Gestion de portefeuille et PMO améliorent le pilotage de projets chez Alstom

Pour piloter ses projets informatiques, la DSI d’Alstom s’appuie sur un bureau de projets et sur des bonnes pratiques de gestion de portefeuille. Les conseils de Benjamin Bertrand, responsable PMO chez Alstom Transport.

La direction des systèmes d’information d’Alstom Transport gère un portefeuille d’une centaine de projets par an, dont une part importante sont rassemblés autour de quatre grands programmes stratégiques, axés sur quatre priorités : le progiciel de gestion intégrée (ERP), la gestion des données de référence (MDM), la gestion du cycle de vie des produits (PLM) et la gestion collaborative de la planification (PMS).

Ces programmes impliquent de piloter de nombreux projets en parallèle, dont certains de grande ampleur. Pour mieux gérer de tels projets, le groupe s’appuie depuis plusieurs années déjà sur un bureau de projets (en anglais, Project Management Office ou PMO) et des processus de gestion de portefeuille.

Benjamin Bertrand, responsable PMO pour la partie systèmes d’information, a mis en œuvre ces bonnes pratiques dans le cadre des projets informatiques. De son expérience, il a tiré plusieurs enseignements permettant de réussir ce type de démarche.

« On peut bien faire un projet sans pour autant faire le bon projet »

Les entreprises se focalisent généralement sur l’exécution des projets. Dans ce domaine, Benjamin Bertrand conseille de coller autant que possible aux grands référentiels existant dans le domaine, comme ceux du Project Management Institute (PMI) ou le CMMI du Software Engineering Institute de l’Université Carnegie Mellon. « Il faut respecter leurs fondamentaux, notamment le passage par des jalons bien marqués, avec des phases de décision de type go/no go et des livrables à fournir, ou encore la comitologie – à comprendre comme l’usage intelligent des différentes instances de pilotage prévues », relate Benjamin Bertrand.

Néanmoins, ce dernier apporte des bémols à une vision centrée uniquement sur l’exécution : « Ce qui fait la différence, c’est aussi la capacité du chef à animer son équipe, et ça, ça ne s’apprend pas. » Mais surtout, « on peut bien faire un projet sans pour autant faire le bon projet ». La vraie question en effet, c’est bien d’abord et avant tout de sélectionner les bons projets pour l’organisation, c’est-à-dire ceux qui lui apporteront de la valeur.

Quel chemin de valeur pour le projet informatique ?

Tout projet passe par un processus d’élaboration, où l’on part de l’idée pour mener ensuite une analyse, prendre une décision, construire une solution puis installer les livrables. Il faut industrialiser le processus de captage des idées, en permettant à l’entreprise de sélectionner les projets à plus forte valeur ajoutée et aux directions métiers de prendre les bonnes décisions.

Pour optimiser la sélection des projets, Benjamin Bertrand conseille d’actionner les leviers suivants :

  • Avoir un représentant de la DSI dans les comités de direction métier, qu’ils soient opérationnels ou fonctionnels, afin de s’impliquer le plus en amont possible.
  • Se doter d’un mécanisme de gestion des idées et d’un processus pour passer en revue ces idées, par exemple à travers des réunions de l’équipe tous les deux à trois mois. Il faut également se fixer des échéances pour la prise de décision, notamment pour valider les idées émergentes et les passer dans la catégorie « idées à exploiter », puis dans celle des « projets à réaliser ». Des outils comme les graphiques à bulle permettent de visualiser facilement le rapport valeur/coût des différents projets à l’étude.
  • Mettre en place des instances pour analyser les idées et préparer les acteurs, car tout cela demande du temps. « Il est loin d’être simple de rassembler les bons décideurs autour d’une table, explique Benjamin Bertrand. Or ce sont eux qui doivent déterminer quels sont les bons projets par rapport à leurs objectifs. »
  • Enfin, il importe de développer une culture de l’instruction des dossiers. Pour cela, « il faut de la rigueur, quantifier et qualifier les problèmes, faire valider ses hypothèses », explique le responsable PMO d’Alstom. « Nous avons par exemple fait une liste de tous les risques qui reviennent fréquemment et nous évaluons les opportunités pour y répondre. » Il suggère de prévoir des approches à tiroirs, avec des options et scénarios bien tranchés, à déterminer en fonction de la direction choisie.

La notion de valeur d’un projet n’est pas forcément limitée aux aspects financiers. Dans le projet de montée de version technique de son progiciel SAP, Alstom a par exemple déterminé que la valeur du projet résidait notamment dans la réduction d’un risque, ne pas faire ce projet aurait eu des conséquences car la précédente version arrivait en fin de support, devenait plus coûteuse à maintenir et plus complexe à faire évoluer au rythme des besoins métiers.

Pour analyser la valeur de manière simple, le groupe a identifié six critères, sur lesquels sont attribuées, pour chaque projet, des notes de 1 à 9. Ces critères sont par exemple la contribution du projet aux objectifs stratégiques de l’entreprise. L’étude de rentabilité, ou business case en anglais, est un élément essentiel pour l’analyse de la valeur. « Le cycle de vie du business case est plus long que celui du projet, explique Benjamin Bertrand.

Il démarre bien plus tôt et finit bien plus tard, car souvent les gains sont visibles après la fin du projet. » Partant de ce constat, Alstom met en place un mécanisme pour transférer la mesure de la valeur vers les métiers à la fin des projets une fois que l’équipe projet est démobilisée.

Gestion de portefeuille de projets

L’objectif de la gestion de portefeuille est de déterminer le meilleur équilibre et la meilleure séquence des projets proposés et existants, de manière à atteindre les objectifs stratégiques de l’organisation. « Si les objectifs changent, le portefeuille et ses projets évoluent, et on peut même être amenés à arrêter des projets en cours qui sont pourtant dans les délais et les budgets », souligne le responsable PMO SI. « Le piège, dans une telle démarche, c’est de commencer par l’outil. »

Pour Benjamin Bertrand, il faut avant tout :

  • identifier les organes et les instances de décision ;
  • voir quels sont les processus en œuvre et les règles du jeu ;
  • savoir à quelle vitesse l’organisation peut digérer le changement.

Il est préférable ensuite de procéder par étapes et itérations successives. Il ne faut pas commencer une démarche de gestion de portefeuille sans savoir par exemple ce qu’est un projet – des évolutions applicatives ne nécessitant que 15 jours en sont-elles réellement ? Au niveau de la gestion de portefeuille, il faut veiller à ne pas descendre trop dans les détails des projets, au risque de perdre de vue les enjeux globaux et d’en faire un gouffre temporel. « Il faut piloter par les livrables et les grands jalons pour ne pas entrer dans un cadre contraignant », explique le responsable PMO.

Chez Alstom, 20 % des projets représentent 80 % de la valeur financière du portefeuille, selon la loi bien souvent vérifiée de Pareto. Le responsable PMO SI d’Alstom conseille de concentrer les efforts sur ces fameux 20 %, en leur consacrant des tableaux de bord partagés et régulièrement mis à jour. « Afficher les résultats a un effet magique sur ces projets. En outre, cela contribue à l’effort de formation et de sensibilisation. »

Pour la DSI elle-même, la mise en place d’un PMO est génératrice de valeur : elle lui permet notamment d’évoluer vers un rôle de partenaire des métiers, l’étape ultime étant d’aboutir à un « Value Management Office », ou un « bureau de management par la valeur », où toute décision de projet est pilotée par la valeur. Le PMO devient alors un acteur à part entière de l’excellence opérationnelle, qui gère le portefeuille d’études de cas.

 

La chaîne de valeur d’un projet et les bonnes pratiques
Thématique Points d’attention et bonnes pratiques
Les phases amont de la chaine de valeur du projet Questions clés à se poser :

  • Comment industrialiser le mécanisme de captage des idées ?
  • Comment choisir et proposer les projets à plus forte valeur ajoutée ?
  • Comment mettre les directions métiers en position de prendre les bonnes décisions ?

Pistes de réflexions et bonnes pratiques :

  • être présent dans tous les comités de direction métiers
  • Mettre en place un mécanisme de gestion des idées à instruire (lieu de stockage unique, processus de revue)
  • Mettre en place des instances dédiées, des points de rendez-vous avec les décideurs
  • Développer la culture de l’instruction des dossiers : qualifier, quantifier, détourer, faire des hypothèses, les faire valider
  • Préparer des checklists (par exemple, les risques typiques)
  • Préparer des outils simples d’aide à la décision (par exemple, matrice risque / valeur)
  • Proposer des scenarios tranchés
  • Maîtriser tous les aspects fondamentaux au moment de la prise de décision : disponibilité des ressources rares, interdépendances entre les projets du portefeuille, capacité d’investissement, etc.
Étude de rentabilité et pilotage par la valeur Questions clés à se poser :

  • Qui détient la responsabilité du Business Case entre les métiers et la DSI) ?
  • Comment quantifier la valeur d’un projet informatique ?
  • Comment s’assurer de la mesure d’atteinte des résultats une fois l’équipe projet démobilisée ?
  • Pistes de réflexions et bonnes pratiques :
  • Se relier systématiquement à la stratégie de l’entreprise
  • Quantifier les bénéfices tangibles et intangibles du projet
  • Estimer la valeur matérielle (ex : réduction des stocks), la valeur immatérielle (ex : augmentation de la satisfaction client) et la valeur du risque évité (ex : réduction du risque de fraude)
  • Faire évoluer le Business Case quand le périmètre du projet évolue
  • Mettre en place des plans d’actions pour aller chercher les bénéfices (savoir anticiper)
  • Mettre en place un mécanisme de transfert systématique de responsabilitЋ de la mesure vers les métiers (ou la finance) en fin de projet
La création d’une structure PMO Questions clés à se poser :

  • Comment mesurer la valeur du PMO ? Et convaincre que c’est nécessaire ?
  • Quelles sont les frontiЏres pour le PMO, notamment par rapport aux opérationnels (chefs de projet…) mais aussi aux autres fonctions (architecture, contrôle de gestion…) ?
  • Quels leviers d’influence et de leadership pour le PMO qui ne dispose souvent pas du levier hiérarchique ?
  • Comment équilibrer les fonctions a priori antinomiques d’aide et de support vis-à-vis des fonctions d’audit et de contrôle (juge et partie) ?

Pistes de réflexions et bonnes pratiques :

  • Ne pas brûler les étapes en voulant aller trop vite !
  • Établir une roadmap de mise en œuvre (progressive), l’ajuster au besoin et s’y tenir
  • Coller aux référentiels existants et se benchmarker

Les pièges à éviter :

  • Concevoir un PMO théoricien de la théorie
  • S’enfermer dans une tour d’ivoire
  • Bâtir un PMO trop financier
  • Sous-dimensionner le PMO
  • Surdimensionner le PMO
Source : Alstom Transport.

 

Les critères de mesure de l’efficacité d’un PMO intégré à la DSI
Critères
Par l’atteinte des objectifs métiers lorsque les projets sont finalisés 51 %
Par la satisfaction des utilisateurs 49 %
Par le respect des délais et des budgets 47 %
Par l’alignement du portefeuille de projets sur la stratégie 29 %
Par le retour sur investissement 26 %
Par la bonne allocation des ressources 21 %
Par un benchmarking 17 %
Par d’autres moyens que ceux cités plus haut 2 %
Par aucune mesure particulière 24 %
Source : Forrester Research : The state of the PMO in 2011 (base : 217 PMO, avec possibilité de réponses multiples).