« Les directions métiers notent leurs projets… et ceux des autres »

Rencontre avec Marc Lumbroso, DSI de ColiPoste

BPSI. A quels enjeux la DSI de Coliposte est-elle confrontée ?

Marc Lumbroso. ColiPoste, opérateur colis de La Poste en France et spécialiste de la livraison rapide en 48 heures aux particuliers, négocie un virage stratégique majeur : nous passons d’un business de transport, s’appuyant sur un outil industriel puissant, à un business de services, notamment aux destinataires des colis transportés.

Notre chaîne de valeur repose sur deux fondamentaux : la qualité de notre service et l’exploitation de l’information associée au colis. Le marché croît de 4 % par an et nous traitons en moyenne plus d’un million de colis par jour, grâce nos 15 plates-formes et 70 agences auxquelles il faut ajouter l’ensemble du réseau postal. Notre croissance est favorisée par le succès des sites de ventes en ligne et d’intermédiation entre particuliers.

Nous gérons d’importants volumes d’informations : chaque colis est doté d’un code barres qui est lu en moyenne six fois lors de son acheminement par ColiPoste. Chaque lecture de code barres est stockée pour traitement ultérieur. Nous devons être capables de tracer l’ensemble du processus, de la prise en charge à la livraison du colis.

La rapidité de la centralisation des flux est essentielle pour nous. Notre système d’information est articulé autour des solutions industrielles de tri, de transport et de livraison de colis. Le Web constitue un autre pan important de notre système d’information, avec, par exemple, la dématérialisation et la commercialisation du transport de colis pour le particulier et les entreprises.

La DSI existe depuis novembre 2006, et ma première mission fut d’inventer la fonction et de nouer des relations étroites avec les 7 autres directions de ColiPoste (Opérations, Marketing, Commercial, Ressources humaines, Finances, Qualité-Sécurité, Communication).

La DSI de ColiPoste joue un rôle d’assistance à maîtrise d’ouvrage en mode projets et assure le pilotage d’une équipe de maitrise d’œuvre d’environ 100 personnes regroupées au sein d’une filiale du groupe La Poste. Je siège au comité de direction. Les enjeux de la DSI sont donc organisationnels (créer et faire évoluer la fonction) et opérationnels (garantir la continuité des opérations) en même temps que stratégiques (garantir l’alignement du SI avec la stratégie de l’entreprise).

BPSI. Comment avez-vous fait pour construire la DSI ?

Marc Lumbroso. Comme il se doit, nos directions clientes sont focalisées sur l’articulation d’une stratégie purement métier et sont malheureusement peu pourvues en ressources dédiées à la gestion de projets à forte composante système d’information. J’ai fait appel à un cabinet de conseil afin de m’assister et gagner ainsi du temps sur notre plan de recrutement.

C’est la première étape indispensable… Puis, j’ai porté le choix des projets à initier ou accélérer en fonction des attentes du comité de direction : livrer relativement vite des projets à fort enjeu, quitte à lotir les livrables de manière à créer ainsi la confiance et prendre le temps de monter une organisation péren­ne.

Il importe par conséquent d’acquérir très vite une bonne connaissance des processus et enjeux métiers en vue de se positionner d’égal à égal dans un mode de négociation équitable avec les directions clientes. Il me parait fondamental de mettre en perspective leurs ambitions avec les coûts et le temps nécessaires pour les atteindre dans un cadre budgétaire toujours limité, et amener ainsi le comité de direction à discuter planification stratégique.

Pour y parvenir, instaurer un climat de confiance au sein de ce forum rationalise les échanges et facilite les choix. La DSI s’appuie désormais sur des responsables de domaines qui disposent de bonnes connaissances applicatives, métiers et de gestion de projets. Toutefois, cette triple compétence relativement difficile à trouver est un modèle de recrutement assumé. La DSI a construit sa légitimité grâce aux compétences de cette équipe.

BPSI. Quel a été l’accueil de la part des directions métiers ?

Marc Lumbroso. Pour créer la confiance, il faut profiter des premiers mois pour livrer des premiers projets, résoudre des problèmes récurrents.

Voilà pour le fond. Sur la forme, je me suis attaché à employer un vocabulaire compris de tous : je me suis appuyé sur des notions de temps de mise à disposition de solutions, j’ai raisonné besoins et non pas solutions dans les phases amont, géré et communiqué sur les risques, je ne me suis pas caché derrière un jargon technique peu compréhensible.

Autant de méthodes simples qui facilitent la vie de tout le monde. Et il faut régulièrement revenir sur ces sujets, sans quoi les différentes strates du management oublient très vite…

BPSI. Quels types de projets sont mis en avant ?

Marc Lumbroso. Je privilégie des durées de projets relativement courtes. Pour 2008, nous avons en portefeuille une vingtaine de projets d’une durée moyenne d’environ huit mois, et trois grands programmes que nous étaleront sur trois ans, focalisés notamment sur la gestion de la relation client, la distribution des colis et le décisionnel. Une centaine de projets n’ont pas été retenus ou reportés.

BPSI. Comment parvenez-vous à opérer un tri parmi tous les projets ?

Marc Lumbroso. Développer une culture orientée ROI (retour sur investissement) n’est pas un exercice facile. Nous nous attachons donc à analyser en priorité les retombées tactiques ou stratégiques des projets en lice. ColiPoste est composée de huit directions.

Lors du processus annuel d’élaboration budgétaire et donc du portefeuille des projets à démarrer dans les dix-huit mois à venir, je rencontre les directeurs individuellement et nous reformulons ensemble les résultats attendus des projets qu’ils ont soumis à la DSI. Puis, je leur demande d’attribuer une note variant de un à dix permettant de graduer l’importance des attentes satisfaites par chaque projet, y compris pour les projets émanant d’autres directions. Nous obtenons ainsi huit notes par projet.

Préalablement, une estimation macroscopique des coûts de chaque projet a été élaborée afin que nous en tenions compte lors de nos évaluations. Plus un projet est considéré comme utile à notre organisation, mieux il sera noté. Nous n’affectons pas de pondérations mais retenons les moyennes.

La direction générale procède alors à un premier arbitrage après cet exercice de notation individuelle. Compte tenu des directives budgétaires de l’année à venir, nous connaissons notre capacité d’investissement globale. Nous classons la liste des projets par moyenne décroissante et nous comparons la somme des coûts de projet à notre objec­tif d’investissement.

Il ne reste plus qu’à placer le curseur à un niveau acceptable compte tenu de nos capacités financières. Nous avons également une variable d’ajustement : le niveau de ressources métiers disponibles pour contribuer aux projets.

Cette méthode est empirique et pragmatique, facile à mettre en œuvre, et nous allons l’améliorer encore afin de mieux prendre en compte la qualification des enjeux et en retravaillant les hypothèses. Cette année, nous nous sommes fixé pour objectif d’élaborer un plan pluriannuel, déclinant la stratégie de ColiPoste.

BPSI. Quels sont les freins que vous avez observés ?

Marc Lumbroso. J’en vois plusieurs. La DSI, actrice récente dans l’organi­sation, a mis un certain temps avant de trouver ses marques. Nous avons évité de trop formaliser les rôles avant d’avoir récolté les premiers succès : il est bien plus efficace de les démontrer dans l’action que les écrire, et cela passe par une gestion rigoureuse des engagements pris auprès des directions concernées par les projets.

Le second frein est lié à nos métiers : trois mois dans l’année, nous limitons nos efforts en mode projet afin de nous focaliser sur le support aux opérations durant le pic d’activité traditionnel de fin d’année. La fenêtre de tir est donc réduite, ce qui nous impose de concentrer nos efforts sur des périodes relativement courtes en vue de garantir une fréquence raisonnable de livrables.

Troisième difficulté : éviter le syndrome d’une équipe localisée au siège qui pourrait s’éloigner des réalités opérationnelles. Dans notre organisation ramifiée sur l’ensemble du territoire, cela passe par des rencontres permanentes avec les experts métiers sur le terrain. La création d’un environnement de proximité est indispensable pour identifier et anticiper les difficultés, analyser les processus et leurs variantes régionales afin de les faire converger grâce au SI.


Les dix best practices de Marc Lumbroso

  1. Construisez votre organisation en vous appuyant, au début, sur des compétences externes, avec un pilotage rapproché.
  2. Ne figez pas trop vite les rôles et l’organigramme.
  3. Privilégiez les projets à moyen terme (six à huit mois).
  4. Privilégiez le recrutement de collaborateurs à double compétence : métier et gestion de projet.
  5. Comparez ambitions et moyens pour aider les métiers à hiérarchiser les projets.
  6. Misez sur la proximité avec les directions métiers : comprendre les enjeux aide à faire passer les messages.
  7. Si la culture le permet, mixez les équipes en gommant les frontières fonctionnelles ou hiérarchiques historiques.
  8. Contournez la difficulté de la démarche basée sur le ROI.
  9. Inscrivez la priorisation des projets à l’agenda du Comité de Direction.
  10. Respectez les engagements que vous prenez mais négociez-les avec lucidité et ambition.