On pourrait penser que, dans le domaine de la relation client, marché plutôt mature, la situation dans les entreprises serait marquée par une certaine stabilité. En réalité, nous en sommes encore loin. Il y au moins dix raisons pour lesquelles le domaine du CRM reste à hauts risques pour les DSI.
1. Le parcours client reste très difficile à maîtriser
Le multicanal tend à s’imposer comme principe dominant de gestion de la relation client. Mais, cet idéal (connaître le parcours d’un client, quel que soit le mode de contact, et en temps réel) se heurte aux processus et systèmes d’information existants, qui ne permettent généralement pas une telle (r)évolution. En parallèle, l’exigence de mieux contrôler le parcours client est clairement formulée par les directions marketing.
Selon la deuxième édition de l’enquête 2015 State of Marketing, publiée par Salesforce, 86 % des responsables marketing estiment qu’il est essentiel de créer des parcours clients cohérents, à chaque point de contact et quel que soit le canal. Les applications mobiles, le marketing analytique et la gestion de la relation client sont les technologies considérées comme les plus efficaces dans la création de tels parcours par les directions marketing. Si rien n’est fait dans ce domaine, les risques ne sont pas négligeables : crises potentielles (e-réputation), infidélité des clients, diminution du panier moyen, pertes de parts de marché face à des concurrents plus agiles…
2. Le marché des solutions de CRM reste très encombré
Il existe plus de 250 solutions différentes en Europe, mais quasiment aucun éditeur ne propose de solution vraiment complète (Cf. Best Practices Systèmes d’Information, n° 129, 5 mai 2014), même pour les plus grands. Les entreprises vont bien sûr continuer à investir : le marché mondial du CRM atteindrait 36 milliards de dollars à l’horizon 2017, selon Gartner, avec des taux de croissance annuels de 15 %.
Les entreprises européennes, toujours selon Gartner, ont augmenté leurs budgets CRM de 2,5 % en moyenne l’an dernier. Il reste très difficile de choisir la bonne solution pérenne, basée sur une roadmap claire, d’autant que ce marché très compétitif pousse les éditeurs à s’allier, à fusionner et, heureusement, à investir pour améliorer l’ergonomie de leurs solutions.
3. Les solutions installées sont vieillissantes
Selon une étude Mitel Sennheiser, dans 60 % des entreprises françaises, la solution de CRM utilisée date de plus de cinq ans. Et, dans 35 % des entreprises, la solution est installée depuis plus de dix ans. Les enjeux actuels (le temps réel, l’omnicanal, l’expérience client…) imposent des investissements significatifs. Selon une étude Teradata, l’un des obstacles qui empêche le marketing d’être plus axé sur les données est le manque de base de données CRM adaptée.
4. Les métiers sont peu satisfaits des solutions en place
C’est probablement l’une des conséquences de ce qui précède. Selon une étude mondiale IDG Research Services, menée dans 350 entreprises de plus de 1 000 salariés, le CRM est le domaine où les directions métiers sont les moins satisfaites de la performance des applications (31 % de très satisfaits). C’est quasiment deux fois moins que pour les solutions de collaboration ou les bases de données.
La dernière étude de McKinsey, intitulée IT under pressure, révèle que les 807 managers interrogés (moitié DSI, moitié métiers) sont moins satisfaits des performances des systèmes d’information qu’en 2012. Les taux de satisfaction ont diminué pour le partage de connaissances, les gains de productivité et… la relation client. La baisse la plus nette concerne l’accompagnement du SI pour la création de nouveaux produits et la conquête de nouveaux marchés. Selon une étude du cabinet Aberdeen Group, réalisée auprès de 111 entreprises, la moitié des responsables marketing ne sont pas satisfaits de la vitesse d’accès à l’information.
5. Le client est-il vraiment au cœur des réflexions stratégiques ? Pas toujours…
Une étude Forbes Insights, réalisée pour Oracle, sur les meilleures pratiques en matière de service client, montre que la majorité des entreprises n’adopte pas totalement l’état d’esprit du service client, avec 38 % seulement des répondants qui considèrent que le service client constitue une priorité pour l’ensemble de leur entreprise.
Par ailleurs, beaucoup d’entreprises ont encore une définition trop restrictive du service client, centrée sur l’après-vente. Selon une enquête réalisée par The Economist Intelligence Unit auprès de 800 dirigeants d’entreprises à travers le monde, près de 59 % admettent l’existence de carences, au niveau du service de relation client, qui impactent de façon significative les performances financières de l’entreprise. Seulement 36 % de ces entreprises ont défini une véritable stratégie de relation client.
6. Le problème de la qualité des données n’est pas résolu
Selon une enquête d’Experian Marketing Services, qui a classé les entreprises en quatre catégories selon leur niveau de maturité, une entreprise sur deux privilégie une stratégie ponctuelle ou réactive vis-à-vis de la qualité des données. Une stratégie ponctuelle se caractérise par une compréhension inégale de l’impact de la qualité des données, les corrections de la qualité des données étant aléatoires et la gestion manuelle, ou via Excel, demeure le processus dominant. Une stratégie réactive se caractérise par une bonne connaissance des enjeux de la qualité des données, mais personne n’a de fonction dédiée à la donnée. Des actions de gestion de la qualité de données sont effectuées, mais en silos, selon les métiers.
7. La transformation numérique renforce le poids des métiers… pour le meilleur ou pour le pire
Le fait que les directions marketing soient globalement peu satisfaites des solutions de CRM en place témoigne de leur engagement : les auteurs d’une étude Nucleus Research, sur le panorama des éditeurs de solutions de CRM, estiment ainsi que les directions marketing deviennent de plus en plus « technologues », d’où leurs exigences en matière de solutions pour adresser plusieurs canaux. La profusion de discours sur l’entreprise numérique et la transformation que cela implique crée des zones de friction nouvelles entre les DSI et le marketing.
Selon le McKinsey Global Survey, publié mi 2014, le niveau d’implication des directions marketing dans la stratégie numérique est passé de 54 % à 61 % entre 2013 et 2014 (de 63 % à 69 % pour les DSI). Plusieurs obstacles demeurent, notamment la difficulté de trouver les bonnes compétences, l’inadaptation de l’organisation existante, les processus métiers peu flexibles pour saisir de nouvelles opportunités et un manque de données de qualité. À mesure que de plus en plus de parties prenantes interviennent dans la transformation numérique, il est prévisible que se créent des zones de recouvrement de responsabilités et de pouvoir, susceptibles de ralentir la concrétisation d’initiatives en matière de relation client.
8. Passer du CRM à l’expérience client, qui en est vraiment capable ?
Le domaine du marketing a été bouleversé par trois tendances lourdes. D’abord, dans la communication, avec l’irruption du temps réel et de la mobilité. Ensuite, dans les modes d’interaction entre les entreprises et les consommateurs, avec un paradoxe pour les systèmes d’information : plus un service est simple pour le consommateur, plus il est complexe à mettre en œuvre pour les DSI.
Enfin, dans les stratégies de gestion de la relation client, dans la mesure où le pouvoir est passé du producteur au consommateur. Une étude de Watermark Consulting, publiée en 2013, a cherché à mesurer l’impact d’une bonne gestion de l’expérience client sur les performances boursières des plus grandes entreprises américaines entre 2007 et 2012. Les plus avancées dans ce domaine ont vu leurs performances boursières augmenter en moyenne de 43 %, alors que la progression moyenne de l’indice S&P 500 a été de 15,5 %. Quant aux entreprises très en retard pour appréhender l’expérience client, leurs performances ont chuté en moyenne de 34 %.
Dans son analyse sur les nouveaux rôles de la fonction SI, parue en 2014, le Cigref met en exergue « la primauté de l’expérience client. Dans le monde numérique, le SI est directement visible par le client. Ce client final de l’entreprise voit et utilise le SI. Cela positionne la fonction SI dans un rôle nouveau, aux côtés des fonctions commerciales et marketing dans l’établissement de la relation client. Cela pose également une exigence accrue sur le SI, puisque dorénavant celui-ci contribue à l’image de l’entreprise, à son bon fonctionnement et à la génération de revenus pour l’entreprise. »
Cette primauté de l’expérience client se caractérise en particulier par les services associés, les plateformes clients et la communication interactive avec les communautés de clients et prospects. « Le SI devient dès lors un acteur direct dans la relation client, il fait l’intermédiation avec le client. Cela implique une exigence nouvelle de la fonction SI sur le parcours client, les ergonomies et la qualité de service », notent les auteurs du rapport Cigref.
9. L’amélioration de la relation client impose une refonte des offres
L’alignement IT-métiers, prérequis des missions de tous les DSI, trouve une illustration parfaite dans le domaine du CRM. Ainsi, on ne peut imaginer un système d’information client à l’état de l’art avec des offres qui ne seraient pas adaptées au marché. L’inverse est également vrai : des offres bien ciblées, mais dont la commercialisation serait soutenue par un système d’information obsolète et des solutions CRM inadaptées. Au-delà d’une simple stratégie IT, le CRM est avant tout une affaire de direction générale, dont beaucoup ne semblent pas avoir bien mesuré les enjeux…
10. Le Big Data introduit une complexité que le DSI ne peut guère maîtriser
Selon Gartner, 73 % des entreprises, au niveau mondial, ont déjà investi en projets pilotes ou prévoient d’investir dans les technologies Big Data, contre 64 % en 2013. Le Big Data figure dans le Top 3 des domaines d’investissement des DSI européens en 2015 (avec le CRM et la BI), selon CIOnet. Les DSI, poussés par les métiers, doivent gérer de nouveaux types de données, avec des problématiques liées à l’intégration et à la connexion à ces nouvelles sources de données, souvent non structurées. Cela implique également des évolutions en terme d’architecture, notamment avec la démocratisation d’Hadoop, des architectures hybrides, du in-memory…