Le destin numérique de l’Europe face au défi de la Tech américaine

Dans le dernier numéro de la revue Futuribles, Henri d’Agrain, Délégué Général du Cigref, dresse le panorama des relations entre l’Europe et les États-Unis dans le domaine des technologies de l’information. La grande caractéristique reste la dépendance : les produits et services sont au cœur des systèmes d’information des entreprises et des organisations publiques, avec la domination de grands acteurs tels IBM, Microsoft, Oracle, Amazon ou Google, pour ne citer que les principaux.

De quoi créer une forte dépendance : les principaux hyperscalers américains captent environ 70 % du marché du cloud. « Les exceptions européennes telles que SAP et Dasssault Systèmes, bien qu’efficaces sur leurs segments respectifs, n’ont pas suffi à inverser cette dynamique structurelle », déplore Henri d’Agrain. Globalement, rappelle-t-il, l’industrie américaine capte 40 % de la valeur totale du marché des logiciels, des plateformes cloud, des services numériques et des activités de conseil.

Cette dépendance à l’égard des acteurs américains a évidemment des conséquences concrètes : elle « accentue la vulnérabilité européenne et freine sa capacité à générer de la valeur dans les secteurs d’activités les plus porteurs », souligne le Délégué Général du Cigref. En outre, cela « fragilise l’autonomie économique de l’Europe et limite sa capacité à maîtriser son destin numérique. » Avec des risques géostratégiques et juridiques qui sont réels. Selon l’auteur, les premiers sont « les plus négligés », les seconds « sont déjà une réalité ».

À l’horizon d’une décennie, Henri d’Agrain identifie trois scénarios :

Le renforcement de la dépendance de l’Union européenne par le maintien du statu quo : l’UE se trouvera progressivement marginalisée « enfermée dans un statut de colonie numérique des États-Unis ».

Une transition stratégique européenne grâce à des politiques industrielles ambitieuses : cela passe, notamment, par le développement d’offres de « cloud européen de confiance » à grande échelle. « Ce scénario favorise l’émergence d’une régulation mondiale des données », assure Henri d’Agrain.

Un conflit technologique global et une escalade de la rivalité sino-américaine : ce scénario se traduit par « une polarisation croissante des sphères d’influence numérique. »

Le Délégué Général du Cigref plaide pour une souveraineté numérique de l’UE : « L’Union européenne ne peut plus se permettre d’ignorer l’urgence stratégique qui pèse sur son avenir numérique. Maintenir le statu quo reviendrait à s’exposer à un renforcement des vulnérabilités économiques, juridiques et géopolitiques du Vieux Continent, et à réduire progressivement sa capacité à agir en acteur souverain sur la scène mondiale. »