L’agilité implique d’embarquer à la fois les équipes de la DSI, les métiers et les fournisseurs. Ces derniers n’ayant pas toujours intérêt à se transformer… Les modèles traditionnels de sourcing de prestations intellectuelles sont-ils parvenus à leurs limites ?
Une enquête réalisée par le cabinet TNP Consultants, auprès de DSI et de directions achats, révèle que le sourcing agile gagne du terrain dans les entreprises françaises. Les deux-tiers des entreprises françaises consacrent plus de 15 % de leur budget pour des projets en mode agile et sept sur dix affirment que l’agilité constitue un enjeu stratégique.
Selon l’étude, 85 % des entreprises considèrent qu’elles ont adopté le mode agile (nouvelles méthodes, nouveaux outils, évolutions organisationnelles…) et une sur trois estime avoir acquis une bonne maturité, en ayant notamment modifié son mode de fonctionnement interne pour la DSI et dans ses relations avec les métiers.
« Le mode agile entraîne une perte de repères », observe Guy Leturcq, directeur associé de TNP Consultants. C’est, d’abord, une perte de repères dans le temps, car les méthodes agiles accélèrent le rythme des projets. C’est, ensuite, une perte de repères organisationnels, car elles chamboulent la manière de travailler des équipes projets. C’est, enfin, le plus important, une perte de repères dans le spectre des compétences.
Dans un contexte d’agilité en matière de sourcing de prestations intellectuelles, la problématique des compétences se situe à trois niveaux :
- les collaborateurs de la DSI,
- les métiers,
- les fournisseurs.
Le sourcing agile et les équipes de la DSI : changer la culture
Du côté des collaborateurs, l’agilité impose un changement de culture : « Nous avons clairement changé de « mindset », notre objectif, à terme, est que la moitié des 150 grands projets éligibles au mode agile soient effectivement gérés de cette manière », explique Philippe Paban, DSI de Renault. « Nous avons historiquement beaucoup travaillé avec des approches de types cycles en V et, pour développer l’agilité, il faut évangéliser les collaborateurs de la DSI », renchérit Éric Chambefort, responsable chez EDF des SI facturation entreprises et collectivités. L’agilité se traduit, en effet, par une division par 5 à 10 du temps de développement d’une application et par une multiplication par plus de dix du nombre de versions produites chaque année, ce qui peut bousculer certaines habitudes…
Le sourcing agile et les métiers : démontrer les bénéfices mutuels
Insuffler la culture du sourcing agile dans les équipes IT ne suffit évidemment pas. « Il est impossible de développer le sourcing agile sans embarquer les métiers, car c’est toute l’entreprise qui doit être agile dans la mesure où nous pilotons les grands projets transverses », assure François Charpe, DSI d’Harmonie Mutuelle, pour qui la DSI doit avoir « une approche pédagogique pour convaincre les métiers que l’agilité est bénéfique pour tout le monde et que la qualité des projets n’en sera que meilleure. »
Cela demeure une tâche difficile et pas seulement vis-à-vis des directions métiers. « C’est difficile également avec les juristes et les acheteurs, qui voient dans l’engagement de moyens une manière, pour les fournisseurs, de se dégager de leurs responsabilités », souligne Éric Chambefort. C’est pourtant essentiel, comme le précise Philippe Paban : « L’agilité s’inscrit dans la transformation numérique et ne fonctionne que si toute la chaîne est concernée (développement, cloud, architecture, gestion des talents)… »
Le sourcing agile et les fournisseurs : une exigence d’accompagnement
Même si les collaborateurs de la DSI et les métiers sont convertis aux avantages du sourcing agile de prestations intellectuelles, il reste aux fournisseurs à s’aligner sur ce modèle. « C’est loin d’être évident », admet Éric Chambefort. En effet, déplore Philippe Paban, « les grands fournisseurs en place sont rarement les premiers à vouloir se transformer, nous leur avons quand même demandé d’accroître leur agilité. » Surtout s’ils sont bien installés et depuis longtemps ! « Les grands prestataires n’ont pas intérêt à se transformer, il faut donc leur montrer qu’il existe des contre-pouvoirs, en particulier des fournisseurs de taille intermédiaire ou des start-up susceptibles de nous apporter des idées nouvelles », suggère Éric Chambefort.
Concrètement, plusieurs actions peuvent être mises en place, dont les sept suivantes.
- Modifier le scoring des prestataires. Les critères traditionnels d’évaluation des fournisseurs sont souvent inadaptés pour juger des réelles capacités de ceux-ci à accompagner leurs clients dans des démarches d’agilité : les aspects compétences doivent primer sur les aspects méthodes. « Nous avons remis en cause notre panel de fournisseurs, en fonction de ce que nous considérons comme des « bonnes compétences » », précise Frédéric Masson, directeur de programme à la Société générale CIB.
- Expliquer la vision du sourcing agile aux fournisseurs. Les prestataires doivent comprendre comment leurs clients envisagent et pratiquent l’agilité. À la Société générale CIB, les prestataires se sont vus expliquer la stratégie de transformation du groupe bancaire : « Nous leur avons demandé de se transformer eux aussi, nous avons modifié le scoring pour intégrer leur capacité à nous accompagner et nous retiendrons ceux qui se sont vraiment transformés », détaille Frédéric Masson.
- Faire évoluer le mode de contractualisation. « Les bonnes pratiques de contractualisation s’appuient sur une forfaitisation des engagements sous forme d’unités d’œuvre ou de produits à livrer, à partir d’un cadrage amont des projets, pour éviter les dérives, et d’indicateurs de performance spécifiques (telle que la vélocité)», assure Thierry Cartalas, associé de TNP Consultants. Le forfait s’accompagne généralement d’une phase de cadrage initiale des projets qui permet de contenir le nombre de sprints. « Le travail s’arrête lorsque l’utilisateur obtient un résultat satisfaisant : le Minimum Value Product (MVP) », ajoute Thierry Cartalas.
- Être clair sur l’outillage et les méthodes. Le sourcing agile ne consiste pas à créer du chaos ou à favoriser l’improvisation. Outre le solide portefeuille de compétences qu’elle nécessité, agilité rime aussi avec méthode. « Il faut être clair sur l’outillage et les méthodes et expliquer aux prestataires la boîte à outils qui sera utilisée, si possible la même pour tous les projets », recommande François Charpe. De même, il convient de s’aligner sur une définition concernant l’un des points importants des approches agiles : les user stories, qui peuvent être simples, moyennement complexes ou très complexes. « Le prestataire doit partager la même définition du degré de complexité », conseille Thierry Cartalas.
- Favoriser de nouveaux modes de collaboration. Il s’agit de dépasser le classique mode de relation client-fournisseur, avec des prix de journée et de la régie. « On achète une équipe, des « pizza teams » et des « features teams », basés sur les notions de collaboration et de polyvalence, à l’image d’un atome et de ses électrons », résume Frédéric Masson. De son côté, François Charpe recherche « des prestataires capables de faire grandir nos collaborateurs, l’agilité étant une opportunité pour eux. Dans l’écosystème des start-up, on trouve des idées nouvelles pour traiter des problématiques IT traditionnelles. »
- Privilégier la colocalisation. C’est la clé organisationnelle d’une bonne collaboration entre les équipes. Chez EDF, par exemple, « les « pizza teams » travaillent ensemble parce que l’on colocalise les équipes, même si certaines peuvent bien sûr travailler à distance », explique Éric Chambefort. Le DSI de Renault privilégie la même approche.
- Favoriser les nouveaux entrants. Le sourcing des projets agiles se fait avant tout sur la base du panel de fournisseurs existants, tout en les challengeant avec de nouveaux entrants. « Nous travaillons avec les grands prestataires, mais nous avons fait appel à des structures plus petites, pas nécessairement des start-up », précise Philippe Paban. L’ouverture du panel de prestataires implique de tester leurs capacités : « Après avoir expliqué notre vision aux prestataires, nous choisissons au feeling pour élaborer des sprints », explique François Charpe. Avec le droit à l’erreur : « Avec l’agilité, on s’aperçoit plus vite si l’on va dans le mur, ce n’est pas grave de rater un sprint, il faut toutefois prévoir une liste de prestataires prêts à prendre la relève », assure Éric Chambefort. L’un des objectifs est de régénérer les compétences, comme l’explique Frédéric Masson : « Peu importe que le prestataire soit grand ou petit, on souhaite bénéficier de nouvelles compétences, on constate toutefois qu’elles se trouvent moins dans les grandes structures. » La génération Y n’a en effet pas souvent vocation à faire carrière dans les grandes sociétés de services…
Chiffres clés du sourcing agile
- Des budgets en hausse : 50 % des entreprises déclarent qu’elles envisagent une progression de 20 % à 60 % de leur budget projet agile en 2016.
- Des indicateurs de pilotage qui privilégient la vélocité : (40 % des entreprises), la tenue des délais (40 %) et le nombre de user stories (20 %).
- Le développement et la TMA en tête : 70 % des entreprises adoptent l’agile pour des activités de développement et de maintenance applicative.
- Des fournisseurs qui jouent le jeu : 80 % des entreprises déclarent que leurs fournisseurs actuels sont en mesure de proposer un partenariat de fourniture de services en mode agile.
- Une place pour les start-up : 30 % des entreprises ont recours à des start-up pour apporter de l’innovation et accélérer l’adoption de nouvelles technologies moins coûteuses.
- Un manque de pilotage : moins de 25 % des entreprises déclarent avoir mis en place un pilotage spécifique du portefeuille de projets en agile. Cette pratique reste encore peu répandue. •
Source : TNP Consultants.