Si les GAFA s’affirment chaque jour un peu plus comme les nouvelles superpuissances économiques du monde numérique, ces géants drainent dans leur sillage une transformation profonde de toute notre société.
De buzzword en mots valises, on nous explique qu’à l’ère de la donnée, tous nos acquis et comportements sont à repenser, et que le monde de demain ne ressemblera en rien à celui d’hier. Mais en quoi la donnée peut-elle bien nous transformer ?
En « e-entreprises », à la fois plus performantes et plus à l’écoute du client ?
S’il y a un domaine où l’accès aux données a provoqué un changement radical, c’est bien celui de l’entreprise, où cette profusion de data redistribue complètement les cartes de la relation client. Finie la production standardisée de masse : nous sommes aujourd’hui dans l’ère de la p-e-r-s-o-nn-a-l-i-s-a-t-i-o-n.
La marque se doit d’adopter une approche « customer centric », basée sur des stratégies « datadriven », pour proposer à son client la bonne offre au bon moment. Dans des secteurs économiques clés comme la banque, l’assurance ou encore le commerce, les données portent même une transformation en profondeur des business models … à tel point que le produit ou service historiques se trouvent parfois relégués au rang de simples commodités, remplacés par la donnée, et sa monétisation, qui porte la création de valeur et les perspectives de croissance.
Place au monde des applis et de l’ubérisation, et tant pis pour les retardataires ! Car si le marché a toujours exigé un sens de l’adaptabilité, la vitesse de transformation de certains secteurs, rendue possible par la donnée, a mis à mal ceux qui n’ont pas pris le virage à temps. Preuves en sont les vendeurs par correspondance, ou les boutiques d’agence de voyage.
En « e-travailleurs », à la fois plus flexibles et épanouis ?
La donnée modifie en profondeur l’organisation du travail. Dans des professions comme le droit ou la santé, on étudie actuellement la possibilité d’utiliser des algorithmes de calcul très puissants pour améliorer le service à l’usager. Verra-t-on ainsi demain notre médecin s’appuyer sur une intelligence artificielle pour formuler son diagnostic, ou un juge s’en remettre à un robot pour établir la peine d’un prévenu ?
Si elles peuvent s’avérer efficaces d’un point de vue scientifique, ces approches devront néanmoins veiller à respecter notre système de valeurs et à ne pas retirer à ces métiers toute leur humanité. Sans compter que la dimension émotionnelle de la relation d’un médecin à son patient ou d’un avocat à son client n’est à ce jour pas appréhendée par les intelligences artificielles, aussi puissantes soient-elles.
Dans le monde de l’entreprise, l’ère de la donnée sous-tend la refonte des organisations du travail et des systèmes de management, et l’effacement progressif des sphères publiques et privées. Une flexibilité libératrice pour certains, qui y voient l’opportunité de gagner en mobilité et en confort (smartphones et télétravail), et de passer d’une culture du cloisonnement à une culture du participatif (flat organisation et entreprise libérée). Une contrainte néfaste pour d’autres, pour qui ces nouveaux modes d’organisation instaurent une injonction permanente de réactivité et une dictature du temps réel, tout en supplantant les relations humaines.
En « e-citoyens », à la fois plus informés et responsables ?
Rappelons-nous un instant la promesse du web à ses débuts : un monde de la connaissance ouvert à tous, qui participe à éveiller et à libérer les consciences. Et dans une certaine mesure, la promesse tient. Grâce à la donnée, nous disposons d’informations jusque-là inaccessibles, et cela peut nous permettre de faire des choix plus éclairés. Par exemple, quand mon fournisseur d’électricité installe un compteur intelligent pour mon appartement, je peux surveiller ma consommation au jour le jour, en toute transparence, et décider de l’ajuster, dans un souci économique ou écoresponsable. De même, quand ma montre connectée me donne accès à un bilan de santé en temps réel, ou prévient même, dans certains cas, un arrêt cardiaque.
Mais, en même temps, le phénomène des « Fake News », la recrudescence des « trolls » sur les réseaux sociaux, ou encore la multiplication des scandales comme Cambrige Analytica nous confrontent aux limites de ce modèle et ne cesse de faire planer l’ombre de « Big Brother ». Et en la matière, il est fort à parier que le récent Règlement Européen sur la protection des données (RGPD), s’il apporte quelques réponses, ne suffira pas à endiguer les dérives.
Que la donnée bouleverse nos usages est un fait en soi, et nous ne pouvons rien contre cette marche technologique de l’histoire. Mais nous nous devons de conserver notre esprit critique et de chercher à encadrer ou réguler l’utilisation de la donnée, pour qu’elle nous apporte plus de meilleur que de pire, et pour qu’en matière d’innovation comme en chaque chose, l’humanité conserve son éthique… et reste, surtout, humaine.
(*) Cet article a été écrit par Gianmaria Perancin, Président de l’USF.