Les deux fédérations gérant le régime des retraites complémentaires pour le secteur privé ont uni leurs forces dans un vaste programme de convergence des systèmes d’information de leurs membres.
Comment passer de 44 à 4 plates-formes informatiques et de 66 à 13 systèmes d’information, tout en préservant des données essentielles pour la retraite de plusieurs millions de personnes ? Cette tâche, complexe et difficile, est pourtant celle accomplie par l’Agirc-Arrco en une dizaine d’années, dans le cadre d’un vaste programme de convergence des processus et de l’informatique gérant les retraites complémentaires du secteur privé.
Avec la réforme des retraites, les différents organismes gérant les retraites complémentaires ont dû effectuer un certain nombre d’adaptations : prise en compte des mesures modifiant l’âge de départ à la retraite, aménagements liés à la pénibilité des carrières, majorations familiales et mensualisation des allocations (prévue dès janvier 2014).
En parallèle, le secteur a traversé une phase de consolidation, passant au fil des regroupements de 39 groupes de protection sociale en 2000 à 14 en 2012. Pour les deux fédérations, il fallait donc à la fois mettre en œuvre les changements imposés par le nouveau cadre législatif et réglementaire, tout en homogénéisant processus métiers et systèmes d’information.
Pour répondre à ces enjeux, l’Agirc et l’Arrco ont initié un vaste programme de transformation. En 2001, celui-ci a obtenu le feu vert des pouvoirs publics. En 2002, les deux fédérations responsables des régimes de retraite complémentaire décident de s’unir à travers un groupement d’intérêt économique (GIE), créé pour piloter et coordonner ce programme.
En 2008, la DSI-RC est créée afin de fournir un soutien opérationnel aux GIE et aux DSI des différents groupes gérant des caisses de retraite, ainsi que pour assurer la gouvernance des ressources informatiques concernées par le programme. En 2011, les GIE Alcara et GieProd viennent compléter la liste des acteurs intervenant sur le programme. Ils assurent la maîtrise d’œuvre du système d’information de la retraite complémentaire (SI-RC), fournissent les applications utilisées dans les groupes de prévoyance sociale et exploitent la plate-forme informatique de six d’entre eux.
Ce vaste chantier de refonte des systèmes d’information comporte trois grands volets :
- Le premier est la création d’un outil unique, l’Usine retraite (UR), destiné à remplacer les différents logiciels métiers présents dans les différents groupes membres des fédérations.
- Le deuxième consiste à unifier les traitements en mettant en place des points d’entrée et de sortie uniques pour les flux de données liés aux retraites complémentaires. Il s’agit notamment de rendre les informations plus faciles d’accès et plus aisées à comprendre pour tous les acteurs concernés : actifs, retraités, entre-prises, pouvoirs publics et organismes de protection sociale.
- Enfin, les différentes caisses de retraite entament en parallèle un rapprochement de leurs plates-formes informatiques.
L’Usine retraite pour unifier les processus
Les travaux du GIE Agirc-Arrco permettent de valider en 2004 le concept de l’Usine retraite, un outil unique pour gérer les processus cœur de métier de la retraite complémentaire.
La Plate-forme retraite complémentaire (PRC), première brique de cette solution, est lancée en 2006. En 2009, la mise en production démarre. Début 2012, toutes les briques ont été développées et sont en production chez Novalis Taitbout (désormais intégré à Humanis), le groupe de prévoyance sociale pilote sur le projet. Le GIE Alcara gère à présent le développement et la mise en œuvre de la solution, dénommée Allure. Au total, la construction de l’Usine retraite sur la période 2006-2010 a coûté près de 300 millions d’euros, soit 3,5 % des coûts de gestion sur la même période.
Treize groupes utilisent encore leurs systèmes d’information et sont appelés à migrer progressivement vers l’Usine retraite. Cinq groupes en ont déjà déployé une partie, et fin 2012, autant devraient être équipés de l’Usine retraite complète. « Nous savons aujourd’hui dessiner le système d’information de la retraire complémentaire, chose que nous étions incapables de faire auparavant », relate Daniel Lefebvre, DSI retraite complémentaire.
De nouveaux services d’information
Le système d’information des retraites complémentaires est en relation avec un certain nombre d’organismes, desquels il reçoit des données et qu’il alimente également en informations. Parmi ceux-ci figurent notamment la Cnav, Pôle Emploi, les participants aux régimes de retraite et leurs employeurs, ou encore l’Insee. Pour favoriser l’accès aux données sur les retraites, l’Agirc et l’Arrco travaillent en parallèle sur plusieurs chantiers, parmi lesquels :
- L’information des actifs, avec la création d’un nouveau service en ligne, le relevé individuel de situation en ligne, ou RIS-e, qui permet aux cotisants de consulter leurs droits acquis et relevés de points sur Internet. Actuellement celui-ci reçoit 25 000 demandes chaque semaine, et en 2012, les deux fédérations estiment qu’il en recevra 1,2 million.
- La dématérialisation des déclarations sociales : en 2011, le taux de dématérialisation pour la DAD-U (déclaration automatisée des données sociales unifiée) a atteint 92 % ; quant à la DUCS (déclaration unifiée de cotisations sociales), sur le troisième trimestre 2011, 48 % de déclarations ainsi que 40 % des paiements se sont effectués de manière dématérialisée.
D’autres chantiers sont à venir, notamment :
- La déclaration sociale nominative (DSN)
- Les échanges électroniques d’informations de la Sécurité sociale (EESSI)
- En 2012, les premiers entretiens information retraite à partir de 45 ans.
Un nouveau datacenter et une convergence des plates-formes
Le groupement collecte et gère des données sensibles, qui doivent être conservées sur une durée minimum de 70 ans. Afin d’assurer la conservation des données, les fédérations ont entrepris la construction d’un datacenter situé à Bordeaux. Celui-ci devrait être livré au cours du premier semestre 2012.
À l’heure actuelle, les systèmes d’information de la retraite complémentaire sont hébergés sur quatre plates-formes : Amicap, Systalians, SI2M et Alcara-GieProd. L’objectif, à terme, est de limiter le nombre de centres d’exploitation, à la fois pour contrôler les coûts et pour être en mesure de travailler sur la qualité de service et la standardisation des pratiques. La gestion des ressources entre également en compte, qu’il s’agisse de professionnaliser les hommes ou d’optimiser les moyens, par exemple pour l’éditique. « Il faudra néanmoins conserver pour les groupes la possibilité d’avoir un système d’information retraite complémentaire intégré avec le reste de leur SI prévoyance, ou au contraire géré séparément », explique Gilles Golomer, directeur du Centre des services nationaux.
De fait, le système d’information de la retraite complémentaire s’oriente vers une gestion sur deux niveaux : le schéma directeur actuel, couvrant la période 2011-2014, prévoit de gérer au niveau national l’ensemble des bases nationales, ainsi qu’un certain nombre de briques du SI-RC, comme les référentiels d’entreprises, la gestion des individus et des adhésions aux régimes, les carrières ou les dossiers retraite.
Les briques de pilotage seront également gérées au niveau national, tandis qu’à l’échelon local, les groupes de prévoyance pourront interfacer les briques de l’Usine retraite déployées chez eux avec leurs propres systèmes d’information, notamment leurs applications de gestion de la relation client. Pour permettre ces interfaces et faciliter les échanges avec les nombreux organismes partenaires de l’Agirc-Arrco, le système d’information RC est conçu avec des exigences fortes en termes d’interopérabilité. Il fixe notamment une norme d’échange unique à travers un bus d’intégration applicative.
L’ensemble des salariés travaillant dans le domaine de la retraite complémentaire sont concernés par les changements en cours. Deux populations nécessitent néanmoins une attention particulière : les informaticiens, dont le rôle est crucial pour faire fonctionner le nouveau système d’information, et les gestionnaires, utilisateurs principaux de celui-ci.
Diminuer le nombre de prestataires
Avec ce programme de transformation, l’Agirc et l’Arrco touchent aux fondamentaux de leur métier. Pour réussir, il était donc important de conserver en interne l’expertise et le savoir-faire acquis. Pour y parvenir, l’Agirc et l’Arrco ont entrepris de travailler sur deux axes : d’une part, il s’agit de diminuer la sous-traitance, visant 30 % de prestataires, alors qu’aujourd’hui ceux-ci fournissent près de la moitié des ressources. D’autre part, les deux fédérations souhaitent professionnaliser et mobiliser l’ensemble de leur filière informatique. Les informaticiens, qui représentent près de 1 200 équivalents temps plein, sont en effet des acteurs essentiels pour la réussite du déploiement de l’usine retraite. Cette population est confrontée à de plusieurs défis :
- Les informaticiens doivent notamment se spécialiser, soit sur le système d’information de la retraite complémentaire, soit sur les systèmes d’information des groupes. Par ailleurs, leurs compétences doivent évoluer afin qu’ils puissent développer et maintenir le SI commun.
- Ils doivent répondre à des besoins croissants de mobilité entre structures et sont directement concernés par les projets de regroupements des acteurs de la protection sociale. La création d’organisations de plus en plus grandes et complexes peut en outre provoquer une perte de repères.
- Dans ce contexte, les informaticiens doivent développer le travail en réseau et font face à des exigences opérationnelles de plus en plus fortes.
- Enfin, ils sont directement concernés par la politique du moindre recours à la sous-traitance, résultant d’une volonté de recentrage de l’expertise en interne.
Pour les accompagner, l’Agirc-Arrco a mis en place un programme dénommé ITAC, pour Informatique en Transformation : Accompagnement et Compétences. Celui-ci a plusieurs objectifs : piloter la transformation, organiser et donner du sens, mobiliser les équipes, continuer à la professionnalisation et communiquer.
Les utilisateurs, 16 000 gestionnaires, au cœur de la réforme
Du côté des gestionnaires, un programme d’accompagnement au changement a été lancé dès 2008. Dénommé ACT (Accompagnement du Changement Transverse), celui-ci a pour objectif de rassurer les gestionnaires par une communication adaptée, de sécuriser le déploiement de l’Usine retraite et de mutualiser expériences et bonnes pratiques. Au total, ce programme concerne 16 000 personnes, dont 3 000 gestionnaires qui utilisent déjà l’outil.
Pour sécuriser le déploiement, il est important d’identifier les écarts entre le fonctionnement actuel des différents groupes et l’Usine retraite. « Nous quittons treize systèmes d’information pour passer sur un seul, rappelle Guy Brisson, responsable de l’accompagnement du changement transverse DSI-RC. Il faut tenir compte des particularités réglementaires de certaines professions, des habitudes de gestion. Selon les cas, le passage à l’Usine retraite peut être vécu très différemment par les utilisateurs : certains y verront rapidement un gain, tandis que pour d’autres habitués à un outil sur mesure la transition sera plus délicate. »
Des baromètres permettront de mesurer les effets des actions d’accompagnement au changement et le ressenti des utilisateurs, avant et après le démarrage. Il est particulièrement important de laisser des questions ouvertes afin de repérer les facteurs pouvant être irritants pour les gestionnaires. Pour la communication et le partage d’information, des temps d’échange ont été prévus, comme les « Market Places ».
Celle-ci consistent à réunir lors d’une journée des gestionnaires issus des différents groupes afin qu’ils puissent partager leur expérience. Deux Market Places ont déjà eu lieu, encadrées par des animateurs. La dernière a réuni près de 150 personnes.
D’autres initiatives viennent renforcer le partage d’information, s’inscrivant dans un cadre transversal. « Nous avons mis en place un réseau de porteurs dans les groupes, explique ainsi Guy Brisson. Il s’agit de représentants présents dans les groupes, qui nous font remonter les problématiques et aident à diffuser l’information. Aujourd’hui, il existe 18 porteurs sur l’ensemble des groupes. »
Un wiki fournit un espace de travail collaboratif aux différents acteurs travaillant sur la conduite du changement. La formation n’a pas été oubliée : les équipes chargées de l’accompagnement au changement ont conçu de nombreux didacticiels pour les différentes populations concernées. « Ceux-ci représentent près de 23 jours de formation au total », estime Guy Brisson.
Une opportunité pour réduire les coûts informatiques
Le programme engagé par l’Agirc-Arrco intervient dans un contexte sensible, où la maîtrise des charges de gestion des régimes est essentielle. En 2014, les deux fédérations se sont donc fixé pour objectif de réduire les coûts de gestion de l’informatique de 16 %. En 2010, une première inflexion dans ce sens a pu être observée : les charges de gestion administratives, qui s’élevaient à 1 814 millions d’euros en 2009, sont passées à 1 708,2 millions d’euros en 2010, les charges informatiques passant dans le même temps de 491,3 millions d’euros à 467,4 millions en 2010.
Pour atteindre l’objectif de – 16 %, la DSI-RC a défini un nouveau modèle d’analyse des dépenses, basé à la fois sur l’approche Activity Base Costing (voir Best Practices revues et corrigées dans notre n° 71, 5 septembre 2011) et sur les travaux du Cigref. « L’enjeu était de sortir d’une approche purement comptable pour aller vers le service rendu », relate Dominique Poussin, secrétaire général de la DSI RC. Opérationnel depuis 2010, ce modèle devrait à terme devenir obligatoire pour tous les acteurs impliqués dans le régime des retraites complémentaires.
Grâce à cette nouvelle façon de structurer les coûts, l’Agirc et l’Arrco peuvent identifier plus aisément les leviers possibles pour réduire les coûts. Les fédérations souhaitent en priorité agir sur trois d’entre eux :
- baisser les coûts de fonctionnement structurels ;
- réduire les projets dans les institutions au profit du déploiement de l’Usine retraite ;
- remplacer les prestataires par des ressources internes.
Le troisième est particulièrement important, les prestataires représentant actuellement 37 % des coûts (1 100 personnes environ). Pour réduire leur nombre et renforcer par la même occasion ses possibilités de négociation, la DSI RC a entrepris un premier référencement de quinze prestataires en juillet 2010, ce qui a contribué à une économie de près de trois millions d’euros. En parallèle, d’autres axes de réduction des coûts sont envisagés, comme la mutualisation de certaines solutions techniques, le regroupement pour les achats de matériel et logiciels ou encore la définition d’une politique de sous-traitance commune.