Du bruit dans la prise de décision

Peut-on vraiment aboutir à des décisions totalement rationnelles ? Non, car des biais et du « bruit » altèrent leur qualité. Un audit de ce « bruit » décisionnel révèle souvent des résultats plus mauvais que ce que l’on peut imaginer a priori.

On sait que les données de mauvaise qualité occasionnent des préjudices significatifs pour les entreprises : de l’ordre de 3 000 milliards de dollars chaque année pour l’économie américaine, selon un article paru sur le site de la Harvard Business Review.

Plus de la moitié du temps des salariés serait ainsi perdu en recherche et corrections de données. Il en est de même pour les décisions de mauvaise qualité. Dans le numéro d’octobre 2016 de la Harvard Business Review, un professeur de psychologie à l’université de Princeton et trois consultants de The Greatest Good Group, étudient les ressorts et les conséquences des décisions polluées par le bruit.

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« Noise », par Daniel Kahneman, Andrex Rosenfeld, Linnea Gandhi et Tom Blaser, Harvard Business Review, octobre 2016.

« Le problème est qu’en matière de décision, les individus sont irrationnels, car ils sont influencés par des éléments subjectifs, tels que leur humeur, le temps qu’il fait ou la nature de leur dernier repas », avertissent les auteurs, qui estiment que ce « bruit » constitue une taxe invisible qui pèse sur la bottom line des entreprises.

Certains emplois sont évidemment moins sujets à ce phénomène, notamment ceux pour lesquels il faut suivre des règles très précises et des processus très codifiés qui ne laissent pas, ou peu, de place à l’improvisation décisionnelle. Mais, dans la plupart des cas, les décisions prises par les individus, même les plus experts, varient, de même que leurs estimations. « Le bruit est insidieux : même les entreprises les plus performantes en sont victimes », constatent les auteurs.

Les algorithmes au secours des errements du cerveau ?

Si le cerveau humain est si faillible, pourquoi ne pas s’en remettre aux algorithmes ? « On considère depuis longtemps que les décisions et les prévisions générées par des modèles statistiques simples sont souvent plus pertinentes que celles formulées par les experts, même quand ceux-çi ont accès à davantage de données que celles utilisées dans les modèles statistiques. En réalité, l’avantage des algorithmes est qu’ils sont exempts de « bruit » : le traitement d’un ensemble de données donnera toujours le même résultat », remarquent les auteurs.

Ceux-ci distinguent la notion de bruit de celle de biais cognitif. Pour illustrer la différence, ils proposent une analogie avec un pèse-personne : « Lorsque la balance indique systématiquement quelques kilos en trop ou en moins, c’est un biais, lorsque le poids varie en fonction de la position des pieds, c’est un « bruit ». »

Pour les auteurs, améliorer la qualité de la prise de décision ne passe pas seulement par une réduction des biais, mais également par la maîtrise du bruit, souvent alimenté par les jugements des individus et, de fait, beaucoup plus difficile à contrôler. Pour réduire les risques, les auteurs suggèrent de mener un « audit du bruit » : « Il ne s’agit pas de produire un beau rapport, mais d’améliorer la qualité de la décision, ce qui suppose que les individus concernés soient prêts à accepter des résultats déplaisants pour eux », expliquent les auteurs.

Réaliser un audit du « bruit » décisionnel

La démarche consiste à construire quelques scénarios réalistes qui seront évalués, en particulier sur leurs aspects budgétaires (les participants à l’exercice ne savent pas quel est l’objectif de l’étude…). Ensuite, un indicateur est construit, basé entre autres sur les écarts d’évaluation entre les individus, exprimés par rapport à la moyenne des évaluations. « Souvent, lorsque l’on demande aux managers quels écarts ils anticipent, ils sont très surpris par les résultats, ce qui démontre que le « bruit » est invisible dans l’organisation », assurent les auteurs.

Le fait que le « bruit » soit sous-estimé tient à deux facteurs : la confiance des individus dans leurs connaissances et leur expertise, et le regard bienveillant qu’ils portent sur celles de leurs collègues. « Dès lors qu’il y a un jugement, il y a du « bruit » », résument les auteurs, pour qui la solution radicale consisterait à remplacer le jugement d’un individu par un ensemble de règles et d’algorithmes, même s’il est difficile de s’engager dans une telle voie, dès lors que la décision est basée sur de multiples facteurs.

Les auteurs reconnaissent cependant que cette solution est trop radicale : « Il est préférable de s’assurer que les individus utilisent les mêmes méthodes pour collecter l’information, l’intégrer dans le contexte et dans les décisions qu’ils ont à prendre », ce qui suppose un réel effort de formation.