Euromaster va faire migrer la totalité de ses 5 500 utilisateurs vers Google Apps en 2010. Une stratégie qui s’inscrit dans une volonté de centralisation du SI et de modernisation de la messagerie électronique. Le témoignage d’Olivier Carré-Pierrat, directeur des infrastructures d’Euromaster
Comment s’organise le système d’information d’Euromaster ?
Olivier Carré-PierratEuromaster, spécialiste de la gestion des pneumatiques, est un groupe relativement récent, créé au début des années 1990, et qui s’est construit essentiellement par des opérations de croissance externe. Nous couvrons aujourd’hui douze pays. Du fait de la façon dont l’entreprise s’est bâtie, il restait beaucoup à faire sur le plan de l’homogénéisation des systèmes d’information.
Auparavant, chaque pays disposait d’une DSI avec son propre système d’information. Nous avions en effet intégré, avec plus ou moins de difficultés, différents serveurs et des versions hétérogènes d’applicatifs des différents pays ou sociétés. Ce chantier de modernisation a été initié en 2005, notamment pour gérer les problèmes d’obsolescence et de maintenance des outils existants.
Nous sommes aujourd’hui en phase de déploiement, dans tous les points de vente en Europe, d’un système d’information centralisé, centré sur notre cœur de métier : la distribution. Les applications de messagerie et de collaboration s’inscrivent dans cette stratégie. Nous avions atteint le point où il fallait faire évoluer des produits en fin de vie, notamment par manque de fonctionnalités et d’espace pour les utilisateurs.
Il leur fallait des solutions plus modernes : certes, on ne considère pas la messagerie comme une application vraiment critique, même si cela pose problème aux utilisateurs lorsqu’elle n’est pas disponible. Depuis 2005, la DSI Groupe pilote ces initiatives de centralisation-standardisation et déploie les différentes briques dans les pays.
Comment avez-vous sélectionné la solution de messagerie et sur quels critères ?
Olivier Carré-Pierrat Nous avons procédé de manière classique, avec un appel d’offres et la consultation des solutions les plus standards du marché, celles de Microsoft (Exchange), d’IBM (Lotus), une solution Open Source chez un hébergeur, et celle de Google (Google Apps).
Pour chacune, nous avons réalisé une étude de ses forces, de ses faiblesses et des risques. Google s’est imposé comme challenger, notamment d’un point de vue financier. Nous utilisions auparavant Microsoft Exchange, qui sera encore en fonction jusqu’à mi-2010 lorsque nous aurons achevé les migrations vers Google Apps.
Le premier critère est évidemment le coût, même si nous cherchions davantage à l’optimiser qu’à le réduire. Deuxième critère de choix : la richesse des fonctionnalités par rapport au coût. Nous envisagions un simple projet de messagerie, sans intégrer par exemple la messagerie instantanée.
Le fait d’en bénéficier dans le package nous a motivés pour la déployer. Bien sûr, tout les produits du marché la proposent, mais dans un modèle classique de licence, plus compliqué à gérer pour nos 5 500 utilisateurs, avec des options qu’il faut acheter ou des services qu’il faut mettre en place.
Où en êtes-vous dans le déploiement de Google Apps ?
Olivier Carré-Pierrat Nous en sommes actuellement (en février 2010) à 1 200 utilisateurs dans plusieurs pays, dont la France, le Royaume-Uni et la Pologne. Nous avons commencé à déployer pour les services supports et les collaborateurs des magasins seront équipés dans un second temps.
Nous avons privilégié un déploiement progressif, afin d’habituer les utilisateurs, d’autant que nous ne faisons pas de formation. Nous nous faisons accompagner par une SSII pour l’intégration technique, en particulier le système de gestion des identités et les migrations des données existantes (reprise des e-mails, des contacts et des calendriers).
Quelles sont les réactions des utilisateurs ?
Olivier Carré-Pierrat Nous avons beaucoup de remontées de la part des utilisateurs. C’est un sujet de discussion quotidien. Globalement, la satisfaction est bonne, essentiellement liée à la simplicité de l’outil, et nous n’avons pas eu besoin de formations et d’explications poussées.
Les collaborateurs se sont approprié la solution et l’utilisent bien au-delà de la simple messagerie : ils ont bien assimilé les notions de partage de documents ou de conférences vidéo et l’on voit fleurir des sites internes avec un rythme soutenu de mises à jour.
Comment est-ce perçu par la direction générale ? L’argument financier est-il décisif ?
Olivier Carré-Pierrat La direction générale a été équipée en premier. Pour « vendre » en interne un tel projet, il importe de démontrer par l’exemple. Nous avons ainsi équipé certains décideurs dont on connaissait l’intérêt pour les technologies de l’information, qui ont adopté la solution et se sont transformés en ambassadeurs auprès de leurs collègues.
En outre, nous avons procédé à une comparaison avec l’équipementier automobile Valeo, qui avait fait un choix similaire quelques mois avant nous. Cela a contribué à valider la crédibilité de la solution. L’argument coût constitue un élément indispensable.
Nous considérons la messagerie comme un service de base et nous souhaitions une solution pour gérer des volumes de consommations et leurs variations. Le coût de quelques dizaines d’euros par an et par utilisateur de Google Apps est à comparer avec un coût estimé de 200 à 220 euros par utilisateur et par an, avec des solutions classiques.
Par quoi faut-il commencer ?
Olivier Carré-Pierrat Côté organisation, il faut en premier lieu constituer une équipe projet motivée. Ensuite, l’étape critique concerne le recensement de l’existant, surtout pour des organisations internationales dont la maintenance n’a pas été correctement assurée. La phase de mise en œuvre, avec un intégrateur, assure une bonne migration de tous les modules et des API, tout en permettant de tester le système.
Pour le déploiement, nous avons donné la priorité à certains pays par rapport à d’autres. Même s’il s’agit d’une initiative Groupe, nous laissons à chaque pays le soin de gérer la communication et la formation s’il y a lieu. Nous nous adaptons à son planning, en fonction de ses ressources. Chacun a bien compris l’intérêt de se débarrasser de ses vieux serveurs ! Beaucoup de pays veulent d’ailleurs déployer rapidement, mais il faut quelquefois freiner leur ardeur, s’ils ne sont pas prêts.
Quels arguments faut-il privilégier pour « vendre » un tel projet ?
Olivier Carré-Pierrat D’abord, il convient de jouer la carte des normes et des standards. Ensuite, il faut désamorcer la question de la sécurité et de la confidentialité des données. Aujourd’hui, elles sont souvent stockées sur un micro-ordinateur portable : la perte ou le vol entraîne l’inaccessibilité des informations.
Et si elles ne sont pas cryptées, les risques de rupture de confidentialité sont bien réels. Avec une solution de type Google, un simple PC permet de récupérer ses données. Quant à la confidentialité des e-mails, nous avons chez Euromaster une politique claire : les informations confidentielles ne doivent pas circuler par mail sans être cryptées.
Donc le fait de passer à Google ne change rien, que les données soient hébergées en interne ou chez un prestataire. Nous avons d’ailleurs largement responsabilisé les utilisateurs sur leurs obligations.
Envisagez-vous des extensions de ce mode d’organisation des applications ?
Olivier Carré-Pierrat Il est indéniable que le mode SaaS va prendre de plus en plus d’importance dans notre système d’information et ne se limitera pas à la messagerie. Cela procure au moins deux avantages.
D’une part, pour des nouveaux domaines d’activités, le mode SaaS permet aux métiers de démarrer immédiatement avec un outil standard, de CRM par exemple, de se l’approprier et, ensuite, de procéder à des ajustements si nécessaire : c’est un moyen d’être commercialement plus réactifs et de respecter le « Time to Market ».
D’autre part, le mode SaaS permet de concentrer nos efforts et nos ressources informatiques internes sur ce qui est directement lié aux métiers de l’entreprise : la distribution de pneus et la gestion de flotte de véhicules. Contrairement à la messagerie, les autres applications SaaS nécessitent quand même un minimum de formation. Avec le mode de souscription SaaS, on minimise l’investissement en serveurs et en licences, ce qui permet de transférer ces ressources pour la formation et la gestion du changement, et de concentrer nos ressources et budgets sur ce qui fait sens pour les métiers de l’entreprise.
Le mode SaaS ne signifie-t-il pas un affaiblissement du pouvoir du DSI ?
Olivier Carré-Pierrat Il ne s’agit pas de disparition du DSI mais de transformation de son métier. Même si le Cloud Computing constitue un facteur accélérateur, ce n’est pas nouveau.
Nous avons déjà connu ce type d’évolution avec l’infogérance qui a favorisé l’émergence des fonctions de gestionnaires de contrats et de niveaux de services. Cela dit, il est certain que le DSI technico-technique va se trouver de plus en plus mal à l’aise avec les solutions SaaS. Mais l’intérêt de celles-ci est que les DSI se rapprochent des métiers pour leur parler le même langage, au lieu de parler seulement d’infrastructures, de serveurs ou de stockage…
Quels conseils donneriez-vous pour gérer un projet SaaS ?
Olivier Carré-Pierrat D’abord, de considérer ce type de projet comme un projet habituel même si les étapes techniques n’ont pas lieu d’être (par exemple l’installation et le paramétrage des serveurs). Cela suppose évidemment de respecter une méthodologie projet.
Dans la mesure où le déploiement des applications en mode SaaS suscite beaucoup d’engouement, le risque, pour la DSI, est de perdre le contrôle. Ensuite, en fonction du contexte, il convient de porter une attention particulière à la gestion du changement, au même titre que dans tout projet système d’information.
On entend souvent affirmer qu’il n’y a guère de différences entre telle ou telle messagerie et que les utilisateurs vont de toute façon s’y habituer assez vite. L’histoire montre que cela n’est pas vrai, chacun conservant ses petites habitudes…