Des projets stratégiques souvent à la dérive

Fin 2011, l’Observatoire des projets a publié les résultats d’une étude sur les projets stratégiques dans les domaines de l’organisation et des SI. Celle-ci offre une première vision statistique de la maturité des entreprises françaises.

L’Observatoire des projets stratégiques, créé en 2010 à l’initiative du cabinet de conseil Daylight, l’ENSIIE et l’IAE de Lille, a pour objectif de collecter des données statistiques sur les projets liés à l’organisation et aux systèmes d’information en France. Il s’inscrit dans le cadre d’un programme de recherche dénommé Aurore, dont le but est de donner aux organisations françaises, publiques comme privées, les moyens de maîtriser leurs projets stratégiques.

En décembre 2011, l’Observatoire a publié un premier rapport de recherche, basé sur 110 réponses de chefs de projets, directeurs des systèmes d’information ou responsables de bureaux de projets (PMO). Un ensemble de 31 questions ont été posées aux personnes interrogées. Celles-ci visaient notamment à identifier les facteurs de réussite et d’échec des projets, notamment les projets stratégiques. L’Observatoire considère qu’un projet est réussi dès lors qu’il répond aux exigences conformément aux délais et aux coûts estimés, tolérant un écart inférieur à 15 % sur ces paramètres.

Pour les répondants, le caractère stratégique des projets est le plus souvent déterminé par la direction générale (81 % des réponses). Dans 10 % des cas, le critère principal est un poids budgétaire important. Parmi les autres critères cités figurent également des besoins métiers sensibles.

Un taux d’abandon non négligeable

Dans l’échantillon interrogé, 47 % des répondants estiment que plus de la moitié de leurs projets réussissent. En revanche, 26 % déclarent que plus de la moitié de leurs projets dérapent au-delà du seuil de 15 % sur un ou plusieurs axes. Les projets stratégiques semblent rencontrer plus fréquemment des dérives : 43 % des personnes déclarent en réussir plus de la moitié et 23 % en réussissent moins de 15 %.

Il arrive également que les projets soient purement et simplement abandonnés, et cela dans une proportion non négligeable : environ 34 % des répondants estiment en effet que les abandons représentent de 16 % à 50 % de leurs projets stratégiques, un peu plus de 7 % abandonnant même plus de la moitié de ceux-ci.

Parmi les principaux constats relevés, le niveau de réussite des projets s’avère fortement corrélé avec la capacité des organisations à détecter les problèmes sensibles de manière précoce et à en informer l’échelon stratégique grâce à un dispositif de remontée d’alerte adéquat.

Une marge d’amélioration importante existe dans ce domaine, car 44 % des répondants ont constaté que des problèmes ayant un impact sur le niveau d’engagement du projet (coûts, délais et exigences) étaient détectés de façon tardive dans 16 % à 50 % des cas. En outre, 46 % des répondants estiment qu’il faut le plus souvent plus de deux semaines pour rétablir l’équilibre après qu’un problème est survenu, ce qui n’est pas sans impact sur les plannings.

Sans surprise, le rapport observe également que le niveau de réussite et de maîtrise des projets augmente en fonction des moyens fournis et de la maturité des processus mis en œuvre. Ces moyens englobent notamment les méthodes, l’organisation, les outils et la gestion des ressources.

Dans 47 % des organisations consultées, le rôle de chef de projet est considéré comme temporaire, quand il n’est pas rattaché à la DSI. Dans celle-ci, la fonction est davantage valorisée et reconnue comme un métier à part entière

La gestion des connaissances, un maillon faible

Globalement, rares sont encore les organisations à investir sur la gestion et la transmission des connaissances : seuls 2% des répondants relatent la présence de « knowledge managers ». La plupart des entreprises se contentent d’un système d’information documentaire partagé, 21% ne déployant aucune solution particulière. L’utilisation des référentiels de gestion des exigences est courante, 79 % des répondants s’appuyant sur ceux-ci.

Un processus de gestion de projets pas toujours formalisé

En revanche, dans 46 % des cas, il n’existe pas vraiment de méthode de gestion de projets, ce qui n’est pas sans conséquences, des phases importantes pour la réalisation du projet et la capitalisation de l’expérience acquise étant omises. Ainsi, chez près de la moitié des répondants la phase de contractualisation des projets n’existe pas, 19 % n’ayant aucune activité ou document formel pour acter le lancement du projet et 30 % se contentant d’une simple lettre de mission.

De la même façon, dans 16 % des cas, la relation avec les fournisseurs n’est pas formalisée à travers des critères d’acceptation et de clôture écrits, laissant la porte ouverte à d’éventuelles dérives. Enfin, plus de la moitié des organisations n’ont pas d’étape formelle prévue pour effectuer le bilan des projets. Concernant le pilotage, la planification opérationnelle des projets est effectuée par 58 % des répondants, mais seulement 41 % d’entre eux traitent les risques projet dans le cadre d’une activité formalisée. La gestion de la qualité n’est présente que chez 34 % des déclarants.

Gestion des ressources : peu de marge de manœuvre pour les chefs de projet

La gestion des ressources, tant financières qu’humaines, n’est pas toujours une activité intégrée aux projets. Si 43 % des personnes interrogées estiment les coûts, les suivent et les intègrent aux plannings des projets, 32 % d’entre elles effectuent seulement un bilan comptable. La gestion des ressources humaines relève quant à elle davantage de la responsabilité des supérieurs hiérarchiques que de celle des chefs de projet : dans 22 % des cas, ceux-ci n’ont aucune autorité sur ce plan, et dans 35% des cas, les ressources sont détachées sur les projets pour effectuer des tâches spécifiques, ce qui ne facilite pas d’éventuelles réaffectations ou évolution des rôles.

Un suivi insuffisant des ressources peut néanmoins avoir des conséquences, notamment au niveau des interdépendances entre projets. Si près d’un quart des répondants considèrent que leurs projets sont indépendants les uns des autres, 54 % d’entre eux prennent en compte les dépendances pour évaluer les plannings et les budgets.

Néanmoins, parmi ceux-ci, seuls 21 % parviennent à suivre ces contraintes dans le temps. La relative rareté des instances transversales, permettant d’avoir une vision plus précise et actualisée des relations entre projets, explique peut-être cette difficulté.

Des PMO encore rares

En effet, 62 % des organisations répondantes n’ont pas de structure pérenne d’appui aux projets, de type bureau de projets (Project Management Office ou PMO) ou cellule de support. Quand de telles structures sont présentes, leur principal rôle est le support méthodologique et l’aide sur la gestion des risques. Elles interviennent également sur la gestion transverse du portefeuille de projets et sur la planification. Très peu en revanche gèrent la capitalisation des connaissances.

Les modes de gestion de la qualité des projets
 Le management de la qualité des projets n’est pas établi en tant que tel  34 %
 Le contrôle qualité est mené de façon aléatoire (logique de meilleur effort)  31 %
 La gestion de la qualité est intégrée au processus de gestion des projets, mais ne s’applique qu’au produit fini  10 %
 La gestion de la qualité s’applique également aux processus de management de projet, projet par projet  11 %
 Une structure méthode est chargée de mettre en place les normes et standards qualité  14 %
Source : Observatoire des projets 2011.

Les principaux facteurs d’échec

  • Pas de référentiel pour gérer les projets
  • Pas de politique de partage des connaissances
  • Phase d’avant-projet non formalisée
  • Pas de planification ou planification par jalonnement
  • Aucune activité ne prépare le lancement du projet
  • Pas de processus de capitalisation d’expérience
  • Pas d’activité de gestion de la qualité
  • Le rôle du chef de projet est considéré comme temporaire et ne réclamant pas de compétences spécifiques
  • Pas de gestion systématique de la communication
  • Pas de pilotage et coordination entre les projets
  • Gestion des contenus et de l’intégration primitive
  • Pas de structure d’appui aux projets
  • Mauvaise gestion des coûts
  • Mauvaise gestion des ressources humaines
  • Mauvaise gestion des approvisionnements
  • Pas de système d’information projet
  • Pas de gestion systématique du risque
  • Gestion de la qualité menée de façon aléatoire
  • Un référentiel de gestion de projet existe, mais n’est pas adapté en fonction des projets
  • Niveau moyen du processus de gestion des délais
  • Processus de contractualisation à l’état primitif
  • Des outils hétérogènes supportent une partie du système d’information projet.

Source : Observatoire des projets 2011.