Si la connaissance du client est depuis très longtemps un des piliers du marketing, celle de l’électeur est en train de devenir un levier important de la vie politique, notamment aux Etats-Unis.
Le Président américain Barack Obama l’a bien compris. Lors de sa première campagne, en 2008, son utilisation des réseaux sociaux a contribué de manière notable à sa victoire. L’actuel président des Etats-Unis ne s’est pas contenté d’utiliser ces derniers comme un support de communication : il en a fait un véritable outil d’organisation de sa campagne, utilisant les données collectées pour cibler de manière très précise les électeurs. L’efficacité des opérations de démarchage sur le terrain ou de collecte de fonds a ainsi pu être considérablement renforcée. Pour la campagne de 2012, le candidat a même recruté un « Chief Scientist » pour travailler sur ces analyses : Rayid Ghani, un ancien consultant d’Accenture et expert de l’exploration de données.
Avec jusqu’à 500 données collectées pour chaque électeur, les équipes du Parti démocrate sont en mesure de cibler les électeurs indécis les plus susceptibles de répondre favorablement aux idées de leur candidat, et d’ajuster leurs arguments en fonction du profil de leurs interlocuteurs : évoquer la politique de santé auprès des médecins, par exemple, ou les engagements contre les discriminations auprès de personnes qui y sont confrontées.
Les médias sociaux permettent en outre d’exploiter le réseau de proximité, plus efficace que les autres canaux. On peut ainsi prédire l’échec d’une opération de séduction de la part des militants. Dans un article publié dans le quotidien Le Monde, le 16 octobre 2012, le journaliste explique par exemple comment on élimine a priori certaines cibles, en prédisant, grâce à leurs caractéristiques, que leur opinion a très peu de chances de basculer : « Les hommes d’affaires blancs de plus de 50 ans vivant en Louisiane, possédant des revenus élevés, des armes à feu et un 4 × 4, votent républicain à 94 %. Pour ne pas gaspiller leur temps et leur argent, les démocrates vont tous les éliminer de leur liste, car les chances de les faire chenger d’avis sont presque nulles. »
L’émergence du marketing politique
En France, le contexte législatif est différent : la collecte de données personnelles est soumise à l’approbation de la CNIL et les dépenses engagées lors des campagnes électorales sont encadrées par la loi. Les freins sont également culturels, rares étant encore les acteurs politiques à percevoir le potentiel des technologies pour toucher leur électorat potentiel.
Néanmoins, le numérique modifie là aussi la donne, contribuant par exemple au développement des analyses comparatives, le « fact checking », qui factualisent le débat et permettent de vérifier rapidement les éléments et chiffres avancés. Le débat public se déplace sur le Web, où il devient plus accessible aux citoyens, qui peuvent réagir en direct aux idées exposées.
Des outils comme Twitter, Facebook, les blogs et forums ou encore les commentaires de lecteurs sur des articles peuvent également être utilisés comme sources d’information par les partis politiques et leurs candidats, à condition de qualifier les données ainsi recueillies.
Pour rendre ces données exploitables, il faut en effet prendre en compte le contexte, déterminer qui parle et être capable de déceler les nuances qui distinguent le sarcasme de l’opinion sincère : autant d’éléments que les professionnels du marketing sont habitués à analyser.
De fait, ces données disséminées sur la toile sont un vaste gisement de matière pour le marketing politique,, qui a trois objectifs : solidifier son camp et sa base électorale, convaincre les indécis et faire hésiter le camp d’en face. De ce point de vue là on aura toujours besoin d’une segmentation, d’une vision statistique et quantifiée de l’ensemble de l’électorat.
L’essor de la culture numérique va sans doute influencer durablement la vie politique : d’une part, en mettant en lumière les données factuelles et en facilitant les vérifications, elle pousse les politiciens à davantage de cohérence dans leurs discours. D’autre part, elle leur permet de percevoir les opinions par un autre prisme que celui des sondages et de mieux comprendre ainsi les attentes de l’électorat.
Pour en faire quoi ? S’il ne s’agit pas d’aller à l’opposé de son spectre idéologique, en adaptant son discours au gré des vents, en revanche, l’analyse des opinions et réactions diffusées de manière publique peut permettre de tester un argumentaire, d’évaluer une proposition de mesure ou de mieux toucher certaines catégories d’électeurs.