La vie quotidienne d’un DSI au XXIème siècle

Yves Caseau, qui a été DSI de Bouygues Telecom et qui est aujourd’hui directeur général adjoint de l’opérateur, a choisi un angle original. Il est parti de situations vécues au quotidien pour construire un ouvrage tout ce qu’il y a de plus sérieux autour de trois grandes problématiques : l’analyse de la valeur du système d’information, l’organisation et le management de l’ensemble. Pourquoi le système d’information coûte-t-il si cher ? Cette question, chaque DSI l’a entendue au moins une fois (plusieurs dizaines de fois pour les moins chanceux…).

« Si la question de la valeur produite par le système d’information reste intrinsèquement complexe, la mesure et la compréhension des coûts, ainsi que la mesure de l’efficience, sont des sujets qu’il est possible d’aborder de façon simple », souligne Yves Caseau. Point de départ : le système d’information est produit par la sédimentation des projets informatiques. Comprendre ce phénomène permet d’éviter les lieux communs.

Et si l’on prend en compte le cycle de vie du système d’information, il est possible, assure l’auteur, « de comprendre la structure des coûts de façon plus précise et d’agir efficacement en termes de stratégie ». Pourtant, la valeur produite par le SI n’est pas perçue comme telle : « Il semble que la sédimentation détruise ou fasse disparaître les arguments économiques des raisonnements de retour sur investissement qui ont justifié les projets », observe l’auteur. À la question du coût du système d’information, on peut a priori apporter deux éléments de réponse.

D’une part, un système d’information coûte cher simplement parce qu’il est gros. « C’est probablement la question la plus fondamentale, avant d’avoir une opinion sur le coût, encore faut-il savoir de quoi l’on parle, assure l’auteur. L’expérience montre que tout le monde sous-estime la taille du parc applicatif dans une entreprise, et en particulier les informaticiens ! »

D’autre part, un système d’information peut coûter cher si l’on ne sait pas relativiser « qu’est-ce qui coûte cher ? » et « de quels coûts parle-t-on ? ». « Différentes étapes du cycle de vie du SI et des logiciels qui le composent produisent des coûts de nature différente », insiste Yves Caseau.

Le S.I. démystifié, neuf scènes de la vie quotidienne d’un DSI, Yves Caseau, Dunod, 2012, 242 pages. Préface de Jean-Pierre Corniou.

Quant à la mesure de l’efficience du système d’information, elle fait appel au benchmarking. « Pour pouvoir apprécier un benchmark, il faut reconnaître l’ensemble des paramètres qui dimensionnent le parc applicatif et matériel, ne serait-ce que de façon macroscopique », conseille Yves Caseau, qui prévient également : « Le recours au benchmarking est un jeu politique. Bien plus que le contenu, ce qui compte, c’est de savoir qui est le commanditaire, quel est le contexte et quels sont les objectifs. » De fait, un benchmarking qui ne donne pas une indication de la taille du parc applicatif a toutes les chances d’induire plus de conclusions fausses que de vraies.

Second volet du propos de l’auteur, l’organisation, qui concerne à la fois les flux d’information, l’efficacité personnelle et les ressources humaines. Il est donc question d’agilité du système d’information avec, prévient Yves Caseau, un compromis à trouver « entre les objectifs de spécialisation (au risque d’une certaine complexité) et ceux de simplification et de flexibilité ».

Ainsi, l’organisation doit faire apparaître les processus métiers de façon explicite, « pour des raisons symboliques et des raisons d’efficacité », note Yves Caseau, pour qui l’un des objectifs-clés de l’organisation, dans une grande entreprise, est de réduire la latence des transferts d’information pour augmenter la réactivité.

L’efficacité personnelle, pour sa part, s’inscrit dans un contexte où « la distinction entre communication, collaboration et accès à l’information est en train de s’estomper, et cette conduite du changement est plus que jamais nécessaire ».

Quant à la gestion des ressources humaines, elle revoie à l’adaptation de la pyramide des âges, à la fidélisation des collaborateurs et à la sécurisation des compétences-clés. « Il faut s’appuyer sur la modification des carrières plutôt que de la combattre », estime Yves Caseau.

La fragilité récurrente des systèmes d’information

Enfin, la question du management du système d’information renvoie au pilotage budgétaire et à la fiabilité du SI, sujet qui a « fait couler beaucoup d’encre, et donné lieu à beaucoup de prises de positions diamétralement opposées, allant de l’excès de confiance dans la nature industrielle et maîtrisée de l’informatique, jusqu’à la méfiance instinctive face à une activité qui semble relever de la magie noire », commente l’auteur.

Les raisons de la fragilité des systèmes d’information ne manquent pas : les composants sont eux-mêmes fragiles, les logiciels sont devenus extrêmement complexes, de même que, par ricochet, les systèmes d’information eux-mêmes. En outre : « Les systèmes d’information, dans leur ensemble, ne sont que partiellement automatisés et font recours aux opérations manuelles. Toute intervention humaine est soumise à des erreurs. »

Et malgré les possibilités de redondance, « la complexité est un facteur aggravant de la disponibilité des systèmes. Un système important présente des pannes plus complexes et exige un volume de tests plus important. » Sur le terrain du management du système d’information, la gouvernance trouve tout son sens. Pour Yves Caseau, qui réfute les thèses sur la disparition du DSI, soluble dans la banalisation des technologies et l’externalisation : « Le fondement du travail de DSI est la maîtrise de la complexité et c’est un travail de professionnel. Ce rôle disparaîtra lorsque la technologie permettra de rendre le système d’information simple, ou au moins lorsque cette complexité sera apprivoisée. »

Yves Caseau termine son ouvrage en mettant en exergue trois idées importantes. D’abord, « le système d’information et l’optimisation continue des processus sont irrémédiablement mêlés, cela fait du SI un outil indispensable pour la transformation et la modernisation de l’entreprise ».

Ensuite, « la convergence entre la communication, la collaboration et le traitement de l’information fait du SI le système nerveux de l’entreprise en termes de coordination et d’optimisation des flux d’information ».

Enfin, « l’importance de ces deux enjeux est telle que la DSI ne peut prendre ni l’initiative ni le contrôle de ces transformations et doit forcément rester en position de support ». La complexité des systèmes d’information, assure Yves Caseau, ne sera maîtrisée que « lorsque le SI sera devenu vivant ».


Quelques autres idées à retenir

  • L’architecture est l’épine dorsale de la stratégie de mutualisation et réutilisation interne dans l’entreprise.
  • Le travail du DSI n’est pas tellement différent selon que ses équipes sont à 100 % internes, à 50 % internes, ou au contraire pilotent 80 % d’exécutants dans un pays en offshore.
  • la standardisation, l’externalisation, le recours à des services Web, l’utilisation de nouveaux outils et méthodes changent la nature du travail de la DSI, mais ne suppriment pas la composante technique de ce travail.
  • Le pilotage industriel des projets est nécessaire dans une DSI, même s’il peut sembler lourd, pour réduire les risques et augmenter la régularité des performances.
  • Le nettoyage applicatif est un des leviers importants pour la maîtrise du parc logiciel et la cartographie du SI est le premier outil de pilotage du patrimoine applicatif.
  • La fiabilisation du SI n’est pas une science exacte, mais le respect des « règles de l’art » est toujours exigé a posteriori lorsqu’il y a eu un incident grave.
  • Il faut supprimer le travail inutile, c’est-à-dire celui qui ne produit pas de valeur pour le client, et non pas opérer la réduction en commençant du côté des ressources.
  • Un projet informatique comporte quatre phases (conception, développement, test et déploiement) dont les poids respectifs approximatifs sont de 26 %, 36 %, 26 % et 12 %.
  • Les coûts récurrents représentent 25 % des coûts de réalisation d’un projet applicatif.