Digital et innovation : les dirigeants sont-ils à la hauteur

Aujourd’hui, le dirigeant n’est plus jugé sur sa seule faculté à assurer sa fonction. Au-delà de ses responsabilités en termes juridiques, financiers et de management, il doit faire face à de nouvelles formes d’engagement. Tel est le propos de cet ouvrage collectif, coordonné par Philippe Wattier, créateur du Cercle du leadership, et Raphaëlle Laubie, entrepreneure dans le Web et professeure associée à ESCP-Europe.

Cet engagement (personnel, sociétal…) est aussi digital. Sur ce terrain, expliquent les auteurs, « les dirigeants doivent comprendre les enjeux de la transformation et plus spécifiquement les potentiels offerts par l’innovation ouverte. » Philippe Gabilliet, professeur de leadership à l’ESCP, rappelle, dans sa préface, que « toute aventure managériale ou entrepreneuriale ne peut plus se déployer que dans un jeu collectif. » Mais ce n’est pas facile : d’une part, précise-t-il, parce que « c’est avoir l’audace de sortir de la zone de confort et se mettre en déséquilibre et affronter la pensée commune. » D’autre part, questionne Philippe Gabilliet : « Qui peut croire qu’il est facile, pour les acteurs de la transformation digitale, d’abandonner une parcelle de leur pouvoir ? »

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Dirigeants, le défi de l’engagement, sous la direction de Raphaëlle Laubie et Philippe Wattier, Editions L’Archipel, 292 pages.

Les auteurs mettent en exergue plusieurs tendances lourdes. D’abord, la course après le temps, à laquelle Internet contribue largement : « Courir devient une nécessité, d’autant que les plus jeunes générations ont, sur ce point, une longueur d’avance, c’est la première fois dans l’histoire que les plus jeunes ont un train d’avance sur leurs aînés », observent les auteurs. Ensuite, la crise des années 2008-2010 « a ouvert, sans doute durablement, le monde sur l’incertain, le doute devient la norme. »

Enfin, le changement concerne la personnalité du dirigeant : « Comment devenir un geek, un champion du digital, quand on a été formé aux enseignements littéraires ou, dans le meilleur des cas, au maniement de la règle à calcul ? », s’interrogent les auteurs, qui rappellent aux dirigeants : « Les nouvelles générations de dirigeants ne vous attendent plus ! » Face aux défis de demain, « les entreprises doivent s’attacher à changer non seulement leurs processus, mais surtout leur culture, ce qui est une mutation beaucoup plus profonde. » Cela suppose de favoriser « les styles de management ouverts ».

Puisqu’il est question d’ouverture, les stratégies digitales reposent de plus en plus sur l’Open Innovation, car « l’un des facteurs d’échec d’une entreprise n’est-il pas le statu quo instillé par la direction générale ? » se demandent les auteurs. Le principe est de renforcer les liens avec son écosystème, jusqu’à présent dirigée de l’intérieur, vers l’extérieur : « C’est une révolution au sens où cette relation inversée contraint l’entreprise à bouleverser le traitement d’actifs structurants (données, brevets, expertises….) jusque-là perçus comme des avantages compétitifs à protéger, elle casse les silos internes et force l’ouverture », avancent les auteurs.

Mais les entreprises n’ont guère le choix, car « l’innovation ouverte est une des représentations du pouvoir pris par le client. » Cette approche a plusieurs avantages : elle accélère la prise en compte des besoins du client, permet d’élaborer des prototypes plus rapidement, repositionne les offres selon leur usage et moins leur technologie, améliore les coûts et les délais de mise sur le marché. « Il est dangereux, à l’heure du digital, d’ignorer des courants sociétaux, voire de penser que l’on peut les combattre, ne serait-ce que parce qu’un concurrent saura s’approprier une crowdculture », avertissent les auteurs. En particulier les start-up, dont il ne faut pas sous-estimer l’importance : « Il faut innover aussi vite que la cohorte de start-up qui viennent contester les positions établies. »

Comment faire pour capitaliser sur l’innovation ouverte, qualifiée « d’impératif de survie » par les auteurs ? D’abord, en raisonnant en écosystème et non plus en silos, c’est-à-dire « s’organiser autour d’unités légères capables de maintenir un bon niveau de réactivité et d’agilité. » Ensuite, dans la mesure où l’innovation repose sur des interactions entre les individus, il faut privilégier l’implication des collaborateurs et impulser le changement culturel.

Enfin, parier sur l’Open Source, « champ d’innovation clé de l’avenir » même si, avertissent les auteurs, « les pratiques managériales classiques semblent encore inadaptées à la gestion des projets Open Source. Il faut donc trouver le bon équilibre entre taylorisme managérial et leadership. » Les entreprises qui mènent avec succès des politiques d’innovation ouverte ont trois caractéristiques : l’obsession du client, la gestion des coalitions et la capacité à partager une mission à tous les niveaux de l’entreprise. Et même une quatrième, par analogie à ce qu’affirmait Steve Jobs : « Ce qui sépare les entrepreneurs qui réussissent et ceux qui échouent, c’est uniquement la persévérance. »