La négociation et la lettre d’intention dans le cadre d’un appel d’offre

En général, si vous avez lancé un appel d’offre, c’est pour mener à bien un projet ou une prestation dont vous avez besoin. Plus vous attendez, plus vous en avez besoin… Donc, pour vous, la pire des situations serait de ne pas avoir de vainqueur, de ne pas pouvoir signer un contrat et démarrer une prestation. C’est votre principale faiblesse dans la négociation.

Et c’est là qu’il faut bluffer, en appliquant deux principes :

  • Déclarer au vainqueur : « Nous avions finalement deux excellentes propositions. Nous avons choisi de débuter des négociations exclusives avec vous, mais nous avons peu de temps. Si quelque chose coince avec vous, nous n’aurons pas d’état d’âme pour activer l’offre arrivée en seconde position, qui est tout à fait excellente et a de fervents partisans en interne. »
  • Déclarer au second : « Nous débutons des négociations avec un partenaire qui a été jugé plus en adéquation avec nos besoins dans certains domaines par des membres influents de notre comité de sélection. Toutefois, nous souhaitons rester en contact avec vous, soit dans l’hypothèse où nos négociations n’avanceraient pas assez vite, soit pour vous demander d’assurer des prestations complémentaires. »

N’oubliez pas, dès que le premier aura compris qu’il est le seul à négocier et que vous n’avez plus de plan B, il sera le roi !

Un grand principe : la MESORE

Sans MESORE point de négociation et point de salut… Qu’est-ce que la MESORE ? La MEilleure SOlution de REchange (ou BATNA en anglais : Best Alternative To a Negotiated Agreement). Évidemment, ce principe s’applique aussi de façon réciproque : si vous négociez et que vous savez que votre interlocuteur n’a pas de meilleure solution de rechange, alors profitez-en à fond !

Conclusion : ne vous retrouvez jamais sans MESORE, et si, par malheur, cela vous arrivait, alors faites tout pour que cela reste un secret. Sans reprendre ici ce que l’on trouve dans la littérature concernant les techniques de négociation, rappelons toutefois à ce sujet, quelques principes :

  • Vos objectifs de négociation doivent être clairement définis et stables. Si la cible est mouvante, tout le monde y perd.
  • Identifiez et formalisez vos objectifs de négociation dans un tableau :
    ~ Point à négocier.
    ~ Pourquoi vous voulez le négocier ?
    ~ Où, comment, depuis quand le fournisseur sait-il ou peut-il savoir que cela sera un point de négociation ?
    ~ Est-ce un deal breaker ?
    ~ Quel est votre objectif ? Par exemple :
    • Descendre en-deçà d’un certain coût.
    • Augmenter le niveau des ressources disponibles à coût constant.
    • Obtenir une remise.
    • Augmenter le niveau de qualité.
    • Étendre les pénalités…
    ~ Quel est votre position de repli ? Par exemple : abandonner l’objectif principal, mais en contrepartie d’autre chose.
    ~ Quel est votre point bas ?
  • Valorisez vos acquis. L’appel d’offre et la négociation coûtent cher. Votre négociation permet de bonifier le marché et de réaliser des économies par rapport à l’offre initiale. Il est bon de tout noter et de tout valoriser.
  • Menez la négociation par thème et commencez par les points durs et les deal breakers. Si la négociation doit achopper, alors il faut que cela soit au début pour que votre MESORE (à savoir le fournisseur arrivé en deuxième position) soit toujours activable. À l’inverse, le fournisseur de rang 1 fera tout pour négocier ces points durs et deal breakers à la fin, de telle sorte que vous n’ayez plus d’autre solution que de signer avec lui.
  • Prévoyez des cliquets anti-retours.
  • Ayez des références de contrats antérieurs :
    ~ Soit avec le même fournisseur (éventuellement, via un conseil externe).
    ~ Soit avec d’autres fournisseurs.
    ~ Demandez à Google…
  • Soyez organisés, répartissez-vous les rôles. Il est nettement plus efficace qu’il y ait un et un seul chief negotiator et que l’on communique avec lui sur la base de petits papiers plutôt qu’en prenant la parole.

Que faire face à un deal breaker ?

  • S’expliquer :
    ~ Vous :
    • « Je négocie ce point, parce que… »
    • « C’est un deal breaker, parce que… »
    • « Voici la garantie que je cherche à obtenir, parce que… »
    • « Voici le cas que je veux pourvoir éviter… »
    • « Si je n’obtiens pas satisfaction sur ce point, mon comité d’engagement refusera de signer, parce que… »
    ~ Et demandez au fournisseur de faire de même :
    • Pourquoi ne veut-il pas ?
    • De quoi veut-il se protéger ?
    • Quel cas redoute-t-il ?
    • Ce cas s’est-il déjà produit ? En quelles circonstances ?
  • Si vous et le fournisseur êtes de bonne foi, en repositionnant le sujet et en comprenant le point de vue de l’autre, on parvient généralement à trouver une solution, parfois en dehors du cadre.
  • Mettez le fournisseur à votre place. Faites-le physiquement, en permutant vos positions. Puis, posez-lui la question : « Je suis (le directeur juridique/financier/l’actionnaire) et en tant que responsable de cet appel d’offre et devant fournir une solution, je vous pose la question : comment me protégez-vous de tel risque ? »
  • Jouez la montre, mais à l’envers. Organisez une séance de négociation à 18 heures et faites-la durer jusqu’à 22 heures. Terminez-la sur un constat d’échec. Proposez de reprendre avec un esprit frais et reposé (à ce moment, le fournisseur pousse un grand « ouf » de soulagement intérieur). Puis, proposez-lui de reprendre la négociation le lendemain matin à 7 heures. Le fournisseur hurle (intérieurement) et vous affirme que ce n’est pas possible. À vous de conclure : « Effectivement, j’observe que ce contrat n’est pas aussi important pour vous qu’il l’est pour nous et je constate que vous ne savez pas vous mobiliser pour trouver des solutions quand c’est nécessaire. Et j’en prends bonne note. »

La négociation d’un point dur est similaire à celle d’un deal breaker, mais plus facile et demande en général moins de temps.

Il est bon de disposer de deux salles, afin qu’une équipe puisse s’isoler le temps d’échanger en interne et de revenir avec d’autres propositions. De même, il est important de veiller à la stabilité de l’équipe de réponse et de l’équipe de négociation.

La façon dont on résout un point dur ou un deal breaker est essentielle. Sommes-nous en train de travailler avec des gens honnêtes et orientés solution, ou des interlocuteurs avec une vision courte et incapables d’apprécier la globalité des enjeux ? Il ne faut pas oublier que la vie du contrat va être semée d’embûches et de cas particuliers, et que la manière de les aborder et de les résoudre à deux reste un facteur essentiel de succès. Gardons enfin à l’esprit que l’on travaille au quotidien avec des hommes, pas avec un avocat et un contrat…

Cet article a été rédigé par Pierre-Albert Carlier, consultant en systèmes d’information, DSI de transition et fondateur de MonCIO (moncio.com).


Histoires vécues

  • Le cas d’un deal breaker sur lequel on butte depuis plusieurs heures
    Il est 22 h 30. J’explique que l’on est sur un deal breaker et que, faute de solution, nous allons devoir entamer des négociations avec le fournisseur numéro 2, qui est dans les starting block. Je fixe un ultimatum pour lever le deal breaker : le lendemain matin à 7 h 30. Je me suis fait détesté, par mon client et par le fournisseur. Le lendemain matin à 7 h 30, le fournisseur avait trouvé une solution, le deal breaker était levé.
  • Une politique corporate bloquante
    Le fournisseur explique qu’un point est impossible à négocier car c’est contraire à sa « corporate policy ». Je lui sors la page paraphée d’un contrat signé par une autre filiale de son groupe, et avec un autre client, et je lui demande pourquoi, dans ce cas, la « corporate policy » ne s’est pas appliquée ? Le fournisseur demande une suspension de séance (de plusieurs heures, du fait du décalage horaire avec sa maison mère). Nous reprendrons en début de soirée après qu’une dérogation du corporate ait été obtenue.
  • L’anticipation d’un risque
    Un fournisseur me refuse un point de négociation, au motif que cela le protège d’un risque. J’organise un jeu de rôle et je démontre que le cas ne peut pas se produire, et que donc il peut m’accorder ce point de négociation (qui n’a effectivement aucun intérêt, mais dont j’ai besoin en interne).

La lettre d’intention

Ne vous faites pas d’illusions : le contrat ne sera pas prêt à temps et vous êtes pressé de démarrer votre projet. Pour faciliter le processus, il existe un moyen : la lettre d’intention. Le principe est de signer un mini-contrat, une lettre :

  • Qui précise que le fournisseur a été sélectionné pour entrer en négociation exclusive à l’issue d’un appel d’offre pour lequel il a marqué son vif intérêt.
  • Qui rappelle les dates clés de la sélection.
  • Qui indique que le fournisseur est autorisé à débuter les travaux en l’absence de contrat.
  • Qu’il sera indemnisé sur les bases indiquées, au cas où le contrat ne serait pas signé, et que, sinon, les coûts des travaux engagés seront intégrés dans le contrat.
  • Que les coûts peuvent être engagés mois par mois, pour autant qu’ils aient été communiqués à l’avance au client par écrit et que le client en ait accusé réception. Ce point est important pour le fournisseur, mais aussi pour vous, en interne, afin de mettre chacun devant ses responsabilités, à commencer par ceux qui valident les paiements.
  • Qu’il est de la responsabilité du fournisseur d’organiser la négociation du contrat, afin d’aboutir à un contrat signé sous un délai précis. Sinon, le fournisseur risque de ne pas agir, et vous vous retrouvez à tout faire, face à un fournisseur qui traîne.
  • Que la lettre d’intention a une durée de X mois (en général, un à trois mois) et qu’elle peut être renouvelée d’un commun accord une fois et pour une période d’un mois. Rien ne vous empêchera de la renouveler pour un délai supplémentaire, mais si cela ne se passe pas bien, les deux points précédents concernant les délais seront bien utiles !

La lettre d’intention doit en outre préciser la propriété intellectuelle des résultats livrés.


Comment rater son appel d’offre en vingt principes

  • Lancer un appel d’offre sans objectif précis et sans spécifier les besoins.
  • Ne pas lancer d’appel d’offre parce qu’on peut toujours trouver des fournisseurs sur Google.
  • Ne pas lotir le projet pour pouvoir tout confier à un seul fournisseur.
  • Retenir plus de cinq fournisseurs en short list.
  • Ne pas fixer de rétroplanning.
  • Ne pas définir les responsabilités au sein de l’équipe en charge de l’appel d’offre.
  • Ne pas définir de critères pondérés de sélection des fournisseurs.
  • Ne pas établir de liste exhaustive des éléments que les fournisseurs devront envoyer.
  • Privilégier systématiquement le prix le plus bas pour départager les fournisseurs.
  • Ne pas prévoir de phase de négociation avec les fournisseurs pressentis.
  • Ne pas intégrer les techniques de base de négociation et d’influence.
  • Se contenter du contrat standard du fournisseur.
  • Ne jamais se poser la question de la réversibilité.
  • Ne pas réaliser d’évaluation continue des fournisseurs au cours de l’appel d’offre.
  • Rendre publique la liste de tous les fournisseurs qui ont répondu à l’appel d’offre.
  • Éliminer d’office les petits fournisseurs, sous prétexte qu’ils ne seront jamais capables de répondre à vos besoins.
  • Ne pas prévoir de meilleure solution de rechange.
  • Ne pas identifier en amont les points de blocage et les moyens de les lever.
  • Ne pas prévoir de clause de benchmark dans le contrat, avec pénalités et bonus.
  • Ne pas impliquer les directions des achats et juridique.