Les DSI en première ligne pour gérer les crises… mais aussi pour en subir les conséquences, souvent brutales : l’éviction du DSI de son poste. Face à une situation de crise, il existe heureusement des bonnes pratiques qui permettent de limiter les dégâts, à la fois pour l’entreprise et pour le DSI qui les applique.
Au cours de sa vie, l’entreprise connaît des phases de stabilité, de croissance lente ou de croissance rapide, mais aussi des phases d’exception que sont les absorptions, les fusions, les cessions, ainsi que les périodes de crise, phases qui se caractérisent, par exemple, par une faible visibilité sur l’avenir, une incertitude sur les résultats ou des mutations sociales et techniques souvent brutales.
Dans le domaine de l’informatique, des systèmes d’information et, de manière générale, dans la mise en œuvre des technologies de l’information et de la communication, les directions générales ont à gérer des situations qui, souvent, les déconcertent, ce qui peut les inciter à externaliser sans discernement.
La crise est, la plupart du temps, non la conséquence d’une simple erreur, mais la résultante d’une longue série d’errements. Si les conséquences visibles sont les dysfonctionnements des systèmes opérationnels, neuf fois sur dix, dans le domaine des systèmes d’information, tout vient d’erreurs de management. C’est la raison pour laquelle on ne peut garder en place les responsables opérationnels qui ont présidé au désastre. Mais cela ne concerne qu’un nombre très limité de personnes.
La démarche et les techniques de traitement de telles situations de rupture ne sont que la mise en pratique, dans des circonstances certes particulières et avec une rapidité de mise en œuvre inhabituelle, des grands principes qui régissent la profession informatique et qui constituent les fondements sur lesquels doit être établie une DSI moderne.
Bonne pratique n° 1 : y voir plus clair
Il s’agit, tout d’abord, de déterminer l’origine des problèmes ou, tout simplement, de comprendre la situation. Le diagnostic doit être rapide et sûr. Ce n’est ni une étude détaillée de l’existant, ni un audit. En effet, en situation de crise, les repères et documents que l’on utilise habituellement n’existent pas ou, s’ils existent, sont soit faux, soit inutilisables.
Le budget, par exemple, est toujours faux. Il est donc totalement inutile de se lancer dans un audit laborieux et détaillé pour en faire le constat. La documentation opérationnelle est au mieux incomplète. Elle est en général inexistante ou alors illisible car ne comportant aucune synthèse. Quoi qu’il en soit, en temps de crise, quand les alertes et les mauvaises nouvelles se succèdent de manière ininterrompue, on n’a guère le temps de lire !
Pour savoir ce qui se passe, il faut prendre le temps d’écouter et savoir écouter.
Bonne pratique n° 2 : s’assurer de l’accord de la direction
Il s’agit essentiellement dans un premier temps de communiquer avec les décideurs en parlant leur langage et de s’assurer :
- qu’ils sont à la bonne place pour décider des affaires les concernant ;
- que la communication est organisée ;
- que le reporting fonctionne de manière efficace et transparente.
C’est à ces conditions que les systèmes d’information seront mis véritablement au service des objectifs généraux de l’entreprise, qu’ils seront supportés par les directions utilisatrices et que les moyens nécessaires à leur bon fonctionnement seront alloués.
Bonne pratique n° 3 : éclairer l’avenir
Tout au long de la première phase d’intervention qui consiste à aider l’entreprise à sortir de l’impasse, tant la direction générale que les équipes ont besoin d’informations sur l’état exact de la situation et sur le déroulement des opérations.
Elles ont également besoin d’espoir pour pouvoir supporter la dureté de la crise et, sans pour autant prétendre délivrer une vision stratégique que l’on n’aurait pas le temps d’étayer dans cette période troublée, il est bon de donner des indications sur ce que pourrait être la période d’après crise.
Avant de faire, il faut dire ce que l’on va faire puis faire ce que l’on a dit. C’est la base de la qualité ! Mais cela permet surtout de prévenir les réactions de peur et donne la preuve au membres du personnel qu’ils sont traités en adultes responsables et que l’on a besoin d’eux. Tous, y compris les syndicats et le comité d’entreprise, sont sensibles à une telle démarche. C’est la base d’une bonne collaboration.
Bonne pratique n° 4 : obtenir les moyens
Les directions générales se doutent bien qu’il va falloir investir, même si certaines annoncent en préambule qu’elles ont déjà trop dépensé et qu’elles ne veulent plus mettre investir davantage. Dans ce dernier cas, inutile d’insister, la situation ne peut évoluer favorablement !
Une mise à niveau se traduit couramment la première année par une augmentation des budgets de fonctionnement et d’investissements dans une fourchette de 20 % à 50 %. Le niveau réel de l’effort total à consentir n’est en général connu qu’au bout d’un an, une fois que l’on est sorti de la période de crise et que les budgets ont été nettoyés.
Il n’est d’ailleurs pas évident du tout que l’entreprise souhaite alors poursuivre son effort une fois sortie de l’ornière. C’est alors que l’on s’aperçoit de la difficulté qu’il y a à dépenser de telles sommes car, et surtout dans le cas où le budget initial était notoirement trop faible, des réflexes d’autocensure et d’autolimitation auront été acquis, dont il sera très difficile de se débarrasser.
Bonne pratique n° 5 : dire la vérité
Les constats que nous dressons lorsque nous sommes appelés à traiter une situation de crise ne sont en général pas reluisants et la voie à suivre pour en sortir est abrupte. Tout le monde le sait dès le début etil n’est donc pas utile de se voiler la face.
Si les constats factuels ne posent aucun problème pour être exposés et reconnus par les interlocuteurs, à condition d’être étayés par des faits incontestables, il n’en est pas de même des attitudes, des luttes de pouvoir, des jugements sur les personnes, des appréciations sur le bien-fondé d’une orientation, qui font certes partie du diagnostic, mais peuvent être interprétés comme des attaques personnelles et ruiner d’un coup toute crédibilité.
Un rapport de diagnostic doit tout dire, mais, pour être libre, il doit être adressé au commanditaire, sous forme papier, de manière confidentielle et nominative. Charge à ce dernier d’en faire ce qu’il veut. La version adressée au comité de direction est en général expurgée.
La vérité est presque toujours bien reçue car, en général, les collaborateurs de l’entreprise la connaissent et ce sont eux qui ont aidé à la découvrir. Il faut avoir le courage de dire la vérité à tous et sous la même forme, c’est la première base de la confiance.
Bonne pratique n° 6 : créer immédiatement les ruptures
Aider une entreprise à sortir de l’impasse est une opération de chirurgie lourde et il vaut mieux, lorsque l’on opère, ne pas avoir la main qui tremble. Cela demande du courage de prendre des mesures impopulaires et de les assumer face à la critique qui ne manquera pas d’apparaître.
Ce sont les ruptures qui feront sortir de l’ornière et qui ouvriront la voie vers l’avenir (nouvelle organisation, nouvelles technologies, nouveau management, nouveaux défis…). Mais il faut dans le même temps veiller à préserver les forces et potentialités existantes.
Bonne pratique n° 7 : fixer des objectifs
L’explication des objectifs à atteindre doit permettre à chaque personne de savoir à quel objectif d’entreprise répond le travail qui lui a été confié. En s’astreignant à ce travail d’explication, en éclairant la route au fur et à mesure que l’on avance, on gagne la confiance du personnel, sa coopération, sa considération. C’est l’essentiel du travail et tout le reste en découle.
Les objectifs doivent être clairs, accessibles, même s’ils semblent « déraisonnables ». Lorsqu’on reprend une situation en déshérence, il y a souvent tout à changer et on ne peut tout faire en même temps. Il y a donc à établir les degrés d’urgence en ne perdant pas de vue que seules des actions de fond peuvent porter remède à des problèmes à court terme, mais qu’elles peuvent être longues à mener et que l’urgence est là.
Le manager de crise est donc constamment confronté à des situations où il doit accepter des manières de faire qu’il sait devoir changer mais pour lesquelles il n’a, dans l’instant, pas les moyens de le faire. Les objectifs doivent être adaptés, bien sûr, dans leur horizon et leur ambition, à cette période de transition qu’est la période de crise.
Un manager qui a des exigences, qui sait obtenir les moyens d’une politique ambitieuse, qui sait montrer la voie, celle que personne n’osait emprunter, sera écouté, respecté, estimé.
Bonne pratique ° 8 : mobiliser les équipes
Tout bon projet est le fait d’équipes que l’on a su mobiliser sur un projet d’entreprise authentique, au-delà de ce qu’elles pensaient pouvoir faire. Dans ce domaine, il convient d’engager les actions suivantes :
- Motiver les équipes : la mise à niveau du management et la sélection attentive de ceux qui resteront sont les signes incontestables qu’un nouveau départ est possible sur des bases solides.
- Faire des équipes en place les acteurs du renouveau : la grande difficulté sera de transformer l’esprit des équipiers pour en faire des « traceurs », là où ils étaient des suiveurs. C’est là que se révèleront les meilleurs éléments. Leur implication leur redonnera leur fierté et garantira leur fidélité.
- Faire entrer du sang neuf, le changement passera par l’apport de compétences et d’idées nouvelles.
- Faire confiance, créer la confiance : il faut prendre le risque de faire confiance à la nouvelle équipe, faute de quoi rien ne peut être fait. De la confiance naît la coopération, comportement indispensable à la gestion des projets complexes où tous les acteurs ont un devoir d’assistance mutuelle.
- Introduire un esprit d’innovation : c’est en incitant les équipes à s’ouvrir sur le monde extérieur, à lire, à faire preuve de curiosité, à prendre des risques, à vouloir gagner, et en laissant les talents s’exprimer, que l’on crée les conditions de l’innovation, conditions favorisées par l’exemple venant d’en haut.
Bonne pratique n° 9 : rétablir l’opérationnel… et l’assurer
Le rôle du manager de crise permet de polariser toutes les énergies dans une même direction : assurer ou rétablir le fonctionnement des systèmes essentiels à l’activité de l’entreprise, systèmes qui sont souvent mal en point et dont les dysfonctionnements sont parfois occultés, voire niés.
Cela peut demander du temps, car, souvent, les causes sont profondes et on ne résout bien les problèmes à court terme qu’en ayant une vue à long terme. De plus, on ne peut traiter correctement des problèmes liés aux systèmes d’information sans traiter les problèmes d’organisation et de processus.
La période de crise est une période transitoire et l’opérationnel ne peut être assuré que lorsque les fondamentaux ont été rétablis. C’est au cours de cette période, au milieu du chaos s’il le faut, que l’on peut rappeler des évidences, mais qui avaient été oubliées depuis longtemps, telles que l’utilisation d’outils et méthodes professionnels ou la nécessité d’assurer une bonne qualité de service.
Toutes ces notions étaient souvent ignorées ou n’avaient plus cours depuis longtemps, mais les évènements soulignent sans conteste leur importance capitale. De même qu’apparaît impératif, aussi choquant ou provocateur que cela puisse paraître, le respect du client : une des caractéristiques permanentes des directions informatiques en crise est en effet le manque total de respect qu’elles ont pour leur client.
Bonne pratique n° 10 : travailler… et « laisser braire »
Quelle que soit la qualité de l’intervention du manager de crise, il sera critiqué.
La critique est la plupart du temps tolérée par la direction générale qui a pourtant fait appel à lui et, au café du commerce, les aigris et les braillards refont les batailles en démontrant « comment il aurait fallu qu’on… ». •
Cet article a été écrit par Philippe Tassin.