La valeur d’une DSI ne se mesure qu’à la qualité de ses ressources humaines

Pierre Dulon est depuis début 2009 responsable de Global IT, la DSI de CA-CIB (Banque de financement et d’investissement de Crédit agricole SA, anciennement Calyon). Il a mis en place un plan pour renforcer les compétences en gestion de projet, accroître la mobilité interne et accompagner la transformation des métiers.

Que représente Global IT et quels sont les enjeux que vous avez identifiés ?

Pierre Dulon Global IT représente 2 500 personnes, dont 900 collaborateurs internes, répartis sur plus de 35 pays dans le monde avec des grandes plates-formes à Paris, Londres, New York et Singapour.

Notre principal enjeu est d’apporter la réponse informatique la plus adaptée aux besoins de chacun de nos clients, en gardant à l’esprit deux éléments essentiels : être innovants et force de proposition, et garantir des temps de cycle les plus courts possible pour permettre un « time to market » compétitif. En parallèle, nous devons tout mettre en œuvre pour apporter ces réponses dans les meilleures conditions économiques. Il nous faut pour cela avoir aussi une logique d’industrialisation de nos activités.

A quels constat répondait le lancement du plan d’action RH en 2009 ?

Pierre Dulon La valeur d’une DSI ne se mesure qu’à la qualité de ses ressources humaines. La réponse aux enjeux que nous venons de citer passe donc d’abord par la recherche permanente du meilleur niveau chez nos collaborateurs. Les constats étaient de trois ordres. Tout d’abord, nous avions un besoin de renforcer les compétences de gestion de projet et de management.

Ensuite, nous avions un taux de mobilité interne insuffisant pour permettre la mise en place de parcours de carrière efficaces. Enfin, il ne faut pas oublier que les métiers au sein de la DSI se transforment radicalement, avec un recours quasi systématique à la sous-traitance, à l’achat de solutions logicielles sur étagère, à la coordination d’équipes offshore.

Il nous faut donc absolument accompagner nos collaborateurs dans cette évolution. Notre objectif est bien d’avoir des collaborateurs « top class » et d’attirer les meilleurs.

Il nous faut pouvoir leur offrir des parcours de carrière attractifs au sein de Global IT, et, plus largement, au sein de la banque, afin de leur garantir une progression conforme à leurs attentes.

Pour cela plusieurs éléments sont nécessaires : définir les chemins de carrière, mettre en place les plans de formation et d’accompagnement des collaborateurs en cohérence avec ces chemins de carrière, favoriser la mobilité des collaborateurs pour accélérer leur évolution, et, enfin, recruter de manière régulière à l’extérieur pour apporter des compétences nouvelles. Pour attirer les meilleurs, il faut leur démontrer qu’ils pourront accroître leurs compétences et leur employabilité grâce à leur passage chez CA-CIB.

Au niveau d’une DSI, le vrai différentiateur compétitif est le niveau de performance des collaborateurs. Cela sous-entend qu’ils soient compétents et motivés. Il est donc indispensable de placer la gestion des ressources humaines au centre des préoccupations et notre responsabilité au niveau de la direction est de donner les moyens à nos managers de le faire.

Quels objectifs avez-vous fixés pour ce plan ?

Pierre Dulon Lors de la première phase de ce plan, en 2009, nous nous sommes concentrés sur trois éléments principaux : améliorer notre processus d’évaluation, définir les compétences requises pour chaque nature de poste et décliner en conséquence les plans de formation adaptés, et, enfin, définir les chemins de carrière et organiser la mobilité.

Notre priorité était de tout faire pour réussir la campagne d’évaluation de fin d’année, en donnant les moyens nécessaires à nos managers. Nous nous sommes inscrits dans une démarche étape par étape afin de pouvoir montrer aux collaborateurs que l’organisation améliorait ses processus et avançait de façon régulière. Il s’agissait pour nous de bien crédibiliser la démarche au travers de ces livraisons régulières.

Pour la fixation des objectifs par les managers, quelle méthode avez-vous utilisé ?

Pierre Dulon Nous sommes partis de la méthode SMART (Spécifique – Mesurable – Acceptable – Réaliste – déterminé dans le Temps) mais surtout dans une optique de sensibilisation de nos managers. Elle constitue en effet une grille d’analyse intéressante pour qu’un manager se pose les bonnes questions par rapport à ses collaborateurs, le contexte, les enjeux de l’année…

Mais si l’approche SMART constitue un bon guide, elle ne permet cependant pas de résoudre toutes les difficultés inhérentes à la fixation d’objectifs et leur évaluation. Il faut par exemple réfléchir à la manière de fixer des objectifs de développement personnel, qui sont par nature souvent plus qualitatifs que quantitatifs.

Autre exemple, nous fonctionnons à ce jour avec une seule campagne d’entretiens d’évaluation par an. Comment prendre en compte les changements de contexte dans l’année pour bien calibrer les objectifs en amont et bien évaluer la performance en aval ? Nous devrons d’ailleurs très certainement prévoir des campagnes d’évaluation intermédiaires, au moins pour les managers. Par ailleurs, il existe d’autres enjeux dans la démarche de fixation d’objectifs.

Il s’agit notamment, en complément de la prise en compte des besoins des collaborateurs (en termes de formations, de développement des compétences…), de pouvoir assurer la déclinaison des objectifs de l’organisation en termes plus opérationnels. Nous avons constaté dès cette année une amélioration très significative de la qualité des objectifs fixés. Plus de 95 % de nos collaborateurs ont eu des objectifs définis et clairement spécifiés.

Comment avez-vous abordé la problématique de gestion des compétences ?

Pierre Dulon Sur ce point, notre point de départ a été la constitution d’un référentiel de compétences précises à atteindre pour chaque nature de poste. Ce référentiel permet ainsi à tout collaborateur, d’une part, de se positionner en termes de niveau de compétences dans son poste, et, d’autre part, de pouvoir constater sa progression, reconnue par ses managers au travers des entretiens d’évaluation.

Par ailleurs, la constitution de ce référentiel de compétences nous a permis de clairement préciser quels étaient les attendus par rapport à un poste, et donc par rapport à la personne qui l’occupe. Lever ainsi toute ambiguïté sur les missions attendues de nos collaborateurs est un gage d’efficacité et de plus grand confort de travail.

J’insiste sur le fait que travailler sur un référentiel de compétences permet à chacun de nos managers de comprendre qu’il y a une partie intégrante et fondamentale de son métier qui consiste à faire progresser ses collaborateurs, et qu’il sera d’ailleurs évalué.

Quelle démarche a été mise en place pour mener ce plan d’actions ?

Pierre Dulon Tout d’abord, nous nous sommes mis en mode projet. C’était absolument indispensable pour assurer l’accélération de notre évolution en termes de gestion de carrière, mais aussi pour garantir la livraison à temps des éléments indispensables au succès de la campagne d’évaluation de fin d’année.

Nous avons donc nommé un chef de projet interne sur le sujet et monté un comité de pilotage bimensuel. Les réflexions ont été confiées à un groupe de travail regroupant des managers de différents niveaux de l’organisation et se réunissant de façon hebdomadaire. La direction des ressources humaines a bien sûr été associée au niveau du comité de pilotage ainsi que du groupe de travail.

Pour nous accompagner sur le sujet, nous avons fait appel à un cabinet de conseil (Talisker Consulting), notamment pour organiser et donner le rythme du projet pour assurer la tenue de nos objectifs dans les délais que nous nous étions fixés, pour aider à la création du référentiel de compétences et jouer le rôle de facilitateur en assurant le lien avec l’ensemble des parties prenantes, en particulier pour que tout le monde dispose du bon niveau d’information.

Quel a été le niveau d’appropriation des problé­matiques RH par les managers associés à la démarche ?

Pierre Dulon Ils se sont très vite approprié les sujets, et sont même devenus très demandeurs et ambitieux pour leur organisation. En outre, le niveau d’attente des collaborateurs est élevé. Les collaborateurs adhèrent globalement à la démarche et sont satisfaits de son lancement. Ils ont pu constater la mise en œuvre de premières réalisations. Ils en attendent donc d’autres maintenant. Ils nous poussent à continuer sur ces sujets, c’est très vertueux.

Comment avez-vous poursuivi l’effort en 2010 ?

Pierre Dulon En 2009, nous nous étions fixé un plan d’actions clair et il a atteint ses objectifs à court terme. J’en suis bien sûr satisfait, mais il ne s’agissait pas de s’arrêter là. Au contraire, nous avons élargi le périmètre de la démarche, notamment pour intégrer les back-offices, ce qui nous permet de promouvoir et faciliter encore plus les mobilités. En 2010, nous avons fixé notre attention tout d’abord sur le suivi de la mise en œuvre de nos actions de 2009 pour les ancrer définitivement dans nos modes de fonctionnement, avec notamment :

  • un bilan de notre campagne d’évaluation ;
  • le suivi de la réalisation du plan de formation défini ;
  • l’animation de la mobilité, directement par les opérationnels, avec une gestion proactive des postes et des carrières (nous
    avons atteint un seuil de 20 % de mobilité cette année) ;
  • la réalisation de notre plan de recrutement, défini pour se doter des compétences nécessaires pour notre transformation et non accessibles directement en interne.

Cette continuité me semble indispensable. Comme pour toute démarche liée aux ressources humaines, il faut s’inscrire dans la durée pour que cela ait un sens et une réelle efficacité. Il ne peut pas s’agir d’un plan d’actions « one shot ».

Quelles suites comptez-vous donner pour rester dans cette dynamique ?

Pierre Dulon Pour passer un nouveau palier dans notre gestion des collaborateurs, nous nous sommes attachés en 2010 à mettre en place la notion de filière métier pour instaurer des communautés par métier pouvant échanger sur les bonnes pratiques, les difficultés. Deux objectifs ont motivé cet axe : favoriser le travail en transverse et augmenter le niveau global des compétences.

La création de la filière des chefs de projet, personnes clés pour nous étant donné l’ensemble des projets à mener pour réussir notre transformation, s’est traduite par d’une part une réflexion sur le métier du chef de projet et son positionnement par rapport aux experts et aux managers, et d’autre part par la création d’un cursus de formation certifiant (Project Academy) pour développer et valoriser les compétences.

Nous poursuivrons encore en 2011 avec une généralisation des filières métiers, la mise en place d’une gestion prévisionnelle des compétences plus efficace (sur la base du référentiel des compétences utilisées pour les évaluations), et en parallèle le recrutement d’environ 200 collaborateurs (soit une augmentation totale de 25 % des effectifs internes avec le plan de recrutement 2010).