« Dans une grande entreprise, la créativité peut être étouffée »

Stéphane Biso, expert en Design Thinking, propose sa vision de la créativité dans les entreprises.

En matière de Design Thinking, la maturité des entreprises progresse-t-elle ?

Les entreprises, qu’elles soient du CAC 40, PME ou TPE, veulent changer. Elles cherchent à se transformer, elles en ont besoin, pas seulement pour survivre sur des marchés fortement concurrentiels, mais aussi pour conserver leurs talents et créer une bulle de confort. Les individus ont de plus en plus besoin de se sentir au bureau comme à la maison, dans un contexte où les entreprises créent toujours plus de nomadisme et de télétravail. J’ai vu des salariés venir dans des ateliers de Design Thinking alors qu’ils étaient en télétravail. Pourquoi ? Parce qu’on leur donne envie de créer, d’être des bâtisseurs de la première pierre angulaire d’un projet d’entreprise. Ce n’est plus le cabinet de conseil que l’entreprise va chercher, mais les salariés. Vous n’imaginez pas la puissance de la valorisation de l’homme par l’homme !

Comment s’intègre le Design Thinking par rapport à d’autres approches de créativité ?

La réponse est simple : les différentes approches s’encapsulent. Le Design Thinking, c’est de l’idéation, de la conception avant la fabrication. Si, à un moment, on a une bonne idée, on ne perd pas son temps, il n’y a pas d’inertie.

Est-il difficile de trouver des personnalités farfelues au sein des entreprises ?

Aujourd’hui, dans les organisations, on parle beaucoup des Hard Skills. On parle aussi des Soft Skills, de la bienveillance, de l’écoute, de l’observation, c’est un peu la tarte à la crème. Les farfelus, c’est ce qu’on appelle les Hard Skills. On les trouve chez les designers, parce qu’ils ne sont pas liés à l’entreprise. Si je devais devenir salarié d’une entreprise, je ne sais pas si je serais si « Hard » que je peux l’être. La créativité peut être rapidement étouffée. Dans une entreprise du CAC 40, c’est compliqué, la mienne l’a été pendant quatre ans et j’en ai souffert.

Pourquoi ?

Parce qu’on ne se fait pas que des amis, on parle vrai, cru, on plaide pour l’accélération et on privilégie le mode start-up. Mais, souvent, cela ne passe pas, parce qu’il faut prendre en compte l’éthique, la culture d’entreprise, le grade, la hiérarchie et le fait qu’il ne faut pas contredire ses interlocuteurs.

Comment argumenter auprès d’une direction générale pour démontrer le ROI du Design Thinking ?

Dans un projet classique, on élabore une note de cadrage pendant deux à trois mois, avec la comitologie (comité de projet, comité de pilotage) associée. L’expression de besoins prend entre huit et douze mois. On est déjà à un an de projet sans avoir fabriqué quoi que ce soit. En mode Design, c’est cinq à six semaines, contre un an auparavant, avec, éventuellement, le droit à l’erreur sur deux ateliers de quinze jours, on aboutit à trois mois. Qui n’a pas envie d’aller tester le Design Thinking à 20-25 000 euros. C’est pour cette raison que je dis à tout le monde ; « Tentez, essayez, osez ! » Il faut être audacieux pour se transformer.

Quels sont, selon vous, les principaux facteurs d’échec du Design Thinking ?

Je n’en ai personnellement pas connu, mais on peut en identifier deux. D’une part, des difficultés lors de la phase de préparation, qui représente 80 % de l’exercice. D’autre part, une équipe « Pizza Team » mal calibrée, dans laquelle on ne trouve pas les bons acteurs, les questions sont posées dans le vide, personne ne sait répondre, beaucoup sont en « mode carpe ». Il faut la réponse en atelier et aller chercher des participants, par exemple dans les services généraux, parmi les assistantes, parce qu’elles connaissent tous les processus de l’organisation et les accélérations possibles.


Le Design Thinking en trois étapes

Cet ouvrage, co-écrit par Stéphane Biso et Marjorie Le Naour, s’articule autour de trois chapîtres. D’abord, les auteurs présentent les raisons qui poussent les organisations à innover par le Design Thinking, par exemple pour accélérer le Time to Market, proposer des services innovants, améliorer l’expérience client, développer l’esprit start-up dans l’organisation… Ensuite, les auteurs expliquent ce qu’est le Design Thinking : « Une démarche de co-création propice à l’innovation et centrée sur l’humain, client ou collaborateur. » Enfin, ils prodiguent des conseils de mise en œuvre, avec les ateliers, les outils, les groupes de travail, les restitutions…

Design Thinking, par Stéphane Biso et Marjorie Le Naour, Dunod, 2019, 142 pages.