Richard Collin, directeur de l’Institut de l’entreprise 2.0 à Grenoble École de Management, l’assure dans la préface de cet ouvrage d’Yves Caseau, directeur général adjoint de Bouygues Telecom en charge des technologies, services et innovation : « L’entreprise du XXIe siècle sera une entreprise 2.0… ou ne sera pas », à la fois sous l’effet de la crise mais, surtout, « d’une co-évolution accélérée, et pas toujours comprise, des technologies, des modèles d’organisation et de management, et des modèles de création de valeur et de mesures de la performance ».
Dans un tel contexte, par définition mouvant, « la gestion des flux d’informations est un levier majeur de transformation de la performance de l’entreprise », affirme Yves Caseau.
Comment faire ? Il faut à la fois comprendre, organiser et optimiser les processus. Ces trois éléments forment l’ossature de l’ouvrage d’Yves Caseau. Il nous explique d’abord ce qu’est un processus, défini comme « un ensemble d’activités réalisées par des acteurs, doté d’une triple structure d’orchestration, temporelle, causale et organisationnelle, qui possède une finalité commune, celle de produire de la valeur pour un client, au travers d’un produit ou d’un service, et dont le commencement est associé à un événement externe ».
Cela signifie qu’un processus a plusieurs caractéristiques : il a un client, il possède une certaine granularité, on peut en représenter graphiquement la structure, on peut en identifier les différents responsables et il se déclenche par un ou plusieurs événements.
Dès lors, dans une organisation, les processus doivent être décrits et formalisés, ce qui signifie : définir qui est le client, qui sont les acteurs du processus et quels sont leurs rôles, lister les ressources nécessaires à l’exécution du processus et cartographier la structure.
En ne confondant pas, prévient Yves Caseau « la carte et le territoire » : « Le territoire, c’est la réalité physique de l’enchaînement d’activités qui s’exécutent, la carte, c’est l’abstraction qui représente cet enchaînement. Il n’existe donc pas de cartographie du processus absolue : elle dépend des enjeux et des objectifs. » L’auteur distingue huit axes d’optimisation de la performance qui s’appuient sur les processus : l’orientation client, la réduction des temps d’exécution, la diminution des anomalies, la standardisation des activités, la transformation par la mesure, la robustesse du processus dans le cas de défaillances, l’allocation des ressources et l’optimisation des passages de relais entre les activités, notamment les interfaces.
Processus et Entreprise 2.0, innover par la collaboration et le lean management, par Yves Caseau, Dunod, 2011, 288 pages.
La standardisation est un point qui requiert l’attention : « Standardiser signifie deux choses : décrire (produire une procédure) et suivre cette procédure. Le standard répond à un objectif d’alignement : s’assurer que tous les collaborateurs affectés à une même activité suivent le même mode de travail. » Pourquoi vouloir aligner les collaborateurs sur un mode de travail unique ?
« D’abord, précise Yves Caseau, parce qu’il existe une variation importante dans la performance individuelle et donc un enjeu important pour apporter un mode de travail plus efficace aux collaborateurs qui le sont moins. La seconde raison est que le standard est un outil de capitalisation des bonnes pratiques. »
Deux impératifs rendent cruciale une approche d’optimisation des processus. D’une part, le pouvoir des clients, qui deviennent de plus en plus exigeants. « Ce n’est pas par hasard que l’orientation client est devenue en trente ans un des mots-clés de tous les ouvrages de management, rappelle Yves Caseau.
Pour faire face à ce défi, chaque processus doit être personnalisé en fonction du client. » D’autre part, une exigence d’innovation : « L’innovation, articulation entre le 2.0 et la qualité, n’est pas un but en soi. Ce qui la rend nécessaire, c’est l’hypercompétition. »
La connaissance des processus ne peut réussir sans mesure. « Et il n’y a pas de mesure sans modèle », prévient Yves Caseau. En évitant de tomber dans le travers consistant à multiplier les tableaux de bord qui ne servent à rien : « La plupart des grandes entreprises croulent sous les tableaux de bord, beaucoup de mesures sont effectuées, mais la majorité ne sont pas utilisées », observe l’auteur.
Il distingue quatre types de mesure : les indicateurs de fonctionnement (le processus fonctionne-t-il normalement ?), de résultats (le processus produit-il les produits et services attendus ?), d’efficience (capacité à produire des résultats en minimisant les moyens utilisés), et de déploiement (vision dynamique des modes de travail).
L’élaboration et l’usage de ces indicateurs doivent toutefois respecter une logique : « Il n’est pas utile de se soucier du résultat tant que le processus ne fonctionne pas et on ne peut parler de performance ou d’efficience avant d’avoir obtenu de façon stable des résultats conformes et d’avoir mesuré l’effort qui y est consacré », résume l’auteur. Concrètement, « il faut un porteur responsable pour chaque mesure et une équipe pour aider le porteur à analyser cette mesure ».
Les indicateurs clés de performance (les fameux KPI, Key Performance Indicators) constituent des « outils privilégiés de transformation de l’entreprise ». Un indicateur devient un KPI s’il est conçu comme un indicateur de performance (donc d’efficience ou de résultat), s’il porte la stratégie de l’entreprise, s’il est compréhensible par tous et que chacun peut y contribuer.
L’auteur reconnaît : « Le choix d’un KPI qui respecte ces critères est un exercice difficile : c’est le croisement d’une démarche « top down » pour trouver un indicateur qui exprime la stratégie de l’entreprise et d’une démarche « bottom up » pour trouver un indicateur qui parle à tout le monde. »
Dans ce cadre, l’entreprise 2.0 est nécessairement agile. Cette agilité est la combinaison de trois éléments : la rapidité dans la transmission d’informations et la prise de décision, l’excellence opérationnelle (capacité à délivrer vite et bien) et le « potentiel de situation », c’est-à-dire l’anticipation. Par conséquent, avance l’auteur, « la combinaison de deux premières exigences conduit à une transformation du mode de management de l’entreprise, depuis un mode centralisé et planifié vers un mode décentralisé et réactif ».
Le mode de fonctionnement et d’organisation historique de la plupart des entreprises ne convient plus : « La distribution d’objectifs de façon trop détaillée et précise nuit à la solidarité et à la souplesse. L’organisation hiérarchique n’est pas assez réactive dans son allocation de ressources et de moyens et elle est adaptée davantage aux situations compliquées (puisqu’elle applique le principe « diviser pour régner ») qu’aux situations complexes qui demandent une forte collaboration. »
L’entreprise 2.0, elle, présente quatre caractéristiques : chaque collaborateur a le droit à la parole, les communautés de pratique et d’intérêt émergent facilement, l’information circule rapidement et est accessible à tous, et la collaboration est facilitée par le partage d’information. En termes d’outils, l’entreprise 2.0 fait appel à des forums de discussions, des sites de partage de documents, des blogs, des wikis, la messagerie instantanée et des plates-formes de réseaux sociaux.
« Pour résoudre des problèmes complexes, pour innover, pour « sortir du cadre », l’entreprise a besoin de « tisser des liens fiables », c’est-à-dire de faciliter la collaboration de collaborateurs qui ne sont pas fréquemment en contact », affirme Yves Caseau. Cela suppose d’organiser les canaux de communication selon trois dimensions : la latence (délai de propagation de l’information), le débit (capacité à transporter l’information et le feedback) et l’atténuation (déformation de l’information lorsqu’elle est transmise).
Principe rappelé par l’auteur : la qualité des décisions n’augmente pas systématiquement avec la quantité d’information. Associer entreprise 2.0 et quantité d’informations partagées n’apparaît pas pertinent : « Une démarche en faveur de la collaboration peut s’appuyer sur des outils 2.0, mais elle doit en premier lieu s’assurer que le temps de collaboration est offert aux collaborateurs, et que l’acte de collaborer sera reconnu et apprécié. »
On s’en doute, le système d’information est fondamental : « Un SI organisé autour des processus est plus facile à comprendre, donc à utiliser et à gouverne, rappelle l’auteur. Il est également plus facile à piloter et à faire évoluer ». « On pourrait dire que les processus forment la grammaire du système d’information, le rôle des mots étant tenu par les services. »
Pour construire un SI orienté processus, ce qui reste une démarche difficile, trois leviers doivent être actionnés : un modèle métier (description des objets de l’entreprise, avec un vocabulaire commun), une architecture de services et de données pour composer les processus, et des technologies informatiques (« moteurs d’orchestration »). Pour Yves Caseau, le système d’information 2.0 est « un SI qui s’expose », notamment pour les interactions avec les clients.
L’auteur détaille les approches Lean et Six Sigma, comme pivots de l’agilité du système d’information orienté client, qui reste indissociable, au-delà d’une vision technologique et méthodologique, d’une vision humaniste, point sur lequel Yves Caseau insiste tout au long de son propos : « L’entreprise, lieu d’apprentissage permanent, est avant tout une histoire de relations entre des personnes, unies par une destinée collective. »