E-achats : standardiser, fédérer et mutualiser

La réduction des coûts figure toujours en tête des agendas des directions achats. La plupart des grands groupes ont engagé des démarches d’optimisation de leurs processus dans ce domaine. Surtout pour les achats indirects, souvent délaissés. Les exemples de Michelin, de la FNAC, de McDonald’s et de Covéa.

« La réduction des coûts reste toujours la première priorité des directions achats » notent les consultants de Deloitte dans leur étude Global CPO Survey 2013, réalisée auprès de 180 directeurs des achats dans 17 pays. La consolidation des dépenses figure logiquement parmi les leviers privilégiés (voir tableau page 4). Plusieurs stratégies sont envisageables : obtenir une vision à 360 ° de ses fournisseurs, comme l’a fait Michelin, créer, comme la FNAC, un « effet entonnoir » afin de n’avoir qu’un seul « tuyau » pour les achats, fédérer de multiples entités autour d’un outil commun, comme l’a réalisé McDonald’s, ou mutualiser à grande échelle, à l’image du groupe Covéa.

Michelin : obtenir une vision 360° des fournisseurs

Pour un groupe industriel d’envergure internationale comme Michelin (chiffre d’affaires de 21,5 milliards d’euros, avec 113 400 personnes dans 170 pays et 69 sites de production), les achats représentent une part très importante des dépenses, atteignant 14 milliards d’euros en 2012. 51 % de ces achats portent sur les matières premières, notamment le caoutchouc naturel, 33 % sont des services, 11 % des investissements et 5 % de l’énergie. « 660 personnes dans 27 pays s’occupent des achats, dont 170 personnes au siège », précise Luc Minguet, directeur général des achats du groupe Michelin, qui a partagé son expérience autour de la rationalisation de sa base fournisseurs lors de l’événement Ivalua On Air, en octobre 2013. Ses équipes alimentent notamment une base de fournisseurs contenant plus de 66 000 références et gèrent plus de 5 millions de factures par an.

« Jusqu’en 2011, nous utilisions des outils obsolètes et coûteux pour le suivi de nos fournisseurs », explique Luc Minguet. Fin 2011, le groupe décide de remplacer celui-ci par une solution unique de e-procurement (Ivalua), permettant une vision à 360° de la base fournisseurs et de leurs contrats. Le groupe entame alors un vaste projet de refonte de sa gestion des fournisseurs, dénommé Hermès. Celui-ci démarre mi-2012 avec un déploiement de la solution en septembre 2012. « Notre base était assez complexe à cause de la diversité géographique, qui nécessite de gérer différentes langues et devises. Par ailleurs, certains fournisseurs sont des groupes internationaux avec de multiples succursales », précise le directeur général des achats.

L’enjeu de la refonte était de bâtir une base fiable et sécurisée, offrant une vision complète de la chaîne des achats, quel que soit le périmètre. Il s’agissait également de responsabiliser chacun des acteurs impliqués dans les achats. « Il est impossible de gérer des milliers de fournisseurs de façon centralisée, il fallait donc que les équipes s’approprient l’outil », souligne Luc Minguet, précisant que l’ergonomie de la solution était, de ce fait, un critère de choix important. La confidentialité des données faisait également partie des exigences, de par le caractère fortement concurrentiel du secteur. « Il fallait que les serveurs soient en France. »

Dans le cadre du projet de refonte, plusieurs actions ont permis de rationaliser la base fournisseurs. Au départ, celle-ci contenait près de 200 000 références. « Nous avons supprimé les fournisseurs auprès desquels nous n’avions pas effectué de commande depuis 14 mois, ainsi que les fournisseurs dont le contrat était résilié et les références redondantes », explique Luc Minguet. A l’issue de ce nettoyage, il reste 66 000 fournisseurs, dont 330 environ font l’objet d’une démarche de gestion de la relation fournisseurs (Supplier Relationship Management/SRM).

Outre les données sur les fournisseurs, la base contient également les contrats et les dépenses, des données récupérées dans sept systèmes ERP différents, dont Oracle V11, V12 et JD Edwards. Un projet de rationalisation de ces ERP est mené en parallèle, avec notamment la migration d’Oracle V11 à Oracle V12. Certains achats de matières premières, gérés dans les systèmes d’information des usines, n’ont pas été intégrés dans un premier temps. « L’analyse des achats est primordiale », souligne Luc Minguet. « Dans ce domaine, ne pas avoir d’outil serait comme conduire une voiture sans phares. » Le groupe gère ainsi plusieurs paliers de fournisseurs. Sur les plus sensibles, les contrats sont liés avec les économies, les risques, la responsabilité sociétale (RSE), la gestion de la continuité (Business Continuity Management) et le SRM.

Un travail important a également été effectué sur la qualité des données et la filiation des fournisseurs. Pour cela, le groupe a mis en place des « Hermès Days », durant lesquels toutes les équipes achats monde mettaient la base à jour. « Nous avons mis en place des indicateurs de performance afin de suivre les progrès, ainsi que des systèmes pour encourager la participation », relate Luc Minguet. « En revanche, nous n’avons pas intégré les fournisseurs dans la démarche, c’était un parti pris ».

Les gains de cette démarche s’observent à plusieurs niveaux. Celle-ci a permis de parfaire la connaissance de l’activité et d’optimiser le sourcing. La rationalisation de la base des fournisseurs a permis d’accroître la qualité des données et d’augmenter la productivité des équipes. Les prochaines étapes sont le passage à Oracle V12 pour les filiales d’Europe et d’Asie. La direction des achats compte également poursuivre les « Hermès Days » et mettre en place des contrôles de la qualité des données deux fois par an. Elle souhaite intégrer les systèmes qui gèrent les achats de matières premières, afin de récupérer l’ensemble des dépenses dans la base Hermès. Enfin, un gros travail reste à mener sur les contrats-types. « La mise en place de l’outil a été un catalyseur », conclut Luc Minguet.

Fnac : créer un effet entonnoir pour standardiser

La FNAC a engagé un projet d’optimisation de ses achats indirects, dont l’objectif, selon Laurence Michelet, responsable de projets e-achats à la FNAC, était de « mettre sous contrôle les achats indirects, nos processus étant auparavant autonomes et hétérogènes. »

Une telle démarche suppose, au préalable, de maîtriser le référentiel des fournisseurs (3 000 pour la FNAC) dans un outil de e-procurement. « Il faut en effet savoir ce que l’on achète et à qui, et lorsque le nombre des fournisseurs est réduit, on achète mieux », précise Laurence Michelet, qui a témoigné lors du dernier salon Solutions. Le processus d’achat reste classique, de la demande d’achat jusqu’à la livraison, en passant par les phases d’approbation et de commande. De part et d’autre (clients et fournisseurs), la mise en œuvre d’un projet d’e-procurement suppose des obligations. Du côté de l’entreprise, aucun achat, dès le premier euro, ne peut être engagé sans qu’une commande ne soit créée dans l’outil d’e-procurement. « Cela paraît évident mais, au quotidien, ça ne l’est pas toujours pour les utilisateurs », rappelle Laurence Michelet.

De même, toute demande d’achat doit être documentée et réceptionnée dans l’outil. « Les utilisateurs ont tendance à l’oublier… », déplore Laurence Michelet. Du côté des fournisseurs, mêmes exigences : « L’existence d’une commande dans l’outil de e-procurement constitue le seul vecteur d’engagement de la FNAC, aucune prestation ne peut être effectuée en dehors de ce processus », indique Laurence Michelet. De même, les fournisseurs s’engagent à respecter la charte de facturation et les numéros de bons de commande. « Nous avons créé une clause selon laquelle un fournisseur ne doit pas répondre si aucune commande n’est créée par l’outil, les fournisseurs ont d’ailleurs bien compris leur intérêt à respecter cette disposition », assure Laurence Michelet. Il a fallu à la FNAC quatre ans pour déployer le processus, pour environ 4 000 utilisateurs. « L’ensemble du processus est perçu comme facilitateur, par rapport à des commandes passées par mail ou par téléphone », affirme Laurence Michelet.

McDonald’s : fédérer autour d’un portail commun

McDonald’s a une problématique de réseau de franchises (près de 1 300 restaurants, dont 80 % sont gérés par des franchisés), donc de multiplicité d’organisation et de dispersion géographique. « Nous avons une centrale d’achats historique pour les achats alimentaires, mais pas de mutualisation des volumes d’achats pour les autres produits, par exemple les produits d’entretien, les articles de bureau, la téléphonie, les véhicules », rappelle Marc Reuzé, directeur administratif et financier du GIE Mc Donald’s Force. « Nous gérons plus de 300 organisations différentes, mais leurs besoins en achats sont relativement similaires », ajoute le DAF. L’objectif était de mettre en place, avec la solution b-pack Software, un e-catalogue et des e-bons de commande accessibles aux managers des restaurants et aux structures de gestion du franchisé (soit 1 500 utilisateurs), qui soient accessibles à distance (Web et mode SaaS), de manière à traiter les commandes en mode centralisé ou décentralisé (directement par le franchisé).

Le projet s’est organisé en plusieurs lots et a été finalisé en trois mois, mi-2013. D’abord, la mise en place d’un portail d’information et la constitution d’un catalogue électronique. « Nous nous sommes inspirés de l’ergonomie d’un site grand public et nous avions demandé à b-pack Software d’être le « Appstore » de l’e-procurement », note Marc Reuzé. Ensuite, l’extension du périmètre fonctionnel et organisationnel, avec l’ouverture de services d’e-procurement, la création des profils de comptes utilisateurs et du processus achat centralisé/décentralisé. Enfin, la mise en place des interfaces avec l’ERP.

En matière de conduite du changement, le GIE McDonald’s Force a utilisé quatre leviers : un comité de pilotage animé directement par les franchisés, une vidéo diffusée à l’occasion de la convention nationale des franchisés, un tutoriel relayé par une hot-line et une newsletter mensuelle. « Nous avons eu la chance que ce projet soit directement porté par nos franchisés, ce qui a facilité l’adhésion du réseau », rappelle Marc Reuzé.

Covéa : mutualiser à grande échelle

Covéa, société de groupement d’assurances mutuelles qui réunit Maaf, MMA et GMF (14,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires, 11 millions d’assurés), a mis en place un système d’information achat couvrant la totalité du spectre de la maîtrise des dépenses en achats indirects (un périmètre d’environ 800 millions d’euros), depuis le sourcing jusqu’aux contrats, en passant par la gestion des relations avec leurs quelques 9 300 fournisseurs. Les achats directs pèsent 4,7 milliards d’euros et sont déjà mutualisés depuis 2007.

En 2010, le président de Covéa a mandaté le DG pour analyser et professionnaliser les achats indirects au sein du groupe Covéa, ce qui a donné lieu à un audit pour cartographier ces achats indirects. Constat : « Nos fournisseurs étaient mal connus, nous n’avions pas de base commune, ni de stratégie de mutualisation, peu ou pas d’outils de pilotage de la fonction achats, ni de vision consolidée, chaque enseigne était relativement autonome avec des procédures hétérogènes, et les achats étaient mal sécurisés sur le plan juridique », se souvient Sylvie Noël, directrice des achats de Covéa.

Après avoir recensé les besoins d’une soixantaine d’acteurs achats en interne, plusieurs chantiers ont été menés pour assurer la mise en place d’un tronc commun aux trois mutuelles, dans le cadre d’un programme baptisé « Ensemble pour mieux acheter ». Ce programme reposait sur plusieurs piliers : « La recherche d’un outil logiciel, une dynamique de mutualisation entre les trois enseignes, par exemple pour la formation et le recrutement, explique Sylvie Noël, un autre volet concernait les indicateurs pour homogénéiser les procédures, la mise en place de modèles de contrats pour gagner en fluidité, et l’identification des fournisseurs concernés par les obligations réglementaires Solvabilité II, afin de les mettre sous contrôle. »

Parmi les actions lancées : la publication d’un lexique achats permettant à tous de partager les mêmes notions autour de la segmentation achats de Covéa, la mise à disposition, pour les acheteurs et les directions métiers, d’un outil e-achats (Ivalua Buyer), et la mise en pratique de la démarche de mutualisation sur des dossiers tels que les prestations intellectuelles, la formation, le transport, etc. « Un outil de e-achats n’est que le support de la stratégie achats et nous ne voulions pas d’une solution contraignante nous imposant ses propres procédures », explique Sylvie Noël. Fin 2013, 1 800 utilisateurs sont concernés par la solution et la direction des achats a constaté un gain financier direct de 13%. « Nous attendions entre 10 et 15 % », précise Sylvie Noël, qui estime avoir également beaucoup gagné en traçabilité, visibilité de la fonction achat, transparence, et en partage de fondamentaux communs (procédures, bases fournisseurs, lexique…).

  E-procurement : les bénéfices pour les fournisseurs et pour les clients
 Pour les clients  Pour les fournisseurs
Optimisation des conditions d’achat et de négociation grâce à une meilleure connaissance des dépenses Collaboration renforcée (du fait de la réduction du nombre de fournisseurs)
Recentrage des dépenses sur un nombre plus réduit de fournisseurs Garantie du respect des conditions contractuelles
Mise sous contrôle de la procédure d’engagement de dépenses avec un workflow d’approbation Meilleure fluidité dans le processus de paiement
Automatisation de la comptabilisation des provisions comptables
Meilleure formalisation des commandes, grâce à des catalogues, des paniers-types, des moteurs de recherche…
  Source : FNAC, salon Solutions 2013.

 

  L’optimisation des achats indirects à la FNAC
 Existant  Objectif
150 entités (France et international)  Accroître la visibilité sur les achats indirects
 250 familles d’achats  Elaborer des processus d’engagement de dépenses
 Création récente d’une direction des achats indirects  Rationaliser le portefeuille de fournisseurs
 Peu ou pas de processus d’achats indirects  Recentrer et aligner les achats sur la politique groupe
  Source : FNAC, salon Solutions 2013.

 

  Les dix leviers d’actions des directions achats
 Leviers d’actions  %
Consolider les dépenses 44 %
Accroître la concurrence entre fournisseurs 37 %
Améliorer les processus d’achat 32 %
Accroître la collaboration avec les fournisseurs 29 %
Réduire le cycle d’achat 26 %
Réduire les achats 25 %
Restructurer les relations existantes avec les fournisseurs 25 %
Optimiser les coûts de la chaîne logistique 24 %
Restructurer la base fournisseurs 21 %
Sous-traiter les fonctions non stratégiques  14 %
Source : Deloitte Global CPO Survey 2013.

Achats de prestations de consultants : mission impossible ?

La standardisation et l’automatisation des achats font-elles bon ménage avec l’achat de prestations intellectuelles ? Le marché français du conseil en management est évalué, par Syntec Conseil en Management, à cinq milliards d’euros pour 2012 (hors audit, ingénierie, développement et intégration). Les auteurs du quatrième baromètre des achats de Syntec Conseil en Management, publié fin 2013, constatent « toujours et encore de vraies divergences entre acheteurs et consultants comme sur la question de la RSE ou des critères de sélection des acheteurs, tout comme sur le référencement qui reste un sujet sensible entre les deux parties. » Des divergences qui se retrouvent dans les estimations respectives de la qualité des relations entre consultants et acheteurs : pour les premiers, entre 2010 et 2013, cette qualité s’est dégradée, passant de 4,8 à 4,3 sur une échelle de 1 à 10. Pour les seconds, elle se serait améliorée, passant de 6,4 à 6,8, sur la même échelle.

Les acheteurs conservent certains préjugés sur les consultants, se méfiant parfois d’une profession « qui prétendait résister à un système d’analyse rationnelle et pour laquelle l’intuitu personae était très fort », analyse Katia Giancola, responsable des achats de prestations intellectuelles à la MaaF et référente pour ces mêmes achats pour l’ensemble du Groupe Covéa. Se pose en effet la question de la création de valeur, en regard des prix de journée ou des forfaits demandés. Selon Syntec conseil en management, « chaque prestation est le fruit d’une coproduction, d’un besoin souvent résumé dans un cahier des charges, mais qui peut évoluer au fil de la mission. De plus, chaque cabinet a une « patte » particulière pour approcher un sujet : il est donc nécessaire d’avoir un cadre de référence spécifique au conseil en management quand on traite des questions d’achat de prestations. »

Pour les acheteurs, la mise en place d’une grille de critères d’analyse précis pour évaluer la valeur d’une offre, les situations et les personnes impliquées, semble être une solution qui apporte une partie de la réponse, du moins dans sa dimension rationnelle. Mais « la pertinence, l’efficience, l’engagement, la capacité à se différencier, à innover et à faire monter en compétence les ressources internes via le transfert des connaissances sont autant de composantes de la valeur du conseil. Aussi subtil soit-il de les appréhender en amont, il semble essentiel à tous de les considérer dans l’approche d’achat », affirme Bertrand Maguet co-animateur du groupe Achats de Syntec conseil en management. Quoi qu’il en soit, il est impossible pour les acheteurs de considérer que leurs pratiques sont exemptes de risques. « Les résultats ne se mesurent pas seulement avec des indicateurs rationnels, mais aussi avec des indicateurs de satisfaction plus subjectifs », ajoute Bernard Maguet, la dimension de confiance devrait donc intervenir dans l’achat de prestations intellectuelles. Mais il est aussi vrai que « les consultants ont, de leur côté, des efforts à faire pour formuler et mesurer au mieux la valeur qu’ils apportent et faire preuve de conviction pour faire comprendre leur rôle et leur apport. »

Les consultants considèrent que le prix demeure le critère prédominant dans la décision des acheteurs, 60 % d’entre eux estiment même que son poids est croissant. Ainsi, dans le classement des critères d’achat, l’innovation a chuté pour se retrouver en quatrième position selon les acheteurs et en septième position d’après les consultants. Pour Katia Giancola, de la Maaf, « il faut sortir de ce préjugé sur la prime au moins-disant. Le prix n’est pas le critère dominant dans nos grilles : il compte pour 20 à 40 %. Ce que l’on cherche, ce sont des prestataires avec une méthodologie très claire. On regarde de près la philosophie du cabinet, son expertise et son avance, la rigueur avec laquelle il aborde les questions qu’on lui pose, la réactivité et la pertinence qui transparaissent dans les réponses qu’il donne. » Mais, sur ce point, le baromètre 2013 montre que les choses n’ont pas beaucoup évolué. En effet, le monde du conseil s’inquiète plus que jamais de la part accordée au prix dans la décision d’achat qui approche… 50 % en moyenne !