Haro sur les pommes pourries dans l’organisation

Avec ce troisième volet sur les décisions absurdes (les deux premiers avaient été consacrés aux erreurs persistantes et aux moyens de les éviter), Christian Morel nous entraîne, à l’aide de nombreux exemples, dans le monde des règles absurdes, un « boulet universel ». Pour l’auteur, « la tendance naturelle des organisations est de privilégier à l’excès les règles qui deviennent la solution. »

Quel que soit le nom qu’on leur donne (loi, règlement, norme, standard, référentiel, charte, préconisation…), elles ont pour but, louable a priori, de réguler les actions humaines. « L’enfer des règles, c’est leur nombre excessif, leur caractère fréquemment inadapté, trop complexe, absurde, ainsi qu’une pression punitive souvent contre-productive », résume l’auteur.

Tout cela peut mener à des catastrophes, par exemple dans le monde aéronautique ou militaire. Exemple parmi d’autres : l’obligation pour les réparateurs d’ordinateurs, dans l’Etat du Texas, de posséder une licence de détective privé (et de faire trois ans de stage), parce qu’ils accèdent au contenu des ordinateurs…

Quand la sécurité conduit à l’insécurité

L’un des travers des règles réside dans leur application à une situation qui ne devrait pas relever de la règle, ou dans leur application inégale à une même situation. Le pire semble être les règles liées à la sécurité. « On produit des règles qui sont tellement compliquées et sophistiquées qu’elles se retournent contre la sécurité, parce que difficilement applicables et assorties d’effets pervers », observe Christian Morel. En outre, les règles, rassurantes, « donnent une impression de sécurité et dissuadent de réfléchir. » L’auteur les compare à des doudous que les responsables hiérarchiques utiliseraient pour se protéger… Hélas, la réalité ne peut pas toujours être cernée par un raisonnement logique et ordonné qui peut se traduire par une règle (ce raisonnement a été à l’origine du taylorisme…).

Christian Morel suggère deux types de solutions. D’une part, la « compétence augmentée, capable de se substituer aux innombrables règles et procédures : il ne s’agit non pas de faire disparaître toutes les règles, mais de replacer la compétence au cœur des activités », par exemple pour gérer des situations imprévues ou comprendre le contexte. D’autre part, la « coopération hautement fiable », fondée sur l’expertise de terrain et le débat contradictoire.

Les effets pervers des tours de Babel techniques

Christian Morel s’intéresse également aux pièges relationnels. C’est d’abord une affaire de langage et de « tours de Babel » techniques. « Le plus souvent, les experts n’ont pas conscience que leur langage est incompréhensible, ils sont au cœur de la tour de Babel technique et ne la voient pas », résume l’auteur, d’autant que « la plupart des gens ne verbalisent pas leur incompréhension quand ils ne comprennent pas un langage (…) Il suffit de peu de choses pour produire un malentendu. »

Dans les organisations, il existe une catégorie d’individus (les « pommes pourries ») dont le comportement est négatif, avec des écarts systématiques (négligences, tromperies, sous-activité…) et une violation des normes relationnelles, par exemple avec des comportements agressifs, de la non-communication ou de l’intimidation.

Des comportements qui peuvent vite se propager à l’ensemble de l’organisation. Pour l’auteur, « la dimension du phénomène, sous-estimée, est loin d’être négligeable. Si 3 % des effectifs d’une organisation sont des « pommes pourries », il s’ensuivra que 30 % des groupes de l’organisation seront touchés, si l’on compte dix personnes en moyenne par groupe. » Le phénomène s’aggrave si les « pommes pourries » ont un niveau hiérarchique élevé.

Davantage de cohésion et de convivialité

Pour limiter les dégâts associés aux comportements des « pommes pourries », il faut privilégier la cohésion d’équipe et la convivialité. « On réduit souvent la construction de l’esprit d’équipe à des opérations telles que séminaires d’intégration, jeux collectifs ou sorties touristiques. En réalité, la cohésion fondée sur la camaraderie, traditionnellement vue comme un facteur secondaire, voire folklorique, du fonctionnement des groupes, est une composante systémique des organisations et son importance est largement sous-estimée. »

Quant à la convivialité, c’est, pour l’auteur, « un puissant facteur de courage et, plus généralement, d’engagement. » Tout ce qui facilite les occasions d’échanges se révèle bénéfique. Toutefois, les outils préconisés par les experts en management (la participation, l’écoute, les facilitateurs de réunions, le brainstorming…) souffrent de limites : « Ces méthodes ignorent la réalité des relations quotidiennes, or la qualité et la fiabilité des interactions se cachent dans les détails », assure Christian Morel. D’où l’intérêt de privilégier, par exemple, une organisation en binôme, de manière à challenger les intuitions et les idées de chacun et à se prémunir contre les principaux biais cognitifs. Un principe qui pourrait utilement s’appliquer aux DSI et aux chefs de projet…

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Les décisions absurdes III, l’enfer des règles, les pièges relationnels, par Christian Morel, Gallimard, 256 pages.