Les indicateurs de la transformation digitale

Toutes les entreprises sont concernées par la transformation digitale et beaucoup se sont engagées dans cette voie. C’est une rupture majeure dans les modes d’organisation, les business models et, bien sûr, les systèmes d’information. Pour la piloter, cinq catégories d’indicateurs peuvent être privilégiés : les indicateurs stratégiques, métiers, d’écosystème, de compétences et technologiques.

Les systèmes d’information deviennent de plus en plus hybrides, moins centralisés et tournés vers les clients, car le numérique figure clairement dans les préoccupations des directions générales, ce qui n’était pas le cas, par le passé. Les DSI, qui disposaient d’une relative autonomie dans les orientations stratégiques, géraient leurs problématiques à une époque où l’informatique était peu alignée sur la stratégie d’entreprise.

La transformation digitale reconfigure toutes les composantes d’une organisation, à la fois en interne et vers son environnement. En interne, ce sont à la fois les modes de management (moins de hiérarchies, plus de leadership…), les façons de travailler, les processus (plus agiles, plus légers), les formes de pilotage et de gouvernance qui se trouvent bouleversés, de même que les indicateurs utiles pour mesurer l’évolution de la transformation digitale.

Les indicateurs sont multiples et dépendent du contexte de l’entreprise, des architectures technologiques, de la maturité de l’organisation et des conditions concurrentielles. On peut toutefois en suggérer plusieurs à intégrer dans un tableau de bord. Nous retiendrons les vingt indicateurs qui nous semblent les plus pertinents et que l’on peut regrouper en cinq thématiques : stratégie, métiers, écosystème, compétences et technologies.

1. Les indicateurs stratégiques

• Le nombre de réunions de comité de direction dans lesquelles les problématiques numériques sont abordées

C’est un signe de la maturité de l’entreprise. Des chercheurs du CISR (Center for Information Systems Research) de la MIT Management Sloan School se sont intéressés à cette question dans une étude intitulée « Assessing the impact of a digitaly savvy Board on company performance ». Ils ont conclu que la sensibilité numérique des dirigeants a un impact à la fois sur la rentabilité de l’entreprise, la croissance du chiffre d’affaires et la capitalisation boursière, avec des écarts de 17 % à 38 %.

• L’évolution des volumes d’informations créées, dupliquées et stockées

Depuis plusieurs années, on observe une accélération de la production des données. Rappelons que, selon IDC, la taille globale de la « Data Sphère » mondiale (il s’agit de toutes les données qui sont créées, collectées ou dupliquées à travers le monde) a représenté 33 zettabytes en 2018, contre moins de 10 en 2012. Elle atteindra 175 zettabytes en 2025, dont 80 % seront générés par les entreprises.

La barre des 100 zettaoctet de données créées (soit l’équivalent de 22 milliards de films en 4K) sera franchie dès 2023. En 2020, 1,7 mégaoctets de données ont été produits par personne et par seconde, d’après IDC, qui estime que la croissance annuelle du volume de données créées par les entreprises entre 2018 et 2023 atteindra + 28,8 %.

Les flux d’informations et de documents échangés, qui augmentent de façon exponentielle, sont toujours plus dépendants les uns des autres, circulent selon des modes multi-canal et multi-formats, sont consommés de façon collaborative et, de plus en plus, en situation de mobilité. La mesure des flux de données et des flux documentaires est utile pour anticiper les besoins en stockage, en solutions de gestion documentaire ou de capacités réseaux.

• La mesure du capital informationnel

L’information est un actif comme un autre. Rappelons qu’un actif a trois caractéristiques principales : il est possédé et contrôlé par un individu ou une organisation, il a une valeur d’échange sur le marché et sa valeur est susceptible de fluctuer avec le temps. Ce qui caractérise parfaitement des actifs financiers ou immobiliers s’applique également aux actifs immatériels, telles que les données et l’information.

N’importe quelle entreprise possède des données, qui ont forcément une valeur, celle-ci s’appréciant régulièrement, on le voit, par exemple, avec les données sur les clients et leurs historiques d’achats. Il y a toutefois des différences entre les actifs informationnels et les actifs physiques : les premiers sont réutilisables facilement, s’adaptent à des contextes évolutifs, ne sont pas ou peu taxés, sont duplicables, transférables à l’infini et, surtout, porteurs de bénéfices potentiels exponentiels. Et, à la différence d’un actif physique (un bien alimentaire par exemple), qui disparaît quand il est consommé, l’information ne s’évapore pas, elle est inaltérable.

La valeur d’une information est très difficile à mesurer et quantifier le capital informationnel d’une entreprise n’est, de fait, pas une approche très répandue. Mais cet exercice de construction d’un indicateur synthétique qui pourrait être comparé à l’actif physique d’une entreprise (immeubles, stocks de produits, usines, machines…), ou à son capital humain, est très prometteur.

La valeur d’une information dépend de plusieurs facteurs, dont sa qualité, sa validité, son degré d’accessibilité, sa précision, son intégrité ou sa rareté. Il existe ainsi plusieurs modèles de valorisation de l’information, chacun étant associé à des modes de calcul :

  • La valeur intrinsèque (qualité, rareté et intégrité des données).
  • La valeur business (alignement par rapport à la stratégie).
  • La valeur de performance (pour les clients, les partenaires, les collaborateurs…).
  • La valeur de marché (prix de revente).
  • La valeur économique (contribution à la Bottom Line).
  • La valeur patrimoniale (coût de la perte des données).

La valorisation des données peut être directe, lorsqu’elle contribue à générer des revenus supplémentaires, ou indirecte, lorsqu’elle participe à la réduction des coûts, des risques ou à l’amélioration de la productivité.

2. Les indicateurs métiers

• Le nombre de projets pilotes concernant des Business Cases numériques

Dans un portefeuille de projets technologiques, la mesure de la proportion de ceux qui sont basés, en partie ou en totalité, sur des cas d’usages liés à la transformation digitale révèle l’appétence pour l’innovation des métiers et du management. Le nombre de projets peut être rapproché des efforts budgétaires (part des ressources par métier affectée aux projets numériques). On peut également observer la part des projets numériques par rapport à l’ensemble du parc applicatif, grâce à une cartographie exhaustive.

• Le chiffre d’affaires réalisé via les canaux numériques, ou avec des produits et services numériques

Cet indicateur révèle le degré de maturité de la transformation digitale. Une part significative du chiffre d’affaires généré via des canaux numériques, ou avec des services/produits numériques, est souvent le résultat d’un repositionnement, avec succès, d’un modèle d’affaires.

• L’audience sur les réseaux sociaux

Elle reflète « l’image digitale » et la e-réputation d’une entreprise, à travers ses interactions avec son écosystème, ses partenaires et surtout ses clients. A l’heure où plus de la moitié de la population mondiale utilise les réseaux sociaux, ceux-ci prennent une part de plus en plus importante dans les actes d’achats, avec des consommateurs hyperconnectés, notamment les plus jeunes générations.

• La mesure de l’expérience client digitale

L’amélioration de l’expérience client constitue le point central de toute stratégie de transformation digitale. C’est aussi le challenge le plus difficile à réussir. Car il est moins question de technologie que d’émotion des individus, de processus que de perception des clients, d’infrastructures que d’ergonomie des applications. Il faut, bien sûr, se référer aux bonnes pratiques pour au moins maximiser l’expérience client. Mais cela n’empêche pas trois difficultés.

D’abord, le fait qu’il faut parfaitement comprendre le parcours client, dans ses moindres détails. La tâche se complique pour les entreprises qui proposent de nombreuses offres à des segments de clients très diversifiés. Ensuite, il faut intégrer le fait que l’expérience client ne sera jamais parfaite.

Enfin, à supposer que l’on tende vers une perfection, celle-ci ne se maintiendra jamais au niveau atteint ! Globalement, une stratégie d’amélioration de l’expérience client s’articule autour de trois phases : une étape stratégique (identification des sources de valeur, définition de la roadmap…), une étape d’analyse de l’existant (audit des parcours clients, des processus, des points de blocage) et une étape opérationnelle (adaptation de l’organisation, des processus et des ressources).

Dans ce domaine, les indicateurs sont divers, par exemple la satisfaction client, le taux de résolution des problèmes au SAV, le Net Promoter Score, le taux de churn, le taux de retour des produits, la e-réputation, les délais de livraison…

• Le Time to Market

L’agilité est une composante essentielle de la transformation digitale. L’un des objectifs est de gagner du temps, par exemple entre la conception d’un produit ou d’un service et sa mise sur le marché. La mesure du Time to Market permet d’observer le rythme d’atteinte de cet objectif, y compris pour les applications mises à disposition des salariés.

• La proportion de nouveaux produits et services créés à partir de solutions numériques

Il s’agit de mesurer le degré de « digitalisation » des offres, par exemple avec l’utilisation de jumeaux numériques dans l’industrie, la valorisation financière de données existantes sous forme de nouveaux services, l’intégration de composants logiciels dans des produits physiques ou le recours aux API (Application Programming Interface) pour imaginer de nouveaux usages « as a service ».

3. Les indicateurs d’écosystème

• Le nombre de fournisseurs qui sont des start-up

Cet indicateur traduit l’interaction d’une entreprise avec son écosystème et son appétence pour l’innovation ouverte. Il met en exergue la capacité de l’entreprise à mobiliser efficacement l’intelligence collective, aussi bien en interne qu’en externe, afin d’accélérer sa dynamique d’innovation et de croissance.

• Le nombre et la fréquence des hackathons

Cette approche, de plus en plus populaire pour favoriser l’innovation, consiste à fédérer, pendant une période définie à l’avance, des développeurs pour les faire travailler sur une problématique. C’est un processus créatif qui aboutit à imaginer de nouvelles applications numériques dans des délais très courts. La fréquence d’organisation de hackathons (ou d’initiatives telles que les Innovation Games, le Crowdsourcing ou les Challenges Storming) est le signe d’un engagement en faveur de l’innovation.

4. Les indicateurs de compétences

• L’appropriation d’un réseau social d’entreprise

Mettre un RSE à la disposition des salariés est une initiative très répandue dans les entreprises en voie de transformation numérique. Mais le processus d’appropriation prend du temps, souvent beaucoup plus que prévu. Il est donc pertinent de mesurer cette progression, à la fois en termes de volumes de connexion, d’usages (nombre de discussions, de posts, de commentaires…) et de communautés thématiques.

• Le taux d’utilisation des outils numériques par rapport à l’effectif total

Il mesure la progression de la « dextérité digitale » des collaborateurs, soit en terme d’équipements numériques (PC, portables, tablettes, smartphones), soit en terme d’usages des applications mises à leur disposition, par exemple dans un catalogue de services.

• La part des compétences digitales

Elle se mesure essentiellement par la proportion de collaborateurs qui ont suivi des formations ou des certifications au numérique, en présentiel ou en ligne. Cet indicateur peut se décliner par métier ou entité, afin de comparer les évolutions selon les types de postes et les qualifications.

• Le niveau d’engagement des salariés

La transformation digitale contribue, en principe, à rendre l’entreprise plus agile, plus collaborative, plus performante, car plus productive. Un tel changement peut se traduire, selon qu’il est correctement ou insuffisamment managé, par une augmentation ou une diminution de l’engagement des salariés.

L’institut de sondages américain Gallup distingue trois groupes. D’abord, les salariés engagés (environ 30 %), qui sont volontaires, coopératifs et souvent enthousiastes pour participer à la vie de l’organisation dans laquelle ils travaillent. Ils connaissent le périmètre de leurs tâches et œuvrent pour améliorer les processus. Ensuite, les salariés non engagés (environ 50 %), les plus difficiles à repérer, car ils ne sont pas a priori hostiles ou n’ont pas de comportements décalés.

Mais ils portent peu d’intérêt aux clients, à la productivité, à la profitabilité de l’entreprise, ainsi qu’aux objectifs de l’organisation ou aux problématiques de sécurité. Cette catégorie ne se concentre pas chez les salariés de base, on en trouve aussi dans le Top Management. Enfin, les salariés activement désengagés (environ 20 %), qui peuvent occasionner le plus de dégâts. Ils monopolisent le temps de leurs managers, sont davantage responsables des défauts de qualité des produits, souvent absents.

Il est important de suivre cet indicateur, car le désengagement des salariés constitue un frein majeur pour la réussite de la transformation digitale, comme pour n’importe quel projet de changement.

On pourra par exemple se référer à la typologie de l’école de management Ashridge Executive Education :

  • La zone d’engagement, qui concerne les équipes productives et proactives dans la résolution des problèmes, qui ont la volonté de travailler ensemble.
  • La zone de désengagement, qui regroupe les équipes non productives dans lesquelles les salariés se perçoivent comme victimes du système, préférant souvent travailler de façon individuelle plutôt que collective.
  • La zone de pseudo-engagement, qui caractérise les équipes productives, mais dans lesquelles les salariés sont centrés sur eux-mêmes, préférant se mettre en avant auprès des managers plutôt que de contribuer à la réussite globale de l’ensemble de l’équipe.
  • La zone de contentement, qui rassemble les équipes qui ne font que le strict minimum pour pouvoir rentrer chez soi « satisfait », plutôt que de s’impliquer à fond et de chercher de nouvelles pistes pour faire progresser l’entreprise.

Ces différentes postures se mesurent, notamment avec des questionnaires ou des audits.

• Le degré de satisfaction des utilisateurs vis-à-vis des outils et applications numériques

La mesure régulière de l’évolution du degré de satisfaction des utilisateurs est pratiquée depuis longtemps par la plupart des DSI de moyennes et grandes entreprises. Avec le digital et l’émergence de la Digital Workplace, cette mesure s’avère plus stratégique, du fait de la multiplication des terminaux (mobiles, tablettes…), des applications (dans le cloud) et des usages (télétravail, mobilité, collaboratif…).

5. Les indicateurs technologiques

• Le taux de disponibilité des sites Web

La disponibilité des services en ligne participe à l’expérience client, dans la mesure où c’est un point de contact privilégié entre une entreprise et les consommateurs. Le suivi de cet indicateur, en fonction d’objectifs, permet d’identifier en amont les dysfonctionnements et d’élaborer les plans d’action adaptés.

• Le nombre d’API (Application Programming Interface)

Rappelons que les API permettent aux développeurs de créer une architecture ouverte pour le partage de fonctionnalités et de données entre les applications. Grâce aux API, le Web devient programmable : des centaines de services ouverts peuvent être intégrés dans de nouvelles applications ou des services « mash-up », permettant en quelque sorte aux entreprises d’externaliser l’innovation. Les API concernent à la fois les données, les algorithmes et les ressources, elles sont au cœur de l’économie numérique, car elles favorisent le développement d’écosystèmes.

• La proportion de processus dématérialisés de bout en bout.

Cet indicateur du degré de numérisation des processus peut se décliner selon les métiers, par exemple la dématérialisation des factures pour la direction financière, le traitement numérique des CV pour la direction des ressources humaines ou celui des bons de commande pour la logistique…

• Le nombre d’applications dans le cloud

Il traduit une évolution du système d’information « Legacy » vers davantage d’agilité pour prendre en compte les besoins des métiers, ainsi qu’un allègement de la dette technique. Rappelons que la dette technique représente les coûts associés à la maintenance d’un développement logiciel. L’analogie avec la dette vient du fait qu’elle induit des intérêts à payer. Ils se traduisent par un effort supplémentaire à fournir pour la maintenance des applications, du fait de la complexité toujours croissante des systèmes et également par le fait que l’évolution d’un système entraîne toujours une charge de refactoring (action sur le code à fonctionnalité équivalente) et de réécriture régulière de certaines parties de ces systèmes.

Cet effort est assimilable à des intérêts. Si l’on accumule trop de dettes, la majorité des efforts seront concentrés au service de la dette, intérêts et capital compris. La dette technique a des conséquences en termes d’augmentation des coûts, de performance des applications, de scalabilité, d’allongement des délais de mise à disposition des utilisateurs et de dégradation de l’expérience utilisateur.

Pilotage de la transformation digitale : les vingt indicateurs à privilégier
Catégories d’indicateurs Exemples d’indicateurs
Les indicateurs stratégiques Nombre de réunions de comité de direction dans lesquelles les problématiques numériques sont abordées
Évolution des volumes d’informations créées, dupliquées et stockées
Évaluation du capital informationnel
Les indicateurs métiers Nombre de projets pilotes concernant des cas d’usage numériques
Chiffre d’affaires réalisé via les canaux numériques, ou avec des produits et services numériques
Audience sur les réseaux sociaux
Mesure de l’expérience client digitale
Time to Market
Proportion de nouveaux produits et services créés à partir de solutions numériques
Les indicateurs d’écosystème Nombre de fournisseurs qui sont des start-up
Nombre et fréquence des hackathons
Les indicateurs de compétences Degré d’appropriation d’un réseau social d’entreprise
Taux d’utilisation des outils numériques par rapport à l’effectif total
Part des compétences digitales
Niveau d’engagement des salariés
Degré de satisfaction des utilisateurs vis-à-vis des outils et applications numériques
Les indicateurs technologiques Taux de disponibilité des sites Web
Nombre d’API (Application Programming Interface)
Proportion de processus dématérialisés de bout en bout
Nombre d’applications dans le cloud
Source : Best Practices Digital & Business, Digitalonomics.