Banales, les communautés virtuelles ? Elles sont en tous cas objet d’études sociologiques, économiques, commerciales, voire philosophiques. « Toutes les sphères du social sont touchées, affirment les auteurs de cet ouvrage collectif, de l’univers familial au monde professionnel en passant par la bulle individuelle, alors que de nouvelles pratiques de communication s’installent. »
Mais les communautés virtuelles font l‘objet d’interprétations divergentes, notamment entre ceux qui y placent des espoirs et ceux qui en pointent les dérives. « Les membres des communautés en ligne peuvent créer tant le lien que l’exclusion sociale », ajoutent les auteurs.
Serge Proulx, de l’université de Québec, propose la définition suivante d’une communauté virtuelle : « lien d’appartenance qui se constitue parmi les membres d’un ensemble donné d’usagers d’un espace virtuel, d’une liste ou d’un forum de discussion, ces participants partagent des goûts, des valeurs, des intérêts ou des objectifs communs, voire dans le meilleur des cas, un authentique projet collectif ». de fait, les communautés virtuelles sont avant tout des communautés d’intérêts.
La communication virtuelle se distingue de la communication physique par au moins trois éléments : il n’y a pas d’interaction physique, le lieu de la communication n’est pas unique et le temps de l’interaction peut être différée. L’offre d’objets communicationnels a largement permis la formation de communautés virtuelles, mais Internet n’est que facilitateur : « la nature technologique ne détermine pas les comportements sociaux, elle fournit aux relations sociales des possibilités de réalisation tout en les contraignant ».
De fait, les communautés virtuelles sont, comme l’explique le philosophe Hervé Fisher, « l’esquisse d’une cybersociété », même si, souligne-t-il, « beaucoup de ces communautés virtuelles se présentent moins comme des communautés fonctionnelles que comme des bulles sociales dans lesquelles se réfugier pour échapper à la difficulté et aux déceptions du monde réel. »
Barry Wellman et Bernie Hogan, de l’université de Toronto estime que Internet est devenu « un dispositif routinier de communication et d’information ». A tel point que l’on peut dégager les caractéristiques d’un « modèle scientifique des communautés virtuelles », comme l’affirme Pierre Lévy, de l’université d’Ottawa : « La communauté virtuelle est l’agent de l’économie de l’information, caractérisée par une consommation non destructive et des modes d’appropriation non exclusifs. »
Ainsi, assure Michel Gensollen, de l’Ecole nationale supérieure des télécoms de Paris : « les communautés virtuelles ont modifié le mode de régulation des organisations, marchés comme hiérarchies. Elles rapprochent, jusqu’à les confondre, les trois phases de la production : la production en entreprise de biens standardisés, la distribution sur le marché final et l’assemblage et l’adaptation de ces biens par le consommateur lui-même afin de produire son « utilité » ».
La cartographie des communautés virtuelles dressée par les auteurs fait une large place aux communautés de pratique. Celles-ci se définissent, selon Pierre-Léonard Harvey, de l’université du Québec à Montréal, comme « de nouvelles entités organisationnelles moins formelles, plus souples en termes de règles et de rôles sociaux, donc, beaucoup moins circonscrites structurellement que les entités comprises dans la pyramide traditionnelle des organisations. »
Ces communautés de pratiques constituent, en réalité, un « pont entre les théories de l’apprentissage organisationnel, celles de la performance organisationnelle, de la gestion des connaissances et du développement des compétences ». Les communautés de pratiques entraînent un changement fondamental dans le management des organisations : « C’est l’un des phénomènes les plus surprenants et l’un des développements les plus importants de la communication médiatisés par ordinateur : elles permettent l’émergence du sens d’une place dans le cyberespace des organisations », assure Pierre-Léonard Harvey.
Ce concept de communauté de pratiques s’étend aussi aux entreprises. L’exemple de la Telecom Valley, dans le sud de la France, est analysé par Catherine Thomas, de l’université de Metz : cette communauté interfirmes se caractérise par trois dimensions : un engagement mutuel, une entreprise commune et un répertoire partagé. Une organisation en cluster qui a permis à la Telecom Valley d’acquérir un vrai leadership.
Communautés virtuelles, penser et agir en réseau, sous la direction de Serge Proulx, Louise Poissant et Michel Sénécal, Presse de l’Université de Laval, 2006, 361 p.