La dernière matinée CIO, organisée par l’éditeur de logiciels Cast, dont Best Practices et Benchmark Digital & Business étaient partenaires, a abordé les caractéristiques du DSI 5.0. Le DSI 5.0 existe-t-il ?
Si cette posture n’est pas encore aboutie, ni même définissable précisément, on en connaît les contours. Pour Jean-Christophe Lalanne, DSI d’Air France-KLM, les changements les plus profonds concernent les liens avec les utilisateurs : « Nous n’avons plus certains obstacles du passé, tels que les problèmes techniques, mais la compréhension du digital progresse, de sorte que l’on a plus à maîtriser l’appétit des utilisateurs qu’à les convaincre. Les DSI sont des créateurs de liens et il est préférable de construire des ponts plutôt que des murs. » Une position partagée par Christophe Leray, DSI du Groupement des Mousquetaires : « Le DSI 5.0 n’excelle pas seulement dans l’exécution, mais il doit porter des convictions, créer du liant, avec une parole vulgarisatrice. Le problème reste que la DSI porte les coûts, alors que la valeur est dans les métiers : les DSI doivent déplacer le projecteur vers la valeur qui n’est pas intégrée dans nos budgets. »
Laurent Kocher, directeur exécutif en charge des nouvelles mobilités de Keolis, estime pour sa part que les entreprises « ont besoin de DSI qui se positionnent dans l’exploration, même si ce n’est pas simple, du fait de biais culturels et du formatage des organisations. J’attends du DSI qu’il dise ce qu’il faut changer sans pour autant tout casser, qu’il explique ce que cela implique pour les utilisateurs. Le DSI doit interpeller l’organisation, il est un révélateur. »
Jean-Michel André, DSI du groupe Seb, plébiscite le principe « deux fois plus vite, deux fois moins cher ». « Mes équipes n’aiment pas ce slogan », reconnaît-il, « un DSI ne peut y arriver seul, mais je reste persuadé qu’il est préférable de livrer 80 % des fonctionnalités d’une application en six mois que 100 % en un an. Les DG ont besoin de nous pour leur expliquer le SI et le numérique de façon simple, mais le DSI n’est plus un héros, il doit partager une vision business avec la direction générale, sans oublier de piloter la sécurité, car les menaces explosent. »
C’est l’enjeu de l’exploration qui doit trouver sa place, aux côtés de missions beaucoup plus opérationnelles des DSI. Pour Philippe Boulanger, consultant, « tous les DSI subissent une pression extraordinaire, or, le cerveau humain ne peut pas capter trois choses en même temps : lorsque l’on se focalise sur l’exécution et l’opérationnel, on n’a pas le temps d’explorer des choses nouvelles et de s’ouvrir l’esprit. Si les DSI n’ont pas cette capacité d’exploration, ils perdent le contrôle. » Cette capacité d’exploration suppose de « prendre des risques, de défier le statu quo, d’avoir le courage d’innover, d’observer et de questionner », résume-t-il.
Or, dans les entreprises « nous sommes formatés, on voit tout au travers du prisme de l’entreprise, c’est pour cette raison qu’il faut s’ouvrir, sinon on va dans le mur, les expérimentations permettent d’apprendre et de valider », assure Philippe Boulanger, qui suggère de consacrer au moins 10 % des budgets à l’innovation. Il distingue deux logiques : causale et d’efficacité. Dans la première, les objectifs sont fixés a priori et les moyens sont adaptés pour les atteindre. Dans la seconde, les moyens sont recensés et les objectifs sont fixés en fonction des moyens dont on dispose. « 81 % des diplômés d’un MBA ont une logique à dominante causale, avec une sélection des moyens pour atteindre un objectif donné, alors que 88 % des entrepreneurs privilégient une logique d’efficacité, soit l’imagination d’un nouvel objectif avec les moyens à disposition », affirme Philippe Boulanger, pour qui « le DSI 5.0 est un entrepreneur-serviteur qui est sur le marchepied pour devenir le prochain DG. »
La valeur au centre du repositionnement du DSI
Outre la nécessité d’explorer davantage, la question de la valeur est au centre du positionnement du DSI 5.0. Guillaume Charly, partner et CTO de Deloitte, retient trois types de valeurs du SI. D’abord, la valeur vénale. « C’est un vrai sujet pour les DSI parce qu’on ne sait pas toujours ce que coûte le SI ». Ensuite, la valeur d’échange « très complexe à évaluer ». Et, enfin, la valeur d’usage : « C’est la valeur perçue du SI et il y a des divergences selon les parties prenantes, entre la vision du DSI, celle des utilisateurs, les grands oubliés dans l’histoire, celles de la direction générale ou de la direction financière, pour qui le SI coûte trop cher », souligne Guillaume Charly.
On peut distinguer plusieurs systèmes de perception : il y a ainsi des critères liés à la technique (disponibilité du système, temps de réponse, données pertinentes…), liés à l’humain (interface compréhensible, formation, appropriation…) et « d’autres plus subjectifs, basés sur le plaisir ou la fierté », résume le CTO de Deloitte. Il suggère « d’objectiver en valeur absolue et avec une approche dynamique pour répondre aux trois challenges principaux des DSI : rendre les choses possibles (Enable), faire vite (Accelerate) et maîtriser les ruptures (Invent). On a beaucoup travaillé sur la technologie, il est temps de revenir sur l’humain et la valeur délivrée. Cette capacité à prendre en compte l’humain est un facteur d’attractivité pour les DSI. »
Du DSI x.0 au DSI 5.0 | |
DSIO x.0 | DSI 5.0 |
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Source : Philippe Boulanger, conférence Cast, 29 novembre 2019. |
Une indispensable maîtrise des mutations technologiques
Pour Sylvain Cailliau, directeur technique de Cast France, le DSI 5.0 doit faire face sur cinq fronts :
- Les ressources humaines, avec la pénurie des talents et la difficulté de manager des développeurs 5.0. « Et les DSI ne peuvent pas obtenir de l’aide de la part des intégrateurs et des ESN, confrontés au même problème. »
- L’Open Source, qui devient incontournable et établit de nouveaux standards.
- La transformation digitale : le SI est entre les mains des clients, il fait partie intégrante des produits, impacte directement la Bottom Line et pilote la mutation des usages. « Les données générées par le SI sont le nouvel Eldorado, la sécurité de ces données est prioritaire », souligne Sylvain Cailliau.
- La stratégie d’entreprise : le DSI influence la stratégie, est membre du Comex et se positionne en centre de profit.
- Les mutations technologiques, du fait de l’évolution des infrastructures, des langages de développement, des architectures. « Dans ce domaine, les choix sont impactants et la responsabilité écologique du SI est engagée. »
Ces mutations technologiques restent « un haut lieu de l’innovation Bullshiting et du recyclage des idées, mais aussi du changement de paradigme et des opportunités », soutient Sylvain Cailliau. Pour lui, « l’objectif n’est pas d’utiliser systématiquement la dernière couche technique, mais bien d’adapter l’architecture à l’usage et de ne jamais oublier les données ! »
Avec, par exemple, des architectures microservices ou Serverless, qui réduisent la complexité, permettent de mieux maîtriser la dette technique, favorisent l’innovation, évitent de se focaliser sur les infrastructures (administration, gestion de la scalabilité, déploiement d’applications…), de facturer à l’usage, et facilitent le décommissionnement.
Sylvain Cailliau pointe toutefois quelques difficultés de ces approches, en particulier du Serverless : il n’est pas adapté à toutes les applications, il y a un risque de verrouillage par le prestataire, les temps de réponse ne sont quelquefois pas à la hauteur et, surtout, la facturation doit faire l’objet d’une attention particulière : « Vous pensiez que les bon vieux provisionning et capacity planning des mainframes étaient complexes ? Par exemple, chez AWS, le pricing des services pour le Serverless représente pas moins de 263 items facturables différents. En tout, Amazon propose plus d’un million de tarifs distincts pour ses différents services. Bonne chance à ceux qui voudront non pas optimiser, mais simplement comprendre leur facture ! C’est probablement un job à temps plein de suivre le pricing d’Amazon et de pouvoir répondre aux questions : qu’est-ce que ça me coûte, qu’est-ce que ça me rapporte ? », rappelle Sylvain Cailliau.
C’est tout l’enjeu de la Software Intelligence : « L’objectif de la Software Intelligence est la meilleure maîtrise des risques, elle s’appuie sur l’analyse statique du code source des applications. Il s’agit de comprendre les structures, l’architecture et le fonctionnement interne d’une application pour la prise de décision à tous les niveaux de la vie du système d’information. Elle rend visible ce qui ne l’est pas. »
Les trois challenges du DSI | |||
Domaines | Rendre possible (Enable) | Faire vite (Accelerate) | Maîtriser les ruptures (Invent) |
Stratégie et Business Model | Nouvelles compétences | Agilité | Innovation et créativité |
Processus et applications | API | Plateformes | Expérience utilisateur |
Données | Mettre à disposition les données | Partage des données | Valorisation des données |
Technologies | Stratégie cloud | Migration cloud | Vision du futur |
Source : « La valorisation du SI au service de la transformation digitale », Guillaume Charly, Deloitte, présentation lors de la conférence Cast, 29 novembre 2019. |
Rendre visible ce qui ne l’est pas
Ce principe de rendre visible ce qui ne l’est pas, ou peu, a été appliqué par Arnaud Méjean, directeur général de MGEN Technologies et DSI de la MGEN, lors de sa prise de poste. La DSI du groupe mutualiste est implantée sur trois sites, avec un SI qui fonctionne avec des règles de gestion complexes et un volume de transactions significatif : pas moins de 300 000 factures liquidées chaque jour et 36 millions de documents gérés par an de façon dématérialisée. Le DSI a utilisé les solutions de Cast pour auditer tout le système d’information.
« Il s’agit de partager le constat avec les équipes, de manière à ouvrir la discussion, obtenir l’adhésion et travailler à un plan d’action commun, afin de préparer les bases d’un pilotage objectif », résume Arnaud Méjean. « On obtient, en quelques semaines, une visibilité au niveau global et de la dette technique, un premier diagnostic sur les axes de gains potentiels, on identifie les applications à risque nécessitant une remédiation ou une mise sous contrôle, ainsi qu’une photographie des profils, des pratiques et des habitudes des développeurs, par exemple pour l’utilisation de composants Open Source. Cela permet également de partager le constat avec la MOA et la direction générale, de définir les priorités à venir pour les mois à venir, de définir un plan de communication avec les équipes et les sous-traitants et de proposer l’indexation des budgets de maintien en conditions opérationnelles sur les évolutions de taille et de complexité du SI », ajoute Arnaud Méjean.
Le DSI de la MGEN a privilégié trois indicateurs importants : la résilience logicielle, avec une comparaison avec des moyennes, des maximums et des minimums, l’agilité du code et sa complexité, et la capacité des applications à migrer dans le cloud. « On observe ainsi la capacité des applications à bien s’exécuter et on anticipe les risques de déformation du patrimoine immatériel, riche de 200 applications », résume Arnaud Méjean, pour qui le retour sur investissement est évident : « quand une application vieillit, elle crée de la dette technique et du code mort, une telle analyse garantit le maintien en conditions opérationnelles, réduit les pannes et les coûts de maintenance. »
L’influence des DSI : stabilité
Le degré d’influence des DSI (selon les DSI) est mesuré tous les ans, au niveau mondial, par le cabinet de conseil KPMG et le cabinet de chasseur de têtes Harvey Nash. Globalement, cet indicateur est stable : les deux tiers des DSI, en 2019, estiment qu’ils ont de l’influence dans leur organisation. Elle avait diminué de six points en 2018. Parallèlement, la part des DSI membres des Comex a encore fléchi : elle a atteint 58 % en 2019, contre 65 % en 2018 et 71 % en 2017. Selon les consultants auteurs de l’étude, « beaucoup de DSI sont relativement indifférents au fait de siéger ou non aux Comex, ils portent davantage attention à la capacité d’accéder à la direction générale quand ils en ont besoin. » Autre indicateur très positif : en 2019, c’est la première fois, depuis 2005, que la part des DSI qui ont vu leur budget augmenter dépasse la barre des 50 % (à 55 %, contre 49 % en 2018, le minimum avait été observé en 2009, avec seulement une entreprise sur quatre qui avait augmenté ses budgets IT).
Évolution du degré d’influence des DSI entre 2005 et 2019
Source : A changing perspective, Harvey Nash-KPMG CIO Survey 2019.