Comment gère-t-on le changement ? Pour les auteurs de cet ouvrage, deux professeurs à l’Essec et à Audencia, il est régi par cinq approches auxquelles correspondent autant de principes. L’approche sociologique pose que les bénéficiaires du changement développent des résistances qui peuvent être levées, dès lors qu’ils s’intègrent dans des groupes.
« Un individu accepte le changement par un dialogue au sein de ses groupes d’appartenance, dans une logique d’évolution des normes », soulignent les auteurs. L’approche instrumentale correspond à une « roue du changement » qui en définit les leviers d’accompagnement, par exemple en matière de formation ou de communication. « La roue du changement a inspiré la plupart des méthodes de conduite du changement déployées par les grands cabinets de conseil pour le déploiement des projets de type ERP », notent les auteurs.
L’approche managériale a remis en cause l’approche instrumentale en admettant l’hypothèse que le changement ne se réalise pas seulement en mode projet, mais, au contraire, qu’il convient d’alterner des changements continus et des changements de rupture, « permis par le travail de traduction et de leadership des managers. »
L’approche « stratégico-organisationnelle », pour sa part, avance que « le changement n’est plus uniquement pensé comme un outil pour le développement, mais aussi pour l’optimisation », rappellent les auteurs, pour qui « la conduite du changement est de plus en plus internalisée dans les entreprises et fait l’objet d’un pilotage différencié. »
Enfin, avec l’approche « expérientielle », issue du concept anglo-saxon de Experiential learning, le changement n’est plus considéré comme une suite d’obstacles à franchir, mais « comme le développement de la capacité à changer des acteurs par des dispositifs expérientiels : après avoir vécu une expérience de changement, les intéressés le comprendront et sauront mieux le traduire. »
Pour les auteurs, les approches classiques de gestion du changement sont remises en cause, en profondeur, par l’évolution des entreprises. « La plupart des outils et démarches de la conduite du changement sont construits sur des principes organisationnels qui sont, pour partie, obsolètes », assurent les auteurs.
En particulier quatre principes sont bousculés : le principe de destination connue, d’urgence, d’instrumentalisation et de préparation au changement. Le principe de destination connue, par lequel le changement est défini comme le processus qui permet de passer d’un point A à un point B, consiste à expliquer aux individus concernés pourquoi il faut aller jusqu’au point B et selon quelles modalités, en mettant en exergue les inconvénients de demeurer au point A.
Ce principe est d’ailleurs difficilement applicable pour les systèmes d’information : « Les projets informatiques ont mis en lumière que le plus difficile n’était pas de mettre en place une nouvelle application, mais de faire évoluer les représentations et les comportements des personnes par rapport à leurs habitudes, afin d’inventer de nouveaux usages. Pour ces types de changement, il est très difficile de définir une cible à l’avance tant le résultat dépend de l’implication des personnes », surtout dans un contexte de transformation numérique.
Le principe de l’urgence, qui correspond au fait que la mise en œuvre du changement est une question de survie, est, lui, remis en cause par le collaboratif, parce qu’il faut du temps pour comprendre l’importance du changement : « Plus qu’une communication d’urgence, les bénéficiaires du changement souhaitent pouvoir s’exprimer et participer à la définition et à ses modalités », précisent les auteurs.
L’instrumentalisation est remise en cause par l’expérimentation : « L’expérience sur un sujet est plus forte que le discours explicatif sur ce même sujet », notent les auteurs, pour qui « les différentes boucles d’expérimentation sur un sujet constituent un socle d’apprentissage en stockant des éléments d’importance et de faisabilité qui, dans une logique combinatoire, alimentent la capacité d’action des personnes. »
Enfin, le principe de préparation au changement se trouve remis en cause par un autre principe : l’ancrage, qui décrit non pas « l’intention de changer, mais l’acte de changement lui-même dans sa dimension opérationnelle, c’est le moment où l’expérimentation d’une nouvelle manière de faire remplace des pratiques existantes de manière évolutive ou en rupture. » Autrement dit, « l’important n’est pas tant d’expliquer en amont les raisons du changement de manière générale, que de s’intéresser aux modalités concrètes par lesquelles le changement se matérialise. »
Les auteurs plaident pour un modèle de changement agile, à l’image des méthodes de développement, articulé autour de trois phases : définir, pour créer « une intelligibilité du changement pour l’ensemble des parties prenantes, afin que ces dernières prennent conscience du rôle qu’elles auront à jouer » ; expérimenter (avec des cycles d’ateliers participatifs et de pilotage) et ancrer, avec une vision globale à cinq ans des projets réalisés, en cours de réalisation ou à venir. « La conduite du changement redonne un rôle clé aux métiers », assurent les auteurs.
Le changement agile, par David Autissier et Jean-Michel Moutot, Dunod, 2015, 187 pages.