L’IA et l’entreprise : un mariage forcé mais prometteur

L’intelligence artificielle n’est évidemment pas nouvelle, elle a plus de soixante ans mais, dès lors qu’elle sort du monde académique et des laboratoires de recherche pour trouver des applications concrètes dans l’entreprise, c’est une autre histoire

Pour Stéphane Roder, fondateur du cabinet de conseil AI Builders, « en venant aider, remplacer et optimiser, l’IA va révolutionner tous les métiers mais surtout les structures de coûts des entreprises, et donc leur compétitivité. » L’intelligence artificielle, « restée hors de portée de l’industrie jusqu’en 2016 » est définie par l’auteur comme l’ensemble des techniques permettant à des ordinateurs de simuler et de reproduire l’intelligence humaine. Avec deux sous-ensembles : le Machine Learning, fondé sur l’apprentissage statistique, et le Deep Learning, basé sur des réseaux de neurones.

L’IA modélise la réussite

L’auteur s’attache à décrire les différentes caractéristiques de l’intelligence artificielle, depuis les moteurs de règles jusqu’au Feature Engeneering, en passant par les modes d’apprentissage. Pour Stéphane Roder, l’IA est « la suite logique de la transformation digitale. » Et il est risqué de ne pas y intégrer : « Les potentiels gains de productivité et d’augmentation des profits sont tels que l’IA est une opportunité unique pour les nouveaux entrants, les followers, les challengers, de ravir des parts de marché, voire même le leadership, aux belles endormies.

Celles qui intègreront l’IA dans leur stratégie de développement assez tôt, en transformant et en optimisant leurs métiers, pourront se prémunir contre de nouveaux entrants et garder le même niveau de compétitivité face à leurs concurrents avant qu’ils ne s’équipent à leur tour. » Pour résumer : « L’IA modélise la réussite et l’optimise ».

En outre, elle n’a pas de problématique de ROI : « Son coût est fixe, sa disponibilité totale et continue, et son temps infini », assure l’auteur. L’IA agit ainsi à trois niveaux : l’interaction entre l’homme et la machine, l’augmentation des capacités de l’humain, avec la mise à disposition d’assistants digitaux, et le déploiement de processus intelligents doués d’actionnabilité.

On peut aisément comprendre que de telles perspectives suscitent des résistances : « Un des grands challenges de cette transformation sera de faire accepter aux métiers leurs nouveaux outils dopés par l’IA pour ne pas qu’ils soient laissés de côté », précise Stéphane Roder, pour qui l’IA ne peut pas être une boîte noire dans laquelle on ne comprend pas comment les décisions sont prises.

« Dans l’entreprise, l’explicabilité est donc une nécessité pour que la machine puisse prendre part au process de décision aux côtés de l’humain. Il en est de même pour les décisions qu’elle prendra pour les clients de l’entreprise. »

Des applications dans tous les métiers

Tous les métiers peuvent créer plus de valeur grâce à l’intelligence artificielle et les domaines d’applications ne manquent pas. Dans celui de la finance, les métiers vont être les plus impactés par l’intelligence artificielle, du fait de l’existence de nombreuses tâches manuelle, longues, répétitives et souvent sans aucun intérêt.

Les applications de l’IA concernent principalement la comptabilité, le traitement des notes de frais, la prévention de la fraude, la trésorerie et le recouvrement. Dans le domaine des achats, là aussi, les tâches manuelles et chronophages sont légion. Par exemple, les acheteurs consacrent 30 % de leur temps à rechercher des fournisseurs. « L’optimisation des dépenses à travers l’étude détaillée des catégories d’achat prend de six mois à un an avec comme seul outil Excel et des centaines de factures à éplucher, alors qu’une approche telle que le Cognitive Sourcing Discovery réduit de 95 % le temps passé à chercher des fournisseurs », note Stéphane Roder.

L’IA peut apporter également beaucoup pour la contractualisation, l’optimisation des coûts, les recommandations ou la classification automatique. Pour le juridique, elle s’applique aux contrats, aux contentieux et à la conformité règlementaire.

De même, dans le domaine des ressources humaines, l’IA constitue une aide pour l’identification des candidats, le recrutement ou la gestion de la paie. « En venant réaliser la plupart des tâches ingrates, assurer la cohérence et limiter le risque fiscal et juridique, l’intelligence artificielle va simplifier les métiers des ressources humaines et leur permette de se focaliser sur la valeur et la gestion des talents », note l’auteur.

On trouve également des applications pour la production (robotisation, optimisation des chaînes de production), la logistique (par exemple avec le Machine Learning pour les modèles de prévision de stocks), les ventes (qualification de prospects, ventes croisées…), sans oublier le marketing (qui devient analytique et digital). « Des technologies, jusqu’alors réservées à de grands groupes comme Amazon ou Netflix, sont maintenant à la portée de tous et sur tous les canaux, de l’e-mail au site de e-commerce », assure l’auteur.

Le Chief Digital Officer comme chef d’orchestre de l’IA

Ce dernier s’intéresse aux acteurs de cette transformation. On trouve à la fois les visionnaires, qui comprennent les enjeux liés à l’introduction de l’IA, les révélateurs, qui proposent des utilisations de l’IA qui font sens dans l’organisation. « Le révélateur est le profil charnière de l’entreprise. Il connaît le cœur de métier de l’entreprise, son propre métier et le process dont il est le client, et a intégré les grands principes et les usages génériques des grandes familles d’algorithmes qui font l’intelligence artificielle d’aujourd’hui », résume Stéphane Roder.

Mais il en existe d’autres : l’utilisateur, qui connaît son métier et son besoin, les dirigeants et le comité de direction, qui intègre l’IA à sa stratégie et donne les moyens pour réussir la transformation, sans oublier les Chiefs Digital Officers et les DSI. Le CDO est « le champion désigné de l’IA, avec une vraie mission de management du changement que le digital et ses différentes phases imposent aux organisations », décrit l’auteur.

Le CDO peut être épaulé par des fonctions de Head of Data ou de Head of AI. Quant au DSI, Stéphane Roder estime qu’il a lui aussi un rôle primordial. « Nous devons au DSI et à la longue évolution de son métier la qualité actuelle de nos systèmes d’information, le DSI sera donc impliqué dès le début des projets pour sa vision globale et sa maîtrise des systèmes, comme garant de la cohérence et de l’interopérabilité de ces nouveaux systèmes » rappelle l’auteur.

Élaborer un schéma directeur de l’IA

Dès lors que partout où il y a des documents, des données, de l’interaction, il peut y avoir de l’intelligence artificielle. Comment faire ? D’abord, il faut éviter de partir trop vite et de se disperser. « Il faut se donner des priorités et une méthodologie pour aller à l’essentiel et s’attaquer aux plus gros gisements de profitabilité », suggère l’auteur.

D’où l’idée d’un véritable schéma directeur de l’intelligence artificielle, à l’image de ce qui structure depuis longtemps les systèmes d’information. Pour Stéphane Roder, c’est le CDO qui porte la responsabilité du schéma directeur IA. Cinq critères sous-tendent la transformation par l’IA : le ROI, la pénibilité, la qualité des données, la faisabilité et la capacité d’intégration au système d’information. La mise en place d’un schéma directeur IA suppose de définir une roadmap, qui s’articule autour de cinq axes de travail :

  • Penser métier d’abord : « De manière systématique, le schéma directeur IA commencera par aborder la résolution des problèmes structurels d’un business », recommande l’auteur.
  • Générer un modèle tiré par l’IA : « Tous nos business regorgent de données et d’historiques qu’il faut analyser pour comprendre si tout ou partie du Core Business de l’entreprise peut être modélisé pour être optimisé et automatisé à travers une modélisation », explique Stéphane Roder.
  • Créer des revenus avec l’IA, grâce à la valorisation des données qui crée de nouvelles offres.
  • Rechercher des solutions du marché (la plupart étant commercialisées en mode SaaS) et en évaluer la pertinence pour intégrer des fonctionnalités dans le système d’information.
  • Développer sur mesure : cette approche doit être réservée à des solutions qui n’existent pas sur le marché. « Il est hors de question de développer pour son propre compte un processus IA ou une tâche d’un métier standard de l’entreprise de type gestion de trésorerie ou classification des achats », avertit l’auteur.

L’ouvrage se termine par quelques considérations prospectives et l’auteur avance quelques convictions fortes : nous sommes très loin d’une intelligence artificielle générale, nous n’avons pas encore pris la dimension de la réelle complexité du cerveau, la modélisation du raisonnement humain semble avoir atteint un seuil, l’industrie 4.0 n’existera pas sans IA… Avec, toutefois, une vision optimiste : « L’IA est une telle source de différenciation et de créativité qu’il faudra savoir la laisser s’exprimer. »

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Guide pratique de l’intelligence artificielle dans l’entreprise, anticiper les transformations, mettre en place des solutions, par Stéphane Roder, Editions Eyrolles, 197 pages.