Entreprises orientées données : les six axes stratégiques

Même sans le savoir, toutes les entreprises sont orientées données. Mais celles qui sont les plus avancées ont généralement formalisé une stratégie qui peut se décliner en six axes. Lorsqu’il s’agit de se positionner comme une entreprise orientée données, l’optimisme règne.

Selon une enquête publiée début décembre 2016 par l’EBG (Electronic Business Broup), avec Keyrus et Qlik, 57 % des managers français interrogés (responsables marketing, directions générales et DSI) estiment que leur organisation est totalement ou partiellement orientée données. Et 38 % se considèrent même en avance par rapport à leurs concurrents. Au-delà des chiffres, plutôt encourageants, favoriser une orientation données peut se justifier à travers six axes stratégiques :

  • Créer plus de liens, notamment avec les clients.
  • Exploiter les données avec plus de profondeur.
  • Imaginer de nouveaux services et de nouveaux usages.
  • Produire plus d’adhérence au numérique.
  • Améliorer la performance.
  • Développer l’intelligence dans la prise de décision.

1. Créer plus de liens pour mieux connaître les clients

L’un des premiers atouts d’une valorisation des données concerne la connaissance client, d’autant que les données existent déjà le plus souvent dans le système d’information de l’entreprise et qu’il suffit de savoir (et de pouvoir) les exploiter à bon escient. Dans l’enquête EBG-Keyrus-Qlik, les résultats obtenus dans ce domaine dépassent les attentes : ainsi, six entreprises sur dix ont observé une amélioration de l’expérience client, alors que cinq sur dix s’attendaient à des effets positifs. Il en est de même pour la fidélisation des clients : une entreprise sur deux a observé des effets positifs, alors que seulement une sur trois anticipait de tels résultats.

Exemple : le groupe Barrière (hôtellerie, casinos, golfs, restaurants), qui a entrepris d’homogénéiser sa vision clients. « Nous évoluons dans le domaine du luxe et si l’on veut proposer un service personnalisé, il faut exploiter toutes les données clients. Celles-ci ne sont pas que quantitatives, nous récupérons aussi des éléments non structurés, tels que les commentaires des clients qui nous fournissent des informations précieuses », estime Marion Cardon, vice-présidente en charge du marketing digital du groupe Barrière. L’objectif est d’identifier le client unique quels que soient les endroits qu’il fréquente (hôtels, casinos, spas, golfs, restaurants) « L’enjeu est de casser les silos de données », résume Marion Cardon.

Chez Arval, entité du groupe BNP Paribas pour le leasing automobile, les données sont utilisées pour mieux cerner le comportement des clients (acheteurs, gestionnaires de flottes, conducteurs…). Le groupe a lancé, en 2013, Arval Smart Experience, basée sur des applications Web et mobiles et sur un incubateur pour récupérer les données sur les usages et les comportements des conducteurs. « Nos clients ont davantage besoin d’un service plutôt que d’un bien et les données de comportement sont réconciliées pour obtenir une vision complète du parcours client », explique Gabriele Lochis, en charge du digital chez BNP Paribas Arval.

2. Exploiter les données avec plus de profondeur pour adapter les offres existantes

L’orientation vers les données permet plus de profondeur, à trois niveaux : d’abord, les données existantes peuvent être exploitées différemment, grâce à des outils adaptés. Ensuite, avec le recours à l’Open Data (ou à des sources externes), on peut les enrichir pour multiplier les points de vue et générer de nouvelles idées. Enfin, on peut combiner différentes sources internes, dans le cadre d’une approche de « désilotage » des données. « Notre business modèle historique se trouve remis en cause parce que les usages ont changé, surtout avec les jeunes générations et face à des acteurs comme Google et Facebook, nous devons tout réinventer pour capter les téléspectateurs avec un ciblage publicitaire et non plus seulement apporter une puissance d’audience aux annonceurs », explique David Mimoun, responsable Business Intelligence et CRM chez TF1. La direction générale du groupe a nommé un responsable des données orientées clients, l’idée étant de « mieux connaître le client pour mieux le cibler et lui proposer de nouvelles offres publicitaires », ajoute David Mimoun. Des projets simples créent souvent de la valeur : TF1 a ainsi acheté des données issues des ventes en grandes surfaces pour les corréler aux montants des investissements publicitaires des annonceurs de la chaîne « Cela ne coûte pas cher, c’est juste de la réconciliation de bases de données, mais lorsque l’on montre les résultats à la direction générale, les effets sont très positifs », assure David Mimoun.

Chez son concurrent M6, l’approche est similaire, pour adapter les modèles publicitaires à partir des masses de données disponibles sur les téléspectateurs. La chaîne a ainsi lancé sa plateforme Data Smart 6TEM pour collecter le maximum de données sur les usages des services et des marques du groupe. « Nous avons toujours exploité des données, mais celles-ci étaient souvent panélisées, avec peu de volumes », justifie Karim Louedec, Chief Data Scientist de M6, pour qui « l’accès aux données ne doit pas être un privilège, tout le monde doit pouvoir l’exploiter. Le rôle de l’équipe dédiée est de mettre à la disposition des métiers les données exploitables par des outils de visualisation. »

3. Créer de nouveaux services et de nouveaux usages

Par rapport à des business modèles existants, une exploitation intelligente des données facilite la création de nouveaux services, souvent innovants. Dans l’enquête EBG-Keyrus-Qlik, une entreprise sur deux met en exergue la détection de nouvelles opportunités grâce à une meilleure exploitation des données. Exemple : Butagaz, qui a lancé son service click&collect, pour l’instant en test dans un département (Isère), et s’est associé à une start-up pour développer une serrure connectée, dédiée à l’accès aux stocks de bouteilles de gaz que l’on trouve, par exemple, dans les stations-services des grandes surfaces. « Nous sommes partis du besoin d’autonomie du client pour se réapprovisionner en gaz n’importe quand, grâce à son smartphone : sur cent personnes qui téléchargent l’application, la moitié créent leur compte et la moitié de ces derniers commandent », souligne Claire Bordeaux des Barres, directrice du marketing pour les produits GPL chez Butagaz. Et les utilisateurs séduits par ce nouveau moyen de consommer sont souvent de nouveaux clients. Le groupe anticipe, à l’horizon 2020, 15 % de son chiffre d’affaires via ce canal, qui sera déployé progressivement au niveau national à partir de 2017.

4. Développer l’adhérence au numérique pour changer la culture de la donnée

Lorsque la donnée est positionnée comme un levier de performance d’une entreprise, il est logique que s’installe, avec le temps, une culture de la donnée qui irrigue toute l’organisation. Exemple : Engie, qui a entrepris de diffuser la culture de la donnée dans l’ensemble du groupe : « L’énergie a besoin de données, de systèmes d’information et de réseaux de télécoms, la donnée étant le fil conducteur de la stratégie dans un contexte où le secteur énergétique évolue vers un monde en 3D : décarboné, décentralisé et digital », explique Régis Ravalec, Group Data Officer chez Engie. Mais le groupe énergétique n’a pas privilégié une approche Top Down : « Nos 24 business units sont très décentralisées avec beaucoup d’autonomie, c’est le même principe qui s’applique à la gestion des données », ajoute-t-il. Le groupe a favorisé une approche Open Data interne, avec des jeux de données communs pour évaluer le nombre de redondances des données. Par ailleurs, Engie a initié une démarche de Data Thinking : des petits groupes de cinq à dix personnes participent à des ateliers de créativité, dans lesquels, à partir d’un échantillon de données, il est demandé de résoudre un problème. Les résultats sont présentés sous forme visuelle. « L’approche fonctionne aussi bien pour le comité de direction que pour les métiers et l’intelligence collective produit des résultats étonnants, nous sommes aujourd’hui assaillis de demandes », assure Régis Ravalec. Impulser une culture de la donnée ne peut se faire qu’avec un minimum d’incitations. Chez Engie, « les managers ont obligation d’améliorer leur efficacité basée sur les données, et l’on mesure la progression », révèle-t-il.

5. Améliorer la performance interne

L’exploitation des données contribue à remodeler les processus internes et à les améliorer. Exemple : la SNCF, qui a créé des Fabs, dont une dédiée au Big Data. « Nous ne sommes ni les porteurs de projets ni un incubateur, nous encourageons les métiers à s’emparer du sujet et à monter en compétence », explique Marine Mizrahi, responsable de programme au sein de la Fab Big Data de la SNCF, qui compte 25 collaborateurs. Parmi les projets portés figure l’analyse prédictive des risques de perte d’adhérence entre les rails et les roues des rames, « domaine où le ROI devrait être conséquent », assure-t-elle. Chaque projet, qui passe par cinq phases (émergence du besoin, cadrage, POC, pilote et production), doit répondre à trois critères : d’abord, la motivation des métiers. « Le Big Data est une aventure collective qui suit un chemin sinueux, souligne Marine Mizrahi, et l’on doit croiser des données de différentes entités métiers, qui restent frileuses à les partager. »

Second critère : le retour sur investissement potentiel. « C’est souvent difficile, mais on peut au moins évaluer l’intérêt stratégique, par exemple sur le taux de régularité des trains ou sur la sécurité », ajoute la responsable de programme. Enfin, la capacité à faire : « Il y a toujours des attentes magiques, encouragées par les acteurs du marché, qui laissent penser que l’on peut tout prévoir et tout modéliser, or on ne peut pas tout faire et si ce point n’est pas clair dès le début, on court à l’échec », assure Marine Mizrahi, qui s’appuie sur un réseau de spécialistes de la donnée dans les métiers pour identifier les projets potentiels. Mais aussi sur les équipes de la DSI : « La donnée est stockée dans des bases de données, il y a l’historique à gérer. Dès lors que l’on envisage d’industrialiser, il faut penser IT, sinon on perd en agilité, contrairement à ce que l’on pourrait penser. C’est la logique du ET (IT et métiers et digital) et non pas la logique du OU, ou du CONTRE… »

6. Créer plus d’intelligence pour faciliter la prise de décision

Disposer de davantage de données contribue-t-il à améliorer la qualité et la rapidité des prises de décision ? Il semble que oui, parce que cela compense les biais cognitifs et le « bruit » qui entoure les prises de décision (Cf. l’article « Du bruit dans la prise de décision », Best Practices SI, n° 183, 12 décembre 2016). Mais, sur le terrain, cet objectif est probablement le plus difficile à concrétiser. « Beaucoup d’entreprises sont encore en phase d’apprentissage et multiplient les Proof of Concept (PoC) sur la prise de décision ou le pilotage de l’entreprise, mais le mode industriel est encore rare », notent les auteurs du rapport du Cigref sur la valorisation des données dans les grandes entreprises.


Les quatre points de vigilance

Pour parvenir à progresser dans la voie d’une organisation orientée données, au moins quatre points de vigilance doivent être traités : les compétences, le retour sur investissement, la résistance au changement et les volumes de données.

Même si, comme l’affirme Fakhreddine Amara, directeur de l’activité Data Intelligence chez Keyrus, « 90 % des sujets qui concernent les données ne nécessitent pas de compétences pointues », cette question se pose, à la fois pour les aspects opérationnels (exploitation et analyse des données) et stratégiques (fonctions de Data Scientist ou de Chief Data Officer). « Il est préférable de positionner un CDO aux côtés du DSI, cela évite de chercher régulièrement des coupables », suggère Gabriele Lochis, en charge du digital chez BNP Paribas Arval. Pour ce dernier, le recrutement d’un Data Scientist ne doit pas être une priorité. « Il faut d’abord penser à l’outillage de base pour gérer les données. » En prenant soin, cela va de soi, de recruter les bons profils. Le groupe Barrière a recruté un Data Scientist, mais, nuance Marion Cardon, « avec notre niveau de maturité, c’est comme si nous avions acheté une Ferrari pour creuser des sillons dans un champ ; toutefois cette fonction nous aide à construire la connaissance autour des données. Nous construisons une vision stratégique ensemble, avec la DSI, nous sommes sortis du débat DSI-métiers. »

Le retour sur investissement, lui aussi, mérite attention. « Démontrer le ROI est toujours compliqué », reconnait David Mimoun, de TF1. Pour Marion Cardon, dans ce domaine, « il faut savoir gérer le temps, la valorisation des données est une stratégie à long terme et si l’on exige un ROI à un an, il n’y en a pas ! Il faut éviter de gérer trop de projets et accepter de prendre son temps au début pour en gagner ensuite ! »

La résistance au changement, qui s’exprime dans les projets de valorisation de données, comme dans n’importe quel exercice de transformation des processus et de la culture d’une organisation, se concrétise le plus souvent par le fait que les propriétaires de données ne sont pas partageurs par nature. « Souvent, lorsque l’on parle des données, c’est pour mettre en exergue le fait que les autres n’y arrivent pas : la DSI ne saurait pas gérer les flux, les métiers se sauraient pas collecter les données et le marketing serait incapable de les utiliser », résume Marion Cardon. « Les métiers sont très protecteurs de leurs données, mais le sont moins dès lors que l’on démontre la valeur créée en croisant des données clients et des données de flux dans les magasins », nuance Olivier Françoise, en charge de l’Innovation & Business pour l’IT multicanal à la DSI de Carrefour. Pour obtenir l’adhésion des équipes, TF1 a privilégié une approche Top Down : « Lorsque le comex adhère, le déploiement se fait naturellement, mais c’est une révolution culturelle et elle prend du temps », résume David Mimoun, de TF1, pour qui « il faut des indicateurs communs, partagés et justes. » Pour Marion Cardon, « il faut à la fois manier la carotte (des indicateurs communs, utiles à tout le monde) et le bâton (reporting sur la fiabilité des données). »

Toute orientation vers les données pose la question des sources et des volumes, qui peuvent être considérables. « Certes, il faut nourrir les managers avec les données, mais pas trop, car ils risquent l’indigestion, il est préférable de prioriser et d’avancer sur le long terme pour redonner progressivement confiance dans l’usage des données », estime Marion Cardon. Chez Engie, Régis Ravalec conseille de « sensibiliser les managers, afin qu’ils ne se laissent pas submerger par les volumes de données, car, souvent, quelques centaines de données peuvent débloquer une situation. »

Les propos ont été recueillis lors des conférences EBG (Electronic Business Group) « Data Driven entreprise » et « IoT & Big Data au service du ROI ».


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Source : Data driven entreprise, résultats du baromètre EBG, Qlik, Keyrus, novembre 2016

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Les six axes stratégiques d’une entreprise orientée données

Source : Digitalonomics.

 

Entreprise orientée données : stratégies et points de vigilance
Stratégies Pour quoi faire ? Points de vigilance
Créer plus de liens Mieux connaître les clients Veiller à la qualité des données et à la pertinence des sources externes
Exploiter les données avec plus de profondeur Adapter les offres existantes
Créer de nouveaux services et de nouveaux usages Élargir la base installée de clients, générer du chiffre d’affaires supplémentaire Intégrer le Time to Market dans les réflexions sur les business modèles
Développer l’adhérence au numérique Changer la culture de la donnée Investir dans la communication à long terme
Améliorer la performance interne Fiabiliser/refondre les processus existants Éviter d’améliorer la performance de processus… inutiles
Créer plus d’intelligence Faciliter la prise de décision Veiller à une présentation synthétique et visuelle des données
Source : Digitalonomics.