Infogérance : comment améliorer la gestion des contrats avec les fournisseurs

Improviser les aspects contractuels d’une relation client-fournisseur ? Personne n’y songe. Pourtant, dans les faits, tout ne se déroule pas comme prévu. Cet article présente les modèles de sourcing, les bonnes pratiques contractuelles (pour l’entreprise et le prestataire) et le processus de gouvernance à mettre en place.

Cet article présente les quatre principaux modèles de sourcing, les bonnes pratiques contractuelles (pour l’entreprise et le prestataire) et le processus de gouvernance à mettre en place (contrats, aspects financiers, performance, relation client-fournisseur).

C’est avant tout une affaire de gouvernance, notamment pour les contrats d’infogérance. Au milieu des années 2000, une grande entreprise française de services signe un contrat avec un prestataire réalisant des services de proximité, pour des prestations à délivrer dans l’ensemble de l’Hexagone. L’objectif de ce contrat, conclu pour une durée de trois ans ferme, plus deux années en option, était de confier au prestataire le traitement des incidents et des demandes de travaux pour 85 000 postes de travail et de gérer les incidents survenant sur 1 600 serveurs.

Toutes ces infrastructures informatiques sont réparties dans sept régions en France, soit plus d’un millier de sites majeurs. À l’origine, le contrat était le résultat d’une décision d’optimiser le fonctionnement d’ensemble en supprimant une vingtaine de contrats régionaux, avec un pilotage opérationnel assuré dans chacune des régions, l’une d’entre elles ayant en charge le pilotage du contrat.

Après la mise en œuvre de la prestation, plusieurs dysfonc­tionnements ont été constatés. D’abord, le fait que le contrat était par définition complexe, avec un périmètre géographique fait de régions indépendantes et des services de proximité pour une vingtaine de métiers différents. Ensuite, un pilotage sur une base régionale s’est avéré difficile, dès lors qu’il s’agissait d’imposer des règles uniques, un pilotage uniforme et une organisation homogène.

À cela se sont ajoutées des difficultés de compréhensions des clauses contractuelles qui ont été fortement influencées par un historique et une spécificité régionale. D’où, sur le terrain, des performances hétérogènes qui ont conduit à des tensions dans la mise en œuvre des opérations. Résultat : des deux côtés, une réelle insatisfaction, pour l’entreprise cliente bien sûr, mais aussi pour le prestataire qui n’était pas assuré de parvenir à la rentabilité du contrat.

Ce constat, partagé de part et d’autre, a abouti à un plan d’action pour redresser la situation. Du côté de l’entreprise, une centralisation du pilotage à proximité du client final a été mise en place, ainsi qu’un comité stratégique de pilotage sur une base trimestrielle. Ce comité avait notamment pour missions, en association avec les représentants du fournisseur, d’analyser les activités à faibles performances, d’étudier les opportunités d’élargissement des activités, de gérer les dysfonctionnements organisationnels et d’adapter les engagements de services aux besoins opérationnels réels. « Il s’agissait de revaloriser ou d’équilibrer les indicateurs de gestion contractuelle pour tenir compte des coûts réels, tout en restant bien sûr dans le cadre contractuel », souligne Michel Campion, aujourd’hui consultant en stratégies industrielles, mais à l’époque en poste à la DSI de l’entreprise.

Pour sa part, le prestataire a lui aussi initié des actions correctives, notamment une présence plus régulière dans les régions et les instances de pilotage, avec une participation au comité stratégique trimestriel de pilotage. Le fournisseur a également assuré une transparence sur ses coûts réels, « et pas seulement pour les activités à faible rentabilité financière », se souvient Michel Campion. Il a ainsi procédé à une analyse des marges d’augmentation de charge pour les ressources sous-employées sans pour autant augmenter son niveau de facturation, avec, en parallèle, un ajustement des indicateurs de gestion par rapport aux coûts réels.

Au final, la relation client-fournisseur s’en est trouvée apaisée. « Il a fallu une année pour transformer le pilotage et réussir à supprimer les tensions dans la relation », précise Michel Campion. La « rentabilité contractuelle » a été obtenue la seconde année, à la fois pour l’entreprise et son prestataire, avec la suppression de contrats annexes par l’entreprise, la revalorisation des activités peu rentables, un ajustement des contraintes opérationnelles pour limiter l’augmentation des coûts, et la réalisation d’activités complémentaires sans augmentation de coûts pour assurer la charge des intervenants sur le terrain. « La relation contractuelle s’est pacifiée et transformée en relation industrielle, dans laquelle le fournisseur propose des adaptations de processus opérationnels pour son client, avec une capacité d’échanger de vraies informations », ajoute Michel Campion.

On le voit, la clarification du partage des rôles et des responsabilités, autrement dit l’application de bonnes pratiques de gouvernance, permet le plus souvent de redresser une relation client-fournisseur mal engagée. Selon les chiffres de l’International Association of Outsourcing Professionals (*), 81 % des prestataires d’infogérance attribuent l’échec ou la non-performance à leurs clients. à l’inverse, 89 % des clients assurent que la faute en revient d’abord aux prestataires. « Dans deux tiers des relations de sous-traitance, l’insatisfaction est latente ou manifeste », déplore Claude Marais, associé du cabinet de conseil ISG (Information Services Group, ex-Compass Management Consulting).

Une étude publiée en octobre 2012 par ISG estime que l’amélioration de la gouvernance permet d’économiser au moins 10 % de la valeur globale d’un contrat d’infogérance. « L’étape la plus sensible est celle qui suit la signature du contrat, explique Lyonel Roüast, président d’Information Services Group pour l’Europe du sud. C’est à ce stade que les ressources en termes de temps passé et de coûts sont les plus mobilisées. Au cours de cette seule phase, 97 % à 98 % du montant de l’outsourcing va être dépensé en comparaison des 2 % à 3 % des coûts totaux estimés au cours de la phase d’appel d’offres et de négociation. Les coûts liés à la gouvernance tiendront une place considérable dans la dépense globale, et seront déterminants pour assurer une bonne coopération entre le client et le fournisseur de services. »

Le problème devient plus crucial dans des configurations de type « multi-sourcing » dans lesquelles plusieurs prestataires interviennent. Inutile toutefois de penser que si la relation se passe mal avec un prestataire, le fait d’en ajouter d’autres dans le but d’équilibrer les responsabilités renversera la tendance : « On transformera alors un petit problème en un plus grand problème, note Claude Marais, associé chez Information Services Group. Quand cela se passe mal dans un couple, la polygamie n’est jamais la solution ! »

La gouvernance, on peut le regretter, consomme beaucoup de ressources, pour environ une trentaine de processus (Voir tableau page 4) : selon l’étude d’ISG, une organisation qui conserve l’ensemble de ses processus en interne peut y consacrer jusqu’à 15 % de la valeur totale d’un contrat, la moyenne étant de 8 %. « L’organisation de la gouvernance entraîne de nombreuses tâches administratives, à l’instar de la gestion de la facturation, tout comme la gestion des contrats et celle du niveau de service, précise Claude Marais. En général, un grand nombre de personnes sont impliquées dans les fonctions d’audit, afin de vérifier notamment que les services convenus sont facturés de manière appropriée et transparente, et établis sur une base contractuelle. Une grande partie des efforts des deux côtés sont investis dans cette recherche permanente de données et de « preuves » qui justifient les factures. »

Cette charge de gouvernance a tendance à augmenter en cours de contrat. En effet, des services non initialement prévus sont ajoutés, le périmètre évolue, la complexité du système d’information s’accroît, de nouveaux prestataires, avec leurs propres processus, interviennent et doivent collaborer avec ceux qui sont déjà en place…

« Ces évolutions conduisent à une situation où l’entreprise, pendant la durée du contrat (normalement entre trois et sept ans), perd souvent de vue l’étendue des services, des volumes et des projets au sein de l’accord, constate Claude Marais. Il en est de même pour le ou les fournisseurs de services. Ainsi, sur une période de temps prolongée, un nombre impressionnant de factures sont soumises et très peu de gens savent si elles sont en fait exactes. »

Une stratégie possible serait de s’en remettre aux dispositions contractuelles, à supposer qu’elles aient été correctement rédigées, en veillant à un juste équilibre entre les intérêts de l’entreprise et de son ou ses fournisseurs. « Mais à l’avenir, les managers en auront vraiment marre de lire des pavés de dispositions juridiques, assure Claude Marais. Et, du moins aux États-Unis, cela devient tellement coûteux pour une entreprise de faire valoir ses droits auprès de son prestataire que les contrats n’ont plus guère de signification…»

Inutile, également, de trop compter sur la maturité des prestataires : « Si vous pensez que, parce que des grands prestataires, que l’on connaît tous, sont présents sur le marché depuis des décennies, ils lisent les contrats et savent parfaitement ce qu’ils doivent délivrer à leurs clients, vous vous trompez !, constate Claude Marais. Et ils n’ont généralement pas la même maturité selon les clients. »

Cela n’empêche pas le marché mondial des services d’infogérance de poursuivre sa croissance. Selon la dernière étude Gartner sur le sujet, publiée en août 2012, les entreprises auront dépensé au niveau mondial, en 2012, pas moins 251,7 milliards de dollars en externalisation IT, un chiffre en hausse de 2,1 % par rapport à 2011, dont un tiers pour les centres de données et 16 % pour les applications. Dommage que les cabinets d’études ne fournissent pas de données précises sur l’évolution de la maturité des pratiques de gouvernance des entreprises en matière d’infogérance…

Processus de gouvernance de l’infogérance : que peut-on externaliser ?
Gestion des contrats
Contrôle de la conformité des contrats Externalisation complète possible
Gestion des demandes d’évolution des contrats Externalisation complète possible
Interprétation des clauses contractuelles Externalisation complète possible
Gestion des contrats avec des tiers Externalisation complète possible
Audit des prestataires Externalisation complète possible
Gestion des aspects financiers
Gestion des factures Externalisation complète possible
Crédits et performance Externalisation complète possible
Ajustements des prix Externalisation complète possible
Assurances Externalisation complète possible
Analyse financière et plannings Externalisation partielle possible
Contrôle des circuits d’approvisionnement des prestataires Externalisation partielle possible
 Refacturation  Compétences à ne pas externaliser
  Gestion de la performance
Gestion des niveaux de services Externalisation complète possible
Gestion des autorisations d’intervention Externalisation complète possible
 Gestion de la consommation et de la conformité des opérations Externalisation complète possible
 Contrôle de la gestion des actifs par le prestataire Externalisation partielle possible
 Pilotage des architectures et du respect des standards  Compétences à ne pas externaliser
Gestion des risques  Compétences à ne pas externaliser
Gestion de la sécurité  Compétences à ne pas externaliser
Gestion des livrables  Compétences à ne pas externaliser
Analyse de la performance  Compétences à ne pas externaliser
Gestion des incidents, problèmes, gestion du changement  Compétences à ne pas externaliser
  Gestion de la relation client-fournisseur
Pilotage de la gouvernance Externalisation complète possible
Gestion des dépenses Externalisation complète possible
Enquête de satisfaction client Externalisation partielle possible
Prévisions et gestion de la demande Externalisation partielle possible
Gestion de la conformité aux évolutions réglementaires et fiscales Compétences à ne pas externaliser
Gestion de la communication Compétences à ne pas externaliser
Source : Information Services Group.

 

 Contrats : les bonnes pratiques à prendre avant qu’il ne soit trop tard
 Pour l’entreprise  Pour le prestataire
  • Diminuer le nombre de strates entre le décideur et le pilote du contrat, dès la conception du contrat
  • Dialoguer directement avec le décideur du fournisseur (pas uniquement au commercial), y compris dans les phases d’appels d’offres
  • Créer un comité de pilotage de la réversibilité dès le début du contrat
  • Créer un comité de pilotage stratégique dirigé par le décideur côté client, et préparé avec le décideur du fournisseur
  • Ajuster les indicateurs de gestion contractuelle pour réussir à obtenir une performance opérationnelle du prestataire
  • Adapter régulièrement les processus opérationnels pour optimiser le contrat
  • Prévoir des contrats suffisamment longs pour le temps d’adaptation du fournisseur et pour garantir la rentabilité du contrat.
  • Accompagner les pilotes opérationnels pour
  • expliquer les changements à mettre en œuvre
  • Parler directement au décideur du client, en toute transparence
  • Comprendre le fonctionnement du client et s’engager dès le début du contrat, en particulier dans la phase de montée en charge
  • Participer activement au comité de pilotage dirigé par le décideur côté client
  • Proposer des optimisations de processus pour obtenir une meilleure performance opérationnelle
  • Accepter de nouvelles activités ou de nouveaux processus, sans augmenter la facture client, pour optimiser le contrat
Source : Michel Campion, www.contrat-management.fr

 

 Les quatre principaux modèles de sourcing
 Sourcing interne  Augmentation des ressources humaines Co-sourcing  Outsourcing 
Rôle du partenaire
  • Fournir des services et des ressources à la demande
  • Fournir des infrastructures et des services adaptés au périmètre
  • Partage des bonnes pratiques, des méthodologies et des outils
  • S’engager sur les résultats
  • Gérer les infrastructures et les applications, de façon partielle ou totale
Principaux risques
  • Manque d’agilité en cas de fluctuations de la demande
  • Pénurie de compétences (pour les nouvelles solutions ou l’innovation)
  • Manque de contrôle sur les services fournis (qualité, délais, coûts)
  • Faiblesse du modèle de gouvernance
  • Perte de contrôle
  • Perte de l’expertise interne
Principaux bénéfices
  • Maintenir un contrôle interne
  • Obtenir des compétences inexistantes en interne
  • Absorber les pics d’activités
  • Maintenir un niveau de contrôle et d’expertise en interne
  • Impliquer le prestataire sur les résultats
  • Permettre une meilleure anticipation des besoins
  • Accélérer l’optimisation du SI et de son industrialisation
  • Impliquer le prestataire sur les résultats
  • Accélérer l’industrialisation du SI
Source : Alstom.