La crise sanitaire actuelle a profondément bouleversé à la fois les missions de la DSI, ses modes de fonctionnement et les manières de réaliser les projets au service des métiers. Rafael Corvalan, DSI de l’EPFL (Ecole polytechnique fédérale de Lausanne), explique comment il gère cette crise, les principes qu’il met en œuvre avec ses équipes et les leçons qu’il en tire.
Pour Rafael Corvalan, DSI de l’EPFL, la crise que nous connaissons constitue clairement une opportunité : c’est d’abord l’occasion de renforcer le positionnement des DSI dans leur organisation. « Les missions auxquelles on associe généralement les DSI manquent de clarté ; souvent, elles se résument à la mise à disposition de technologies innovantes, au respect des délais de réalisation des projets et à la fourniture de prestations techniques de qualité. Mais cela ne tient pas assez compte des aspects business. »
Or, insiste Rafael Corvalan, « dans une organisation comme l’EPFL, notre mission est similaire aux autres départements de l’école, celle d’aider les professeurs, les étudiants et tous les collaborateurs : il faut ainsi, à la fois s’assurer que les étudiants reçoivent l’éducation nécessaire pour être la prochaine génération de leaders technologiques responsables, proposer les meilleures conditions aux chercheurs pour qu’ils contribuent à l’avancement de la connaissance dans des domaines critiques, et accompagner les équipes pour s’assurer que la connaissance est transférée efficacement à l’économie et la société, pour le bien de tous. »
Une adaptation dans l’urgence
La crise sanitaire et le confinement ont démontré le rôle incontournable des DSI. A l’EPFL, en une semaine, alors que plus 6 000 collaborateurs sont passés en mode télétravail, plus de 700 cours jusqu’à lors dispensés en présentiel ont été transposés en ligne, plus de mille organisateurs de webinars ont été désignés pour assurer les cours, et il a fallu commander, puis mettre à disposition des utilisateurs, des iPads pour les cours de mathématiques et de physique. « En pleine rupture de stock… », se souvient Rafael Corvalan, qui souligne que ces bouleversements ont représenté « une charge de travail phénoménale pour les équipes de la DSI. »
Les modes de réunions ont également été revus : d’un rythme d’environ 1 600 vidéoconférences par mois, le volume a atteint 65 000 vidéoconférences en mai 2020, représentant une durée globale de neuf ans de vidéos. Le rythme des recrutements n’a pas été affecté : le on-boarding, qui se déroulait en présentiel avant la crise, s’est déporté en ligne. « Nous avons ainsi réalisé 135 on boardings pendant le confinement et la grande majorité de ces nouveaux collaborateurs ont commencé à travailler sans que l’informatique puisse leur fournir les matériels adaptés à l’accomplissement de leurs missions », précise Rafael Corvalan.
Côté technique, la DSI de l’EPFL a augmenté les capacités du système de vidéoconférence (de 500 à plus de 16 000 utilisateurs), ainsi que celles du VPN (de 1 000 à 20 000 connexions) et il est prévu, à terme, d’investir dans les communications unifiées pour étendre le nombre de salles de vidéoconférence. « Nous avons prévu large pour le VPN, mais, dans notre configuration, disposer d’une capacité de 20 000 connexions ne coûte guère plus cher que d’en avoir vingt fois moins », précise le DSI.
De même, a été mise en place une gateway pour accéder aux VDIs des services centraux depuis Internet, sans VPN. Le cloud hybride constitue également une piste prometteuse, projet qui s’est accéléré avec la crise. « Nous sommes désormais prêts pour du bursting transparent sur AWS afin de palier à d’éventuels problèmes d’approvisionnement. »
Une occasion unique pour automatiser
Sur le plan organisationnel, la crise a été l’occasion d’automatiser certains workflows. « Nous en avons beaucoup qui reposent encore sur des processus manuels, avec de la signature manuscrite. Plus d’une dizaine sont passés en mode numérique, en moins de trois semaines, et on ne reviendra pas en arrière », assure Rafael Corvalan. De même, dans le domaine de l’impression, il n’est pas prévu de restaurer le passé : « L’un des services de l’EPFL imprimait 100 000 pages par an. Aujourd’hui c’est zéro ! » illustre le DSI.
Malgré ces contraintes, la crise a été vécue comme une opportunité. Ainsi, de nombreux projets et réalisations, qui ont été menés à bien en une à deux semaines, auraient pris plusieurs mois en période normale. « Globalement tout ce qui a été réalisé pendant le confinement aurait pris deux à trois ans, avec un scénario qui n’était écrit nulle part ! » souligne le DSI de l’EPFL. Ce dernier met en exergue trois autres opportunités en période de crise.
D’abord, il devient possible de privilégier un circuit décisionnel plus court, principe que l’on peut pérenniser à faibles risques. « La Task Force Covid-19 a la compétence pour décider là où normalement cela implique des comités de pilotage et des séances mensuelles de coordination. Une meilleure délégation de responsabilités se met en place. En outre, les évolutions ont une priorité élevée donc monopolisent l’attention des différents acteurs », explique Rafael Corvalan, qui conseille aux organisations de « tout mettre en œuvre pour ne pas perdre les bénéfices des deux premiers points… »
Ensuite, il devient possible d’imposer le principe de Pareto (80/20). Mais avec précaution : « Certes, ce principe accélère les implémentations, mais il crée aussi de la frustration pour les 20 % qui estiment avoir été mis de côté », avertit Rafael Corvalan. Malgré tout, c’est toujours mieux que lorsqu’il faut couvrir 100 % des besoins, sous la pression des métiers, ce qui demande beaucoup plus de temps.
Enfin, la crise rend plus facile la mobilisation des efforts des équipes sur des projets précis. Là aussi, une vigilance s’impose : « Dès que le soufflé retombe, les projets délaissés doivent reprendre, car ne se concentrer que sur quelques priorités a ses limites », avertit Rafael Corvalan, pour qui « la recherche d’un « juste milieu » est bien plus délicate sur ces deux sujets ». L’évolution de la culture peut être un atout : « Progressivement, le « Oui mais… » a laissé la place au « C’est important… » », relate le DSI.
La nouvelle normalité s’impose
Reste que, pour le DSI de l’EPFL, « le plus dur reste à venir », même si, depuis le début de la crise, le feedback des utilisateurs reste très positif. Car il faut, à la fois, accepter et faire accepter le fait qu’il n’y a pas de retour en arrière possible, conserver et capitaliser sur les bénéfices organisationnels et techniques induits par la crise et, plus globalement, réussir à « construire une nouvelle normalité, caractérisée par la généralisation du télétravail et le raccourcissement des circuits de décision.
Autrement dit, l’anormalité que l’on a connue pendant le confinement peut devenir cette nouvelle normalité. Les collaborateurs sortiront différents de cette crise, certains plus détendus, d’autres recentrés sur leurs valeurs, d’autres plus stressés. A nous de tenir compte de ce changement. Une crise, parce qu’elle a des effets inattendus, ne se gère pas avec des outils, aussi bons soient-ils, elle se gère avec des personnes engagées et prêtes à se dépasser », conclut Rafael Corvalan, qui admet que « la rentrée n’aura pas été comme les autres, nous ne connaissions pas la proportion de collaborateurs en télétravail et, pour les étudiants, il y a des rotations pour assister physiquement aux cours. »
La DSI a également fait évoluer ses modes de fonctionnement. « Nous allons aborder rapidement la question du raccourcissement des circuits de décision pour les réunions de pilotage du portefeuille de projet », prévoit Rafael Corvalan. En parallèle, les rythmes de réunion se sont adaptés : les réunions toutes les deux semaines ont laissé la place à d’autres, plus courtes, mais organisées trois fois par semaine. « Cela ne prend pas plus de temps, car nous agrégeons le temps auparavant passé à la machine à café, où les équipes font aussi avancer les projets et prennent des décisions », souligne Rafael Corvalan.
Les équipes de la DSI demeurent, pour la plupart, en télétravail, sauf pour celles dédiées au help desk ou à la gestion des matériels. « Le télétravail est recommandé mais pas imposé, il faut trouver un bon équilibre, surtout pour ceux qui sont à distance et qui, lors des réunions, peuvent se sentir exclus, c’est un défi humain pour les DSI », rappelle Rafael Corvalan.
Il reste un domaine pour lequel un retour en arrière est considéré, à l’unanimité, comme souhaitable : les 700 apéros virtuels organisés durant le confinement ne survivront pas et laisseront la place aux rencontres physiques dès que possible.
L’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne en bref
- Créée en 1951.
- 11 450 étudiants de 120 nationalités différentes.
- 6 134 collaborateurs.
- Cinq écoles, 20 instituts, 44 centres de recherche, 371 laboratoires.
- Premier producteur de MOOCs en Europe (102 sont disponibles).
- 300 start-up créées depuis 2000 (dont 23 en 2019).
Un coup d’accélérateur pour la RPA
D’après l’observatoire de l’automatisation des processus, produit par IDC pour le compte de BluePrism, la crise du Covid-19 n’a pas entraîné de coup d’arrêt à l’automatisation des processus, bien au contraire. A l’horizon 2023, le marché français de la RPA pèsera environ 160 millions d’euros et les entreprises françaises auront multiplié par plus de 3,6 leurs dépenses dans les technologies de RPA. Dans un contexte post-crise où la notion d’économie trouve un fort écho au sein des directions générales des entreprises, l’heure est à l’accélération des programmes d’automatisation de manière à favoriser l’innovation et non plus les tâches fastidieuses et répétitives. La RPA trouve donc logiquement sa voie, d’autant qu’elle ne nécessite aucune modification des applications sous-jacentes et qu’elle permet un usage sans code. Ainsi, 70 % des entreprises françaises ont déjà lancé des initiatives visant à moderniser leurs processus avec une DSI à la manœuvre.
Crise sanitaire : les DSI incontournables
En collaboration avec le cabinet d’études Vanson Bourne, Nexthink a cherché à mieux cerner les enjeux auxquels ont fait face les équipes informatiques et les utilisateurs pendant la crise sanitaire. Selon cette étude, au cours du premier semestre 2020, le périmètre des équipes IT a changé radicalement : « Ce n’est plus à des dizaines de sites physiques, mais à des milliers de bureaux distants que les équipes IT doivent apporter du support. Dans le même temps, le niveau d’exigence des utilisateurs envers la technologie s’est accru. À l’heure où s’instaurent des modes de travail plus flexibles (télétravail en tête), l’outil informatique se doit d’être infaillible pour que les utilisateurs puissent travailler efficacement quand ils en ont besoin et où qu’ils se trouvent. »
Pourtant, les équipes IT ont été prises dans un cercle vicieux qui a plusieurs caractéristiques :
- Des budgets investis sur les mauvaises priorités.
- Des indicateurs en apparence au vert, mais en réalité dans le rouge.
- Des utilisateurs frustrés face à des dysfonctionnements qui perdurent.
- Des problèmes accentués par les coupures budgétaires.
- Un mode opératoire façon « pompier », coûteux en temps et en ressources.
- Une mauvaise image de la DSI auprès des utilisateurs.
- Des équipes IT soumises à la pression pour innover et introduire de nouvelles technologies.
Selon l’étude, « pour les équipes IT prises dans ce cercle vicieux, il est difficile, voire impossible, de se concentrer sur les missions critiques, telles que délivrer de nouveaux services pour accompagner la croissance du business, et réduire les dysfonctionnements techniques pour améliorer la satisfaction des utilisateurs. » Une précédente étude réalisée par Vanson Bourne avait révélé que 45 % des dysfonctionnements IT ne sont pas signalés par les utilisateurs, que les collaborateurs perdent ainsi en moyenne 28 minutes chaque fois qu’ils sont confrontés à un problème de nature informatique, ce qui représente 100 heures par an, soit plus de deux semaines par an et par collaborateur.
La généralisation du télétravail a évidemment renforcé le phénomène. Ainsi, face à la crise du Covid-19 et à l’explosion du télétravail, les équipes IT ont dû faire face à un accroissement du nombre de tickets de support (43 % des entreprises), au fait que les collaborateurs (en dehors de l’IT) n’avaient pas les bons outils pour travailler au moment de la transition massive vers le télétravail (37 %) et que les équipes IT n’ont pas pu faire à distance ce qu’elles auraient normalement pu effectuer sur site (35 %). De même, les équipes IT estiment avoir passé trop de temps en réunion, au détriment de leurs tâches opérationnelles (32 %) et déplorent un déficit de visibilité sur les principaux problèmes IT (30 %).
« Dans l’ensemble, 90% des répondants ont déclaré avoir fait face à davantage d’enjeux liés à la technologie pendant la crise », souligne l’étude.
Les cinq problèmes principaux observés sont les suivants :
- L’accès au VPN (38 % des entreprises).
- La connectivité et la fiabilité du Wi-Fi (37 %).
- Les applications de visioconférence (35 %).
- La moindre réactivité des équipes IT (34 %).
- La recrudescence du Shadow IT (27 %).
Selon les auteurs de l’étude, « avec la généralisation du travail à distance, la qualité de l’expérience digitale des collaborateurs revêt une importance accrue. Pourtant, le déficit de visibilité dont souffrent les équipes IT creuse le fossé entre la perception de l’IT et l’expérience réelle des utilisateurs. Ainsi, 78 % des professionnels de l’IT déclarent que l’expérience digitale des collaborateurs est un sujet essentiel ou prioritaire, comparé à 49 % il y a douze mois. L’approche technique des outils existants centrés sur les systèmes et les composants traditionnels du datacenter ne suffit plus. Que ce soit les outils d’APM, de monitoring du réseau et les suites ITSM, ces outils ne donnent pas de visibilité sur l’expérience des collaborateurs. Les technologies de client management n’offrent pas une vision temps réel sur la manière dont les collaborateurs consomment les applications SaaS. »