Les données, oui… mais pas toujours

L’entreprise orientée donnée, ou « Data Driven Company » chère aux experts en technologies analytiques et Big Data, est parée de toutes les vertus. A juste titre, bien sûr, car une exploitation et une valorisation intelligente des données procure un avantage compétitif par rapport à des entreprises moins avancées dans ce domaine.

« Beaucoup d’investisseurs et de managers supposent qu’il est possible d’utiliser les données sur les clients pour être plus compétitifs. Plus vous avez de clients, plus vous disposez de données, qui vous permettent de proposer de meilleurs produits », résument les auteurs, Andrei Hagiu (professeur à la Questrom School of Business) et Julian Wright (professeur à l’université de Singapour).

Plus les données sont diverses et volumineuses et plus cela crée, en principe, un cercle vertueux, selon le principe des « effets de réseaux ». Historiquement, sans les bonnes technologies, collecter des données sur les clients a toujours été un processus relativement long, avec des périmètres souvent limités et des difficultés pour monter en puissance.

Les auteurs mettent en exergue le cas des constructeurs automobiles ou de la grande distribution, qui devaient agréger de multiples sources d’informations et mener régulièrement des enquêtes. Heureusement, la disponibilité d’analyse de données modifie le paysage : « Ce qui a changé est que, désormais, les entreprises peuvent analyser plus vite des quantités énormes de données », précisent les auteurs.

Pour déterminer dans quelle mesure l’exploitation des données est profitable aux entreprises pour améliorer leur compétitivité, ils suggèrent de se poser sept questions :

  • Quelle est la valeur ajoutée des données sur les clients, par rapport à la valeur intrinsèque d’un produit ? C’est le cas, par exemple, de données collectées par un fabricant de systèmes anti-collision vendus aux constructeurs automobiles : plus il y a de données collectées sur les usages, meilleure est la qualité du produit.
  • Quel est le délai à partir duquel la valeur marginale d’une donnée devient nulle ? « Plus ce délai est long, plus l’entreprise bénéfice de barrières à l’entrée. Lorsque la valeur marginale d’une donnée client reste élevée même avec une forte croissance des volumes, cela signifie que les produits et les services bénéficient d’avantages compétitifs importants », soulignent les auteurs.
  • A quelle vitesse la pertinence des données se déprécie-t-elle ? « Si cette dépréciation est rapide, cela facilitera l’entrée sur le marché de concurrents, qui n’auront pas besoin de capitaliser sur des années d’apprentissage », avertissent les auteurs.
  • Les données sont-elles propriétaires, c’est-à-dire non commercialisées, difficilement duplicables ou reconstituables ? « Disposer de données uniques qui n’ont pas de substituts constitue une barrière très efficace pour gagner en compétitivité », notent les auteurs, qui soulignent toutefois que la puissance des technologies peut atténuer cet avantage.
  • Dans quelle mesure est-ce difficile d’améliorer un produit ou un service basé sur les données de clients ? Même si une entreprise dispose de données riches issues de ses clients, il peut être difficile de les utiliser pour perfectionner les offres. Mais si les usages des consommateurs évoluent rapidement, cela peut procurer un avantage compétitif, car il faut s’adapter aux changements en quasi-temps réel, précisent les auteurs.
  • Les données provenant d’un seul utilisateur peuvent-elles aider à améliorer le produit ou le service pour les autres ? Si c’est le cas, « cela crée des effets de réseaux et contribue à ériger des barrières à l’entrée du marché », assurent les auteurs.
  • En combien de temps les retours des clients peuvent-ils être intégrés dans les produits et les services ? « Les cycles rapides d’appropriation des retours clients rendent plus difficiles les réactions des concurrents, surtout si les cycles de changements de produits sont très rapprochés », affirment les auteurs. C’est évidemment moins facile pour des produits et services dont les évolutions sont très espacées.

Dans le même numéro de la Harvard Business Review (1), Rob Markey, partner chez Bain and Co, prévient qu’il ne faut pas sous-évaluer les opinions des clients. Il rappelle que beaucoup d’entreprises, sous la pression des actionnaires, ont une vue à court terme qui érode la fidélité des clients, alors que les études montrent que travailler la loyauté des consommateurs fait progresser le chiffre d’affaires 2,5 fois plus vite et multiplie par deux à cinq fois le retour sur investissement pour les investisseurs sur dix ans. D’où la nécessité, pour les entreprises, d’améliorer les indicateurs marketing, la fidélisation des clients et de maximiser les paniers moyens d’achat. Avec, si possible, toute la rigueur nécessaire et la pédagogie pour expliquer aux actionnaires.


(1) « Are you undervaluing your customers ? It’s time to start measuring and managing their worth », par Rob Marky, Harvard Business Review, janvier-février 2020.

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« When data creates competitive advantage, and when it doesn’t », par Andrei Hagiu et Julian Wright, Harvard Business Review, janvier-février 2020.