Echec des projets technologiques : les huit raisons majeures

Marty Cagan, ancien de HP et d’eBay, fondateur du Silicon Valley Product Group, partage son expérience des projets technologiques. Selon lui, plusieurs raisons expliquent pourquoi l’approche traditionnelle en cascade ne convient pas à ce type de projets.

Si l’on analyse quel est le processus projet le plus répandu dans les organisations actuelles, il s’agit bien souvent d’une déclinaison du développement en cascade, en dépit de la popularité des méthodes agiles. Ces projets démarrent par une idée émanant du marketing ou des clients. Ensuite, l’équipe établit un business case. Si celui-ci est validé, elle définit une feuille de route, qui se présente généralement sous la forme d’une liste de fonctionnalités, hiérarchisées en fonction des priorités.

Viennent ensuite la définition des exigences, le design de l’application, puis le développement et les tests. Enfin, le processus s’achève avec le déploiement ou le lancement du produit. Mais cette approche souffre d’insuffisances, affirme Marty Cagan, auteur d’un ouvrage sur les meilleures façons de concevoir les produits que les consommateurs vont aimer (Inspired : how to create products customers love, SVPG Press). Il identifie huit biais qui conduisent à développer des solutions bancales.

1. Des idées qui manquent de cohérence
« Les produits conçus par les directions marketing ou les clients sont souvent mauvais en terme de cohérence », estime Marty Cagan. « Ceci pour une raison simple : ces derniers ne savent pas ce qui est possible au niveau technique. » Or, dans le cas de projets technologiques, la solution naît bien souvent de la technologie elle-même. « Cela ne veut pas dire que les idées de ces acteurs sont mauvaises en elles-mêmes. Simplement, les métiers ne sont pas forcément les meilleures sources d’idées ».

Pour Marty Cagan, ce sont les ingénieurs qui sont les mieux placés pour savoir ce qui est possible ou pas avec la technologie. Le problème, c’est qu’ils ne sont presque jamais invités à fournir des idées, ni même consultés pour les évaluer. Une autre source d’idées précieuse à l’heure actuelle est constituée des données elles-mêmes. À l’heure du Big Data, ces données sont une mine qu’il serait handicapant d’ignorer.

2. Des business cases faussés
Les business cases (études d’opportunités) ne posent pas de problème s’ils sont réalisés correctement. Néanmoins, bien souvent, ils se limitent à deux questions : « Combien d’argent ce produit peut-il nous rapporter ? » et « Combien cela va-t-il nous coûter ? » Si ces deux enjeux sont légitimes, ils soulèvent deux difficultés : à ce niveau, il est en effet impossible de savoir si la solution va être une source de revenus ou pas, cela dépendra entièrement du produit livré.

Ainsi, même si Amazon élabore des business cases, dans le cas d’AWS (Amazon Web Services) l’entreprise n’avait aucune idée du chiffre d’affaire qu’elle pouvait en attendre : leurs prévisions oscillaient entre un million et un milliard de dollars par an… « La plupart du temps, les entreprises pensent gagner beaucoup d’argent et, au final, elles n’obtiennent rien », assène Marty Cagan. De la même façon, impossible d’estimer le coût de la solution tant qu’on ne dispose pas des détails de celle-ci. « À cette étape, l’estimation des coûts s’apparente à se contenter des tailles de t-shirts (Small, Medium, Large ou XL). »

3. Une feuille de route approximative
Les feuilles de route annuelles répondent aux besoins du management de prédire et d’anticiper. Néanmoins, elles ont deux inconvénients majeurs : d’une part, au moins la moitié des fonctionnalités listées ne seront pas utilisées par les clients, soit parce qu’elles prennent plus de temps que prévu à développer et qu’elles sont abandonnées en cours de route (en moyenne, seules 20 % des fonctionnalités prévues sont livrées), soit parce que le client ne parvient pas à les utiliser (problèmes de design et d’expérience utilisateur).

D’autre part, les fonctionnalités qui seront livrées vont nécessiter beaucoup d’itérations avant de dégager des bénéfices. « Le Time-to-Market compte, mais moins que le Time-to-Money », pour Marty Cagan. Les feuilles de route contraignent donc les développeurs à passer plus de la moitié de leur temps sur des fonctionnalités inutiles, temps perdu pour travailler sur celles qui importent vraiment. Plutôt que de se concentrer sur les détails de la roadmap, Marty Cagan cite Jeff Bezos, patron d’Amazon : « Soyez bornés sur la vision et flexibles sur les détails. »

4. « Des équipes de missionnaires, pas de mercenaires »
Les responsables produits n’élaborent pas la liste des exigences et le design, seuls dans leur coin. Ils travaillent de pair avec les designers et les développeurs. Toute l’équipe projet doit croire en ce sur quoi elle travaille, il ne s’agit pas simplement d’implémenter les idées d’autres personnes. « Utiliser les équipes d’ingénieurs juste pour écrire du code revient à se priver de la moitié de leur valeur », estime Marty Cagan.

5. Pas assez d’agilité
Dans le processus classique, en cascade bien souvent, l’agilité n’arrive qu’en phase de développement. Le degré d’agilité global est donc en réalité très faible, même si l’équipe utilise quelques méthodes agiles. Dans ce cas, le problème vient de la manière même de concevoir et de diriger les projets.

6. Des fonctionnalités privilégiées par rapport aux objectifs métiers
Encore un effet pervers de la feuille de route : l’équipe risque de s’échiner sur une fonctionnalité précise sans succès (par exemple intégrer le module de paiement en ligne Paypal), simplement parce qu’elle figure sur la liste des prérequis, sans voir que l’objectif métier sous-jacent (gagner des clients à l’international) peut être atteint par d’autres moyens. Une meilleure approche serait de prioriser les objectifs métiers plutôt que les fonctionnalités.

7. Une validation trop tardive par les clients
Les entreprises gagneraient à s’inspirer de processus comme le Lean Start up : plus tôt on peut intégrer le retour des clients dans son processus, mieux c’est. A travers des approches comme le MVP (Minimum Viable Product), des fonctionnalités inutiles peuvent être éliminées plus vite, tandis que des fonctionnalités pertinentes sont identifiées plus en amont.

8. Des opportunités non saisies
Les start-up ne peuvent pas se permettre de travailler selon le modèle en cascade, à la fois lent et coûteux, car elles seront certainement à court d’argent avant d’avoir terminé. Dans les grandes entreprises, le facteur bloquant est plutôt la patience du management. Dans le même le laps de temps, une bonne équipe produit peut faire beaucoup plus en mettant en place un processus basé sur la découverte et la livraison continues.


Expérience client : les principes fondamentaux

Kerry Bodine, co-auteur de l’ouvrage Outside in the power of putting customers at the center of your business (Ed. New Harvest), est intervenue lors de la conférence USI 2016 sur le thème de « la valeur commerciale de l’expérience utilisateur » : « Si l’on met en parallèle le classement ACSI des entreprises (indice de satisfaction des clients américains) et le classement des performances boursières, la plupart du temps ce sont les mieux placées dans le premier qui affichent les meilleurs résultats.

Pour une bonne expérience client, il importe de se connecter à la fois aux mains, à la tête et au cœur du client : les mains, pour permettre au client de faire quelque chose dont il a besoin ; la tête pour lui permettre de le faire facilement, avec un moindre effort ; le cœur pour lui offrir une expérience plaisante. Souvent on limite l’expérience client aux interactions directes que l’organisation peut avoir avec lui (e-mail, téléphone). C’est une erreur, il faut prendre en compte l’ensemble de son parcours. Par exemple, dans le cas d’une visite au musée, le trajet pour accéder à une exposition, les files d’attentes comptent tout autant que la visite proprement dite. Il ne faut pas faire une cartographie du parcours client en se basant sur ses présupposés, mais plutôt emmener ses clients et les observer pour voir ce qu’il en est vraiment. Il est important que tous les collaborateurs se sentent inclus dans ce parcours, même ceux qui ne sont pas au contact direct des clients. »

Pour en savoir plus : http://outsidein.forrester.com