Les DSI toujours en première ligne face à la crise sanitaire

Face à la crise du Covid-19, les entreprises ont plus que jamais fait appel à leurs DSI pour continuer leur activité. L’agilité qui leur a été demandée a bousculé les plans et priorités précédemment établis. Comment ont-ils perçu la situation de crise et réagi face à l’urgence ? Plusieurs études (Agora des DSI, T-Systems, CMIT, ServiceNow…) et conférences (Institut G9+, Ready for IT) ont abordé ce sujet.

L’institut G9+, think tank du numérique, a lancé une étude à destination des décideurs du numérique sur le thème : « Après le choc : de la résilience à la réinvention de la DSI ? » (www.g9plus.org/). Cette étude s’attache à définir les nouvelles tendances dans les stratégies et priorités des SI, l’activité des DSI, leur positionnement et les opportunités perçues. Au-delà du passage au télétravail, la crise a démontré le rôle clé des DSI : des gains de productivité à la relation client, en passant par la stratégie et le maintien en conditions opérationnelles.

Pour Gilles Lévêque, DSI d’Aéroport de Paris, dont l’organisation a subi, durant la première semaine du premier confinement, une chute de 95 % de ses activités, les DSI sont passés par trois étapes : survivre, revivre et revitaliser. « Il fallait s’assurer que notre modèle opérationnel était résilient avec le contexte de télétravail, de même que la qualité de nos infrastructures. Ensuite, il faut travailler sur le modèle d’affaires, en faisant des choix, dans un contexte où nos moyens n’étaient plus les mêmes. Le fait d’avoir la moitié des collaborateurs en chômage partiel a notamment conduit à revoir les plans projets. » ADP est ainsi passé d’un modèle de relative sous-capacité, dans lequel la croissance du nombre de passagers était supérieure à celle des capacités d’infrastructures, à un modèle inverse.

Chez ADP, « certaines tâches ont été réinternalisées, nous renforçons l’utilisation des méthodes agiles et ne concevons que des projets qui fournissent des livrables sous six à neuf semaines », précise Gilles Lévêque, qui effectue un parallèle avec une piscine pour caractériser le résilience des organisations : « Notre travail consiste à construire des piscines pour que tout le monde plonge dedans si besoin, donc il faut qu’il y ait de l’eau ! »

Un ancrage renforcé dans l’organisation

Face à ces enjeux, se pose la question du positionnement de la DSI.  « Nous avons su réagir et anticiper, sans perte de productivité des équipes projets », assure Didier Fleury, DSI de la Macif. « Tous les DSI ont eu la même problématique, faire fonctionner le SI à distance, avec un double rôle : d’une part, assurer la cohérence du SI et, d’autre part, garantir la capacité à opérer le SI, sur les plans techniques et humains », résume pour sa part Raphaël Martin, DSI de l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé).

« Les équipes IT ont été sous tension, avec le télétravail qui s’est installé du jour au lendemain et qui a été difficile à gérer », confirme Aimery Assire, DSI à la direction achats d’EDF. De même que Pascal Basset, directeur de la transformation des Mousquetaires (Intermarché), pour qui « les DSI ont vraiment été au rendez-vous face à la crise sanitaire, surtout lors du premier confinement, la plupart des entreprises ont ainsi pu être résilientes. »

Selon l’étude du G9+, la data est une illustration de différentes problématiques auxquelles font face les DSI. Les enjeux qui en découlent sont importants pour les entreprises. « Il y a une compréhension collective que le digital est incontournable, cela a changé la perception de la DSI dans l’organisation. Nous étions en pleine transformation et la data a convaincu tout le monde, c’est un accélérateur de la transformation », assure Eric Blanchot, DSI de Veolia Recyclage et Valorisation des déchets.

Malgré cela, un travail important d’acculturation et de prise de conscience de la valeur de la data reste indispensable à tous les niveaux de l’entreprise. « En tirer parti nécessite une compréhension fine des enjeux stratégiques métiers et business et en même temps une maîtrise des technologies. Avec l’importance de plus en plus grande de l’empreinte environnementale du numérique, la data, sa gestion, son pilotage, son stockage deviennent des enjeux directement ou indirectement sans cesse mentionnés », soulignent les auteurs de l’étude du G9+.

La data au cœur des stratégies

Ainsi, la data peut être un excellent cas d’école pour la prise en compte de la transversalité des enjeux, l’intégration des SI comme un partenaire stratégique, l’acculturation de l’entreprise vis-à-vis des enjeux stratégiques de la data, vis-à-vis des enjeux environnementaux du numérique… « Il y a une nette accélération dans la data, à la fois côté client pour développer le business et en interne, pour booster la performance opérationnelle, de façon pragmatique. Au-delà du digital, les DSI sont très attendues sur la data. Avec la crise, nous avons gagné un à deux ans sur notre roadmap », estime Pascal Basset, directeur de la transformation des Mousquetaires.

Dans cette situation, souligne l’étude du G9+, « les prestataires ont joué un rôle clef pour les entreprises. En travaillant avec eux, ces dernières ont pu améliorer et accélérer leurs projets, compenser leur manque de personnel, contourner l’interdiction d’embauche… ce qui a pu révéler des déséquilibres entre leurs ressources internes et externes, tant au niveau des compétences que des technologies ; et donc de choisir entre faire et faire-faire. »

Le mode hybride s’impose

Aujourd’hui, le modèle hybride présentiel/distanciel repose les bases des relations professionnelles, tant en interne qu’avec les clients. En fonction de l’activité de l’entreprise (B2B ou B2C, produits ou services), ces relations prennent des formes différentes. « Le poste de travail, c’est désormais un navigateur : si un utilisateur dispose d’une connexion, il peut travailler », précise Eric Blanchot.

Mais, partout, la relation entre les DSI et les directions métiers s’est repositionnée. Les systèmes d’information sont identifiés comme un réel « Business Partner, soutien et facilitateur de la relation client ». « La DSI doit aller aussi vite que les métiers, notre rôle est de bien outiller » prévient Eric Blanchot. Et pour Raphaël Martin, « le DSI doit proposer une infrastructure aussi résiliente que l’exige les métiers. »

La crise change les règles du jeu et va certainement continuer à les chambouler. Acteur interne de bout en bout du numérique, la DSI fait face à des représentations contrastées. Selon le G9+, l’entreprise dispose de nouvelles opportunités qu’elle saisira ou pas, notamment pour rétablir la stratégie des projets, s’assurer du niveau de modernisation, de l’équilibre des compétences, créer les conditions et affirmer la DSI comme agent de changement et d’innovation, comme partie prenante connue et reconnue de la stratégie de l’entreprise.

Revoir l’architecture et les modes de management

Lors d’une conférence organisée par Ready for IT, trois leviers ont été mis en exergue par les DSI : l’architecture, le management collaboratif et le marketing. « Les architectures du SI ont été fortement sollicitées par la crise et impactées par les nouveaux business models qui s’installent. La logique est d’intégrer davantage d’agilité et de décentralisation dans les architectures », estime Frédéric Charles, directeur de la stratégie digitale et de l’innovation chez Suez Smart Solutions.

Selon lui, « il faut abandonner l’image de l’architecture comme la construction d’une maison et privilégier celle de l’aménagement d’un jardin, plus vivant qu’un immeuble. On a construit historiquement l’IT sur du solide, mais il faut désormais une composante plus vivante. »

Les modes de travail existants, lorsqu’ils étaient basés sur des approches collaboratives, se sont révélés très utiles. C’est ce qu’a observé Aimery Assire, DSI à la direction achats d’EDF : « Les équipes qui travaillaient déjà en management collaboratif s’en sont mieux sorties. L’autonomie repose sur quatre principes : le partage de la vision et des enjeux entre les membres de toute l’équipe, la culture du feedback collectif, de l’entraide et de la transversalité, la vision orientée client et la responsabilisation.

La puissance du management collaboratif est qu’il donne des réflexes qui ont facilité l’adaptation à un mode de travail en distanciel. Les collaborateurs sont ainsi plus agiles, les prises de décision sont plus fluides, sur un mode pair à pair avec des feedbacks réguliers. »

A la DSI achats d’EDF, la moitié des collaborateurs travaillaient en mode collaboratif avant la crise. « Lorsque l’on laisse l’autonomie aux collaborateurs, tout devient plus fluide, même dans un environnement très processé comme chez EDF », poursuit Aimery Assire. Mais le passage au management collaboratif ne s’improvise pas : « Cela prend entre deux et trois mois, avec l’aide de coachs, l’équipe doit notamment travailler sur ses objectifs, ses indicateurs, ses clients et son offre de services, selon le principe qu’il faut apprendre à déconstruire ce qui existe », détaille le DSI.

En parallèle, les DSI doivent muscler leur communication. Pour Pascal Basset, directeur de la transformation des Mousquetaires (Intermarché), « l’accélération a créé une tension extrême pour les équipes, avec des exigences de réactivité, qui vont perdurer. Cela fait évoluer les besoins de compétences, avec des managers seniors, des capacités de pilotage financier et des compétences en marketing. Cela ne se résume pas à la communication, mais à la compréhension de l’écosystème des marchés, de l’anticipation des besoins et de packaging des offres. »

Un besoin d’agilité qui perdure

Le besoin d’agilité va évidemment perdurer. « Il faut créer le contexte où les individus s’autorisent à innover et à être plus agiles », rappelle Didier Fleury, DSI de la Macif, pour qui « un système d’information compliqué est de toute façon difficile à sécuriser. » L’agilité figure d’ailleurs en tête des préoccupations des directions générales.  Près des trois quarts (72 %) des chefs d’entreprises et 90 % des CEO, en Europe, considèrent que l’agilité organisationnelle est essentielle pour stimuler les performances et la croissance des entreprises, mais beaucoup surestiment leurs capacités, révèle une étude d’IDC pour ServiceNow.

Ainsi, un modèle d’évaluation développé par IDC pour mesurer les progrès en terme d’agilité organisationnelle dans cinq domaines (leadership, structure, processus, portefeuille et technologie) révèle que seule une entreprise sur cinq (21 %) se situe dans les deux niveaux les plus hauts : « synchronized » ou « agile ». Près de la moitié (45 %) des entreprises se classent dans la catégorie « in motion », c’est-à-dire au milieu du parcours, tandis que 34 % se situent dans les niveaux inférieurs dénommés « static » et « disconnected ». « Bien que peu d’organisations aient pleinement adopté l’agilité, l’urgence de devenir plus agile est aujourd’hui plus claire que jamais. Il ne s’agit pas seulement de survivre, mais de réussir, et pour ce faire, les entreprises doivent rompre le cycle consistant à suivre le rythme pour accélérer le changement », explique Phil Carter, analyste en chef chez IDC Europe.


Les critères pour juger la performance IT

4,2/5 : la résilience.
4,2/5 : l’adaptation aux nouveaux usages collaboratifs.
4,0/5 : la disponibilité et l’engagement des équipes.
4,0/5 : la disponibilité et la sécurité.
3,8/5 : l’agilité et la capacité à intégrer de nouvelles applications.
3,7/5 : la performance du cloud et des services associés.
3,5/5 : la qualité du support des prestataires informatiques.

Source : CMIT.


Des investissements dans la continuité d’activité

Le confinement de mars 2020 a nécessité des déploiements technologiques pour la continuité d’activité. Pour poursuivre leur activité durant cette période, 87 % des DSI, interrogés dans le cadre d’une étude de l’Agora des DSI et de T-Systems, disent avoir déployé des solutions digitales, telles que des VPN ou des logiciels de visioconférence sur les terminaux des collaborateurs de l’entreprise. Tous déclarent, sans surprise, avoir pris en compte l’aspect sécurité dans leur processus de sélection. Parmi les solutions les plus déployées par les DSI, 71 % ont intégré les offres en mode SaaS. Leur rapidité de déploiement est très certainement un facteur explicatif de cet engouement. Les DSI ont également eu recours au IaaS, en renfort pour le stockage (27 %) et pour le calcul (36 %).

Le confinement a révélé des progrès à réaliser quant à l’utilisation d’outils collaboratifs sécurisés. Plus de 68 % des DSI ont constaté une nécessaire amélioration dans la sécurisation des environnements de travail à distance. La massification du télétravail a mis en exergue les faiblesses de sécurité.

La gestion de l’infrastructure on premise n’a, quant à elle, pas été problématique, puisque seulement 7 % des DSI indiquent avoir constaté des failles à ce niveau. Dans cette période mouvementée, où l’accompagnement et le conseil ont été prépondérants, il est important de souligner que seulement 2 % des DSI interrogés ont identifié des faiblesses importantes dans le support et le conseil de leur fournisseur.