais il ne doit pas être un handicap pour la maîtrise des techniques de gestion. On constate que 61 % des contrôleurs de gestion informatique sont rattachés à la DSI, 31 % à la direction financière et 8 % à la direction générale. Cette proportion, malgré une hausse récente du rattachement aux directions financières, est logique : c’est l’affirmation d’une fonction “en réseau” comme elle existe depuis de nombreuses années dans l’industrie ou les services.
La mesure, puis la maîtrise du coût d’utilisation des ressources informatiques, ne peuvent provenir que d’une connaissance fine de l’architecture technique déployée par la DSI, qui reste hors de portée, faute de temps et de formation, des contrôleurs de gestion “généralistes”. C’est donc au contrôleur de gestion rattaché à la DSI, piloté par la DSI elle-même, qu’il incombe d’apprendre puis de maîtriser les bases et les techniques de la gestion.
Quelle démarche de mesure de la rentabilité prévisionnelle ?
Seulement 40 % des contrôleurs de gestion mettent en œuvre une démarche de mesure de la rentabilité prévisionnelle des projets SI. L’activité de développement du système d’information est pourtant de loin la plus transverse de toutes et est, de ce fait, un contributeur important à la performance de l’entreprise. Il est essentiel de voir le processus de développement des projets comme un investissement, comparable à celui réalisé pour la construction d’une usine ou l’implantation d’une filiale.
Il est vain de s’attaquer au montant “apparent” d’un budget de développement annuel, car il est dénué de toute signification économique. Ce programme d’études n’est que la consolidation mécanique annuelle de plusieurs projets, eux-mêmes pluriannuels, dans chacun desquels on doit trouver le vrai fondement : quels sont les avantages attendus au regard des coûts engagés, bien au-delà des seuls aspects inhérents au système d’information ?
Autre point incontournable : le niveau et la finalité de l’ensemble des projets doivent être régulièrement validés par la direction générale, en tant que responsable de l’allocation des ressources financières de l’entreprise. Il y a une procédure et un lieu pour cela : le comité directeur d’investissements (le comité directeur informatique peut en faire office). La DSI doit donc s’appuyer sur cette instance pour présenter l’étude de rentabilité prévisionnelle des nouveaux projets, avant leur lancement, dès lors que ceux-ci sont d’une taille conséquente, supérieure à une « année/homme » par exemple. Cette étude de faisabilité et de sensibilité est toujours conclue par un chapitre sur les gains, avec l’estimation d’objectifs cibles et, si cela a du sens, le calcul de critères de rentabilité.
Au niveau de l’équipe projet, il convient d’obtenir la collaboration et l’adhésion de la maîtrise d’ouvrage (les directions métier), qui participe à la présentation au comité, mais surtout devra s’engager sur les gains futurs attendus, puisqu’ils seront réalisés chez elle. Dans la mesure où l’essentiel des coûts est d’origine informatique, le contrôleur de gestion du SI devra prendre le leadership pour modéliser une liste exhaustive des dépenses et des gains, liés à la mise en place, puis à l’exploitation, d’un projet et l’enrichir régulièrement grâce au retour d’expérience sur les projets antérieurs. Pour effectuer les calculs de rentabilité en conformité avec les règles édictées par la direction financière, il devra maîtriser certains mécanismes du bilan, de la trésorerie et pas uniquement ceux du compte de résultat.
Quel contrôle de la rentabilité a posteriori ?
La rentabilité des projets SI n’est contrôlée a posteriori par personne dans la moitié des cas. Si l’introduction de la relation MOA-MOE a marqué la fin du règne des directions informatiques dans les années 1990, le moins que l’on puisse dire est que, malgré l’existence de cadres et de règles contractuelles et juridiques précises, lorsqu’elle est appliquée dans tout autre environnement, sa traduction dans le contexte des projets SI est loin d’être aboutie.
Nos observations sur le terrain, depuis plusieurs années, conduisent à dresser les constats suivants :
- une grande ambiguïté dans les responsabilités respectives des directions métier et de la DSI dans la direction des projets SI,
- des difficultés des directions métier à s’engager sur l’estimation et, surtout, sur la réalisation des gains escomptés dans les projets SI,
- la conséquence inéluctable : une surexposition de la DSI en cas d’échec des projets, la direction générale considérant, à tort ou à raison, que les DSI sont plus entraînées au fonctionnement en mode projet.
Que répondre aux allusions à peine voilées des décideurs telles que :
- la direction générale : « Avec l’informatique c’est toujours pareil, le résultat final n’est jamais à la hauteur de ce que l’on nous avait annoncé… »
- le maître d’ouvrage : « N’essayez pas de mesurer les gains que nous avions annoncé à l’époque, plus rien n’est comparable ? »
Une seule solution : suivre le comportement du projet une fois mis en place. Cela nécessite d’adopter une démarche avant tout pragmatique : une comptabilité analytique en coûts complets est inadaptée au suivi de résultats par projet, sur une période pluriannuelle. Le contrôleur de gestion SI devra donc se contenter de contrôles statistiques sur les données de base les plus sensibles, qu’il aura pris soin d’identifier lors de la présentation initiale du projet, puis de collecter dans le système d’information (coût de réalisation, dépenses externes spécifiques, indicateurs conditionnant les gains escomptés…).
Quel niveau de rigueur ?
Seulement un contrôleur de gestion SI sur cinq affirme disposer de guides et de procédures pour exercer son métier. De quoi faire frémir les gestionnaires aguerris ! S’il y a bien un métier où doivent s’exprimer des qualités de rigueur et de pédagogie, c’est bien celui de contrôleur de gestion.
La rigueur est nécessaire pour construire un véritable système de pilotage des activités du SI (fonctionnement, développement…), système qui ne sera abouti que lorsqu’il pourra être documenté par des règles du jeu stables, par des procédures d’élaboration, des maquettes finalisées…
La pédagogie et la communication restent indispensables pour assurer, vis-à-vis des décideurs, la transparence et l’acceptation du modèle construit par la DSI. Ce qui est bien conçu se communique clairement, par des écrits qui engagent. Le pire réside peut-être dans le fait que les contrôleurs de gestion SI n’aient pas pris suffisamment la pleine mesure de cette lacune…
Cet article a été écrit par Jacques Nau, contrôleur de gestion, puis directeur financier de grandes entreprises. Il est aujourd’hui consultant et est le co-auteur de l’ouvrage Le contrôle de gestion du SI, paru chez Dunod.