Avec des afflux de liquidités et la fin de la pandémie qui se profile, l’économie mondiale est bien positionnée pour une accélération des fusions et acquisitions, mais aussi des détourages de systèmes d’information. Encore faut-il se préoccuper des systèmes d’information, en particulier des infrastructures.
L’intégration informatique est souvent une réflexion qui n’intervient qu’après la fusion. Selon une étude du cabinet Wavestone, publiée en 2020, seulement 45 % des entreprises qui en acquièrent une autre, ou qui fusionnent, n’ont pas traité les questions IT avant la signature du rapprochement. Cette négligence peut entraîner une augmentation des frais généraux informatiques et une diminution de la productivité. Malheureusement, il n’est pas rare que les entreprises aient besoin de plus de temps pour réaliser un retour sur investissement, dans le cadre des fusions et acquisitions, face à l’échec ou à la prolongation de l’intégration des opérations et des technologies. « Une intégration informatique incohérente peut entraver le flux de travail et les processus entre les deux entités de fusion et acquisition, mais aussi mettre en danger les objectifs commerciaux », précise Geeman Yip, fondateur de BitTitan, pour qui ce n’est toutefois pas une fatalité : « Évaluer, combiner ou consolider correctement les systèmes peut éradiquer les redondances, centraliser et renforcer les pratiques de sécurité, prévenir la perte de données et, en fin de compte, économiser du temps et de l’argent. Sans parler de l’impact positif d’une intégration informatique bien planifiée sur les salariés, qui peut conduire à une meilleure fidélisation du personnel durant une période cruciale du cycle de vie d’une entreprise. »
Ainsi, la mobilisation de toutes les équipes de la DSI dans le processus de fusion et acquisition est essentielle à son succès. « Toute erreur dans la fusion des infrastructures IT peut générer une frustration inutile et compliquer un processus déjà complexe. Toute défaillance dans la planification, les tests, la communication et l’expertise peut conduire à des résultats désastreux », analyse Geeman Yip.
Lorsque les entreprises ne mobilisent pas la DSI dès les premières étapes de la planification de l’opération de fusion, cela peut entraver la sensibilisation concernant les considérations technologiques essentielles du projet. Il peut s’ensuivre un impact négatif sur les synergies, avec un risque supplémentaire concernant l’intégration des technologies et la génération de coûts superflus. En outre, la mobilisation précoce de la DSI permet d’évaluer les coûts de consolidation, qui font partie des dépenses globales de l’acquisition.
Les systèmes d’information pouvant varier considérablement entre deux entreprises en termes de statut, de périmètre et d’ancienneté, il est essentiel d’évaluer et de comprendre les systèmes fusionnés. Tout déficit technologique existant qui n’est pas évalué en profondeur pourrait entraîner une allocation de ressources coûteuse et nécessiter de consacrer du temps à la modernisation des technologies et à l’unification de l’infrastructure IT.
Quatre étapes pour optimiser la valeur
Pour rationaliser les ressources IT et obtenir un retour sur investissement optimal, quatre stratégies sont à privilégier.
- Évaluer. Les DSI doivent prendre des décisions disciplinées et stratégiques concernant les systèmes qui seront conservés et consolidés et mobiliser les bonnes personnes lors de leur analyse. Ils doivent évaluer les chaînes d’approvisionnement, l’ERP, les systèmes de rémunération, les solutions cloud, les systèmes Legacy, etc. « Lorsqu’elles sont bien planifiées, les migrations permettent d’économiser en moyenne environ 15 % des dépenses IT totales », certifie Geeman Yip.
- Privilégier la gouvernance des données. L’entreprise acheteuse doit profiter de cette opportunité pour évaluer quelles données doivent être conservées. La création d’un plan de gouvernance des données est un moyen efficace pour les deux entreprises de réduire les volumes de données électroniques anciennes qu’il n’est plus utile, ou nécessaire, de sauvegarder. Les entreprises accumulent de plus en plus de données chaque année et très peu de données électroniques sont supprimées face à la disponibilité croissante de l’espace de stockage. Une grande partie de ces données est potentiellement inutile. Leur conservation peut nuire à la productivité, notamment à la capacité de localiser des fichiers, ou, pire, créer une responsabilité lors d’un audit ou d’une inspection légale. La création de politiques en matière de rétention pour différents types de données pourrait permettre de gérer un excédent de ces données.
- Tirer parti de la synchronisation. La synchronisation facilite la coexistence à court et à long terme entre les systèmes. Cette période de migration, plus longue, permet aux systèmes de conserver une vision holistique des informations au sein des deux organisations.
- Assurer le suivi. Une fois la fusion terminée, les équipes informatiques doivent encadrer et suivre les nouvelles solutions mises en œuvre. Des outils tiers et des solutions automatisées peuvent renforcer l’efficacité grâce à des évaluations de l’utilisation des logiciels, des analyses de coûts et l’identification de moyens pour améliorer l’adoption et l’utilisation. Ces outils automatisés peuvent également exécuter des politiques système, ce qui réduira les écarts concernant le contrôle d’accès, les licences, les profils d’identité et les fonctionnalités. « Si la société absorbante a fait les trois premières étapes, la consolidation finale et la migration des données devraient être fluides et faciles », assure Geeman Yip.
Mais, en parallèle des opérations de fusions-acquisitions, dans lesquelles il faut intégrer un ou plusieurs systèmes d’information, les scissions (détourage, ou carve out) se multiplient : lorsqu’une entité non juridiquement indépendante est cédée, se pose inévitablement la question du système d’information qui, lui aussi, doit être « détouré ». Comment réussir cette opération souvent délicate ?
Les années 1980 et leur flot d’acquisitions et de fusions sont maintenant loin derrière nous. La crise est passée par là et nous assistons, depuis une décennie, à la fois à un renversement et à une accélération de la tendance au profit d’opérations de désinvestissement ou de restructuration par de grands groupes nationaux et multinationaux qui se recentrent sur leur cœur de métier.
Ces situations de scission bouleversent les opérations de l’entreprise à tous les niveaux. Elles impactent généralement la fonction support qu’est l’informatique et plus particulièrement le système d’information. Il est donc nécessaire, pour réussir pleinement un carve out, de ne surtout pas négliger ce volet souvent très complexe, dont il faut comprendre les étapes, le pilotage, mais aussi éviter les pièges, afin d’atteindre les objectifs fixés initialement.
Les opérations de carve out respectent un processus bien connu des investisseurs et de la plupart des directions générales ou financières des grandes entreprises. Mais le volet IT l’est moins alors qu’il est pourtant déterminant, à la fois pour les vendeurs, leur permettant d’être plus sereins dans leurs opérations de détourage et de cession, pour les fonds d’investissement, afin de mieux appréhender les enjeux, les risques et les coûts de leur nouvelle acquisition, et pour le futur repreneur, qui peut ainsi mieux calibrer et piloter « l’atterrissage » de l’IT dans son périmètre. Quatre bonnes pratiques sont adaptées pour une opération de détourage.
1. Réaliser un audit flash de l’existant et préfigurer la cible, en amont de la phase de transition
Pour définir la cible idéale de l’informatique et du SI de la nouvelle entité, il faut auditer l’existant. Cela doit se réaliser le plus en amont possible de la phase de transition, afin que cette préfiguration puisse être un argument rationnel opposable lors de négociations pendant cette période, les effets de surprise n’étant jamais bienvenus dans ce contexte. L’anticipation, l’évaluation et le traitement rapide des risques permettront aussi d’oublier le moins d’éléments possibles lors de la négociation financière.
L’audit du système d’information s’effectue en mode optimisé à partir d’un périmètre précis et dans un laps de temps volontairement restreint. Les entretiens sont limités aux seules personnes clés du dispositif et le manager en charge de la transition doit très rapidement planifier les rendez-vous et s’assurer de la disponibilité immédiate de ses interlocuteurs.
- Les recommandations ne sont pas orientées sur des améliorations, mais ont trois objectifs principaux :
- Établir un diagnostic de l’existant le plus objectif possible. Proposer et évaluer une préfiguration de la cible IT.
- Identifier et évaluer tous les risques inhérents au détourage.
2. Porter une attention particulière aux applications clés et aux ERP
Parmi les composants clés des systèmes d’information figure l’infrastructure informatique dont le repreneur peut, moyennant un coût de services maîtrisable, s’affranchir relativement facilement grâce à des solutions de type cloud (IaaS et PaaS) ou à l’infogérance. En revanche, pour les applications critiques, cela semble moins évident. Il faut être particulièrement attentif à l’impact financier et en réasliser une évaluation fine, notamment pour les ERP.
Souvent négligée, la transition de l’ERP est en effet un sujet clé qui doit être anticipé dès que possible dans le carve out du système d’information. Les composants applicatifs qui y sont reliés sont tout aussi importants à traiter et à détourer, le cas échéant. La question de savoir si l’on garde le même ERP ou s’il on en change doit être traitée très en amont, car le timing pour sélectionner un nouveau fournisseur avec sa solution est serré et les conditions d’achat, d’intégration et de déploiement dans un nouvel environnement logiciel sont souvent complexes.
L’intégrateur de la solution doit également être soigneusement sélectionné et totalement dédié à la tâche, avec une mission prioritaire à lui rappeler impérativement afin d’éviter toute ambiguïté : livrer dans les temps impartis la solution paramétrée sur le périmètre fonctionnel convenu. Aucun écart fonctionnel ni délai ne doit être toléré.
Une approche souvent gagnante, en terme d’efficacité, est de rémunérer davantage cette mobilisation d’équipe, afin de garantir le succès de l’opération qui, en temps normal, consomme moins de ressources sur un temps plus long.
Cette impérieuse autonomie appelée « stand alone », recouvrée après le « day one », est cruciale, afin que les équipes de la nouvelle entité puissent, a minima, opérer dans un environnement non dégradé par rapport à l’ancien système. Attention, cependant, dans l’hypothèse d’un nouveau progiciel, la mise en place des formations et de la conduite du changement auprès des utilisateurs est à prévoir et à évaluer financièrement.
On l’aura compris, le mode d’engagement des prestataires pour ce sujet n’est en aucun cas un engagement de moyens, mais un engagement de résultats, avec des livrables prédéfinis et stipulés contractuellement.
3. Établir une direction de projet de type agile de bout en bout
Le pilotage du carve out IT, sous l’autorité d’un chef de projet, est indispensable, car l’opération a obligatoirement un début et une fin. C’est un manager de transition très expérimenté et polymorphe, rompu à la direction de projet, aux programmes de transformation, possédant une excellente connaissance des SI, tant dans ses problématiques stratégiques qu’opérationnelles. Il est nécessairement bon communicant. Il est donc le chef d’orchestre garant des engagements pris et de toutes les décisions et orientations IT, en collaboration avec les repreneurs.
4. Accepter une gouvernance de l’inattendu et un pilotage par les risques et les coûts
Tout au long du processus complexe du carve out IT, le manager responsable de l’opération doit s’adapter aux situations imprévues qui ne manqueront pas de survenir. Un pilotage en mode agile et orienté risques semble donc indispensable pour mener à bien la mission confiée. Pour cela, il doit anticiper la probabilité qu’un impondérable survienne et l’impact que peuvent avoir certains événements sur le projet.
Il est aussi le garant de l’enveloppe financière et de sa maîtrise. En effet, si les évaluations ne sont pas bien réalisées, certains événements non prévus risquent de gonfler significativement cette enveloppe et la rendre difficilement supportable pour la nouvelle entité. Cela peut également fragiliser le démarrage des activités tout en grevant une partie du budget qui lui est normalement consacré. Il faut donc estimer suffisamment en amont les impacts financiers, afin de les négocier au plus tôt dans le prix d’achat. Après il sera, hélas, trop tard…
Pour gérer correctement les événements inattendus, il convient d’être particulièrement vigilant sur l’atteinte de certains objectifs plus globaux du projet.
Le responsable du projet veillera en particulier à :
- Intervenir dès les phases amont du projet global de carve out.
- Constituer rapidement une équipe spécialisée, en s’appuyant sur son propre réseau d’experts et de prestataires.
- Valoriser chaque scénario en terme d’impact financier pour le repreneur.
- Faire comprendre aux équipes, encore en place et futures, comment travailler en mode agile.
- Capitaliser sur les imprévus survenus.
- Gérer le temps, en différenciant la gestion de l’imprévu et la gestion de l’urgence.
Ces quelques bonnes pratiques soulignées peuvent sembler relever du bon sens, mais, une fois la course lancée, force est de constater que les équipes engagées oublient parfois l’essentiel en se concentrant principalement sur les opérations financières et opérationnelles du détourage. Pourtant, le nouveau système d’information sera la pierre angulaire de la nouvelle entité, dès le jour de la scission.
Le choix du responsable du projet est donc primordial pour la réussite d’une telle opération. Sa capacité à accompagner les transformations, son indispensable vue systémique et ses leçons apprises seront des éléments déterminants. Il saura aussi « disparaître » le jour où il pourra transmettre les clés à un nouveau DSI recruté dans une démarche de transfert de connaissances maîtrisée.
Fusions et acquisitions : les cinq scénarios possibles pour le SI | |
Scénario | Bonnes pratiques |
Les deux SI sont compatibles | Interconnecter les deux SI |
Les deux SI doivent être conservés | Créer des passerelles pour les faire communiquer en conservant la cohérence organisationnelle |
Les deux SI sont incompatibles | Choisir le SI qui permet de supporter au mieux les activités de la nouvelle organisation |
Les deux SI sont peu développés et incompatibles | Créer un SI commun, en repensant l’architecture, les applications et les processus |
Les deux SI sont peu développés | Envisager l’externalisation |
Source : Intégration post-acquisition, quelles sont les clés pour réussir un rapprochement d’entreprises ?, Wavestone. |
Les différentes phases d’un projet de carve out de système d’information | |
Phases | Actions |
Audit et préfiguration de la cible |
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Planification, contractualisation et validation de la cible |
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Pilotage de la transformation |
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DSI de transition et mise en œuvre opérationnelle du SI |
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Source : ICG Group |
La mission du manager en charge de la transition se décompose en trois étapes :
- Avant la transition : le manager doit conduire un audit flash, savoir diagnostiquer rapidement un existant et préfigurer une cible IT dans l’atteinte des objectifs déjà prédéfinis. Il doit aussi planifier l’ensemble du projet de carve out IT, en identifiant, dès que possible, les prestataires qui viendront compléter le dispositif de migration, d’intégration et de déploiement de la future plateforme. Il doit donc être un homme de réseaux capable de formaliser un cahier des charges adapté à la situation et de mobiliser les équipes expertes dans leur domaine.
- Pendant la transition : il assure, sur la base du TSA (Transition Service Agreement) validé et à travers le cahier des charges prédéfini, la migration de l’ensemble du périmètre détouré, l’intégration et le déploiement de l’ensemble de la plateforme IT de la nouvelle entité. C’est une opération délicate qui se réalise à marche forcée, car les délais sont contraints et les pénalités de retard prévues au contrat peuvent handicaper financièrement et opérationnellement la nouvelle entité. Il veille aussi à la bonne exécution du contrat dans ses moindres détails, s’adaptant aux situations imprévues.
- Après la transition : le manager fait aussi office, pendant un temps défini, de DSI par intérim, s’assurant que le SI transféré est parfaitement autonome, déployé et fonctionne en mode non dégradé. Il veille aussi à ce que les équipes s’approprient ce nouvel environnement. Il doit, dans le même temps, projeter le SI vers ses nouveaux défis, en élaborant une première version du schéma directeur informatique. Enfin, il jette les bases d’une nouvelle gouvernance IT, formalisant les premiers rôles et responsabilités, les comités et processus ad-hoc de ce cadre, afin que son successeur puisse avoir toutes les cartes en main au moment de son arrivée. À ce titre, il participe aussi à son recrutement en élaborant une fiche de poste en adéquation avec les nouveaux challenges de la nouvelle entité.