Le client, la donnée et la plateforme : les trois piliers du digital

Quelle est la différence entre la quatrième révolution industrielle, celle que nous expérimentons actuellement, et les précédentes ? « Avec la quatrième révolution industrielle, de nouveaux acteurs ont challengé les entreprises établies sur trois fronts : l’expérience client, la data et les plateformes. Grâce à un effort conséquent sur ces trois axes, ils ont fait émer­ger de nouveaux modèles autour de la désintermédiation, en captant une partie des chaînes de valeur », résument les auteurs de l’étude de l’EBG (Electronic Business Group) sur la maturité digitale des entreprises.

Certes, celles-ci ont agi sur ces trois dimensions potentiellement destructrices si rien n’est fait, elles progressent en matière de connaissance client, de pilotage des données, d’agilité et d’innovation. Cet ouvrage repose d’ailleurs sur de multiples retours d’expériences de moyennes et grandes entreprises. Mais il reste du chemin à faire.

L’expérience client : un prérequis, mais avec l’expérience collaborateur

L’expérience client est évidemment au centre de la transformation numérique des entreprises, mais elle n’est pas la seule : il faut aussi compter avec l’expérience collaborateur. Ainsi, 70 % des organisations interro­gées dans une étude d’IBM jugent que l’expérience employé doit être aussi im­portante, sinon plus, que l’expérience client. « On parle du couple expérience employé/expérience client, auquel sont appliqués les mêmes approches et standards d’exi­gence et de qualité. L’entreprise va tenter d’augmenter la valeur de ce couple employé-client de manière expo­nentielle », expliquent les auteurs de l’étude, qui affirment que « les entreprises qui proposent la meilleure expérience client ont aussi mené un travail de fond sur l’expé­rience employé. »

Les données : le réservoir est d’abord dans l’entreprise

Les nouveaux entrants qui rencontrent un succès sur le marché et parviennent à disrupter les acteurs établis ont généralement construit leur business modèle à 100 % sur des données. Toutefois, ils n’ont accès qu’à seulement 20 % des données disponibles, essentiellement celles qui sont publiques et donc accessibles à n’importe qui. Où est le reste ? Les 80 % restants sont des données internes, stockées dans les systèmes d’information des entreprises his­toriquement établies sur le marché : dans leurs usines, magasins, dépôts, agences, via leurs produits et leurs ressources humaines…

« Tandis que les nouveaux entrants n’ont pas accès à ces mêmes données, il est par contre aujourd’hui très aisé pour les entreprises établies d’accéder aux 20 % de données externes… un avantage de taille sur les nou­veaux entrants ! », assurent les auteurs. Selon eux, « si aucune ne peut revendiquer un pilotage à 100 % par la donnée (est-ce même possible et souhaitable ?), elles sont en tout cas très nombreuses à mettre la don­née au service de leurs métiers. » Ce qui a été possible grâce à de lourds investissements dans les infrastruc­tures et à un travail d’ouverture des systèmes d’information vers les métiers, grâce, notamment à la démultiplication des API.

Plusieurs ingrédients sont indispensables pour réussir une stratégie Data. Ils sont rappelés par le Boston Consulting Group : une vision, des use cases, des ressources humaines, une gouvernance, des infrastructures, sans oublier le principe 10/70/20 : 10 % d’algorithmes, 70 % de conduite du changement et 20 % de technologie.

Les plateformes : le SI de l’entreprise devient le SI de l’écosystème

Historiquement, les systèmes d’information ont été élaborés autour d’offres de produits et avec une focalisation interne à l’organisation. Progressivement, ils se sont ouverts vers l’extérieur de l’entreprise, en prenant en compte deux composantes : les clients et les partenaires/sous-traitants, par exemple avec des systèmes EDI (Échange de Données Informatisé). « Pour reprendre le leadership sur le marché, les entreprises construisent à présent des systèmes d’information dits « SI d’écosystèmes » qui rassemblent clients, collaborateurs, partenaires, tiers de confiance et concurrents dès la conception », rappellent les auteurs. Avec un principe simple : s’intégrer à un écosystème pour y partager leurs actifs, des savoir-faire et des expertises, mais également s’appuyer sur des capacités technologiques mises en commun pour dé­velopper et enrichir l’écosystème, avec un mécanisme vertueux.

Le principal atout de ces plateformes est qu’elles remodèlent l’usage des données, ainsi que les processus qui permettent de les valoriser. « Cette évolution s’accompagne de l’émer­gence de nouvelles capacités technologiques avec l’intel­ligence artificielle, qui permet de passer des systèmes sta­tiques et programmés à des systèmes apprenants », estiment les auteurs. Ceux-ci rappellent les quatre technologies les plus structurantes des plateformes : l’intelligence artificielle (pour repenser les processus), la Blockchain (pour la sécurité), l’Internet des objets (pour les nouveaux usages) et le cloud hybride comme socle technologique d’ouverture et d’intégration du système d’information. Selon une étude d’IBM, 28 % des entreprises sont déjà engagées vers ces nouveaux business models de type plateforme et 72 % des nouveaux disrupteurs d’un secteur sont en réalité des en­treprises traditionnelles du secteur en question, et non pas les géants du numérique, comme on pourrait le penser a priori.

Le sujet des architectures SI est d’ailleurs de plus en plus souvent abordé dans les comités exécutifs, parce que la technologie influence de plus en plus la stratégie. « C’est le cas à plus de 80 % chez Air France », selon Jean-Christophe Lalanne, DSI du groupe. « Toutes les entreprises se posent la question de savoir quelles plateformes d’offres proposer à leurs clients, et dans quel pays, elles permettent aux grands groupes d’accélérer », assurent les auteurs.

Comment les entreprises répondent aux nouveaux entrants
Approche Menaces des pure players Réponse des entreprises établies
 Expérience client  Innovante, différenciante et centrée sur le client  Expertise et approche client : renforcer l’expertise des collaborateurs pour augmenter le niveau de service et la valeur, identifier et généraliser les parcours clients
 Données  Big Data et analytique pour enrichir les services et la connaissance client  Exploitation de leurs données : 80 % des données sont stockées à l’intérieur des entreprises existantes, hors de portée des pure players
 Plateforme  Nouvelles plateformes business Fédération de leur écosystème : création de plateforme métier de différenciation au sein de leur(s) écosystème(s)

 


Verbatim

  • « Nous sommes dans une forme de naturalisation des interfaces que l’on place entre les mains des clients. En conversationnel, que ce soit en vocal ou en textuel, c’est le langage des utilisateurs qui compte. » (Erwan Gaultier, vice-président Europe & MEA Digital Channels & Customer Experience, Orange).
  • « J’avais sous-estimé la nécessité d’avoir un partenaire DSI aussi ouvert que pos­sible et qui nous accompagne. Il faut veiller en permanence à maintenir une consistance sur le code et l’expérience utilisateur, sans quoi des disparités sur­viennent vite et font prendre des risques aux projets ! » (Catherine Spindler, directrice marketing, Vente-Privée).
  • « Avant d’ache­ter ses vacances, un client du Club Méditerranée a 11 contacts sur 96 jours en moyenne. Soit presque autant que pour l’achat d’une automobile ! » (Anne Browaeys, DSI et Chief Data Officer, Club Méditerranée).
  • « Nous n’avons pas besoin d’outils pour dire aux clients quoi faire, mais pour leur donner les éléments nécessaires à ce qu’ils prennent les décisions eux-mêmes. » (Bertrand Corbeau, directeur général, Crédit Agricole).
  • « Le client omni­canal dépense deux fois plus : ceux qui passent au digi­tal dépensent encore plus sur le canal traditionnel. C’est un cercle vertueux ! » (Caroline Delorme, directrice digital, Galeries Lafayette).
  • « L’enjeu n’est pas l’algorithme et sa qualité, mais bien la capacité à intégrer les données qui pourraient nous aider » (Cédric Taravella, directeur général, Etam).
  • « Expli­quer qu’uploader une image de 4MB sur un site équivaut à garer un semi-remorque devant une boutique. C’est moins visible parce que c’est digital, mais les dégâts sont encore plus importants ! » (Thierry Chrin, DSI et Chief Digital Officer, Clarins).
  • « Il ne faut pas chercher à opposer privé et public. Il y a des entreprises archaïques et certains organismes publics qui sont en pointe. » (Benoît Mainguy, directeur général adjoint des services, chargé de la performance, de la transformation des services et du digital, Conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes).
  • « Il ne faut pas croire qu’il suffit d’ins­crire ses collaborateurs à des Moocs pour changer les choses. Les Moocs ne travaillent qu’une seule forme d’intelligence. Il manque la coopération, la capacité à travailler ensemble. On ne développe pas ses capacités émotionnelles derrière un écran ! » (Bernard Belletante, directeur général, EM Lyon).
  • « Nous avons créé une méthode «CA Agile», dans laquelle nous avons voulu tout mettre. Elle a eu pour effet de déresponsabiliser les colla­borateurs, ce qui va à l’opposé de l’objectif de l’agile. Il faut donner des latitudes aux équipes ! » (Serge Madgeleine, directeur général, CA Technologies & Services).