L’infogérance, levier de transformation du système d’information de Keolis

En quelques années, Keolis, spécialiste du transport public de voyageurs, est passé d’une « fédération de PME » à un groupe industriel. Une reconfiguration qui s’est accompagnée d’une profonde transformation du système d’information. Un des points-clés de la stratégie de Keolis a été de renforcer l’infogérance pour gagner en maturité, en professionnalisation et en performance.

L’histoire d’une entreprise imprime les caractéristiques et la trajectoire de son système d’information. Ainsi, l’opérateur du transport public de voyageurs Keolis, en évoluant d’une « fédération de PME » à un groupe industriel international, a profondément transformé son système d’information. Issu du rapprochement, en 2001, de Cariane, filiale de la SNCF spécialisée dans le transport routier interurbain, et de VIA GTI (transports urbains), Keolis, à l’occasion du renouvellement du management et de l’arrivée d’un nouveau DSI, a accéléré la transformation de son système d’information à partir de 2005.

« A l’époque, rappelle Stéphane Deux, directeur des systèmes d’information de Keolis, nous avions une organisation à trois niveaux : d’abord, un niveau corporate, piloté par moins d’une dizaine de collaborateurs, avec des applications transverses au groupe déployées localement, ensuite une quinzaine de filiales qui disposaient de ressources SI dédiées (de quelques personnes jusqu’à une cinquantaine de collaborateurs) et, enfin, cent cinquante plus petites filiales qui n’avaient pas de ressources informatiques propres. »

Mais une telle organisation devient vite inadaptée dès lors que l’ambition du Groupe Keolis est de « mutualiser et de monter en compétences, notamment pour les petites filiales qui devaient souvent se débrouiller au quotidien avec leur informatique, une telle situation ne pouvait perdurer », comme le précise Stéphane Deux, qui pointe notamment un fonctionnement opérationnel peu satisfaisant, des solutions techniques inadaptées et des difficultés en matière de performance et de disponibilité des applications.

Unifier et consolider

La transformation du système d’information va alors se dérouler en deux phases : la première a duré six ans, de 2005 à 2011, la seconde se terminera en 2015. « Nous devions d’abord transformer le niveau corporate, avec une ambition d’unifier et de consolider l’ensemble du système d’information ; par exemple beaucoup de filiales disposaient de leurs propres messageries ; suite au déploiement d’Exchange en 2007, aujourd’hui il n’y en a plus que douze et leur nombre diminue régulièrement », explique Stéphane Deux.

En parallèle, l’informatique des cent cinquante petites filiales a été regroupée dans neuf datacenters régionaux qui n’existaient pas auparavant et un réseau étendu homogène (WAN) a permis de relier plus de trois cent sites (en 2011), avec un objectif d’en connecter plus de cinq cent cinquante à l’horizon 2013.

L’infogérance, dans l’ADN de Keolis

Le groupe Keolis a également engagé un projet d’implémentation d’un ERP, pour les fonctions finance (en 2010), l’e-procurement (en 2011), la gestion des approvisionnements et des stocks (déployée sur 2012 et 2013), et une modernisation de ses applications de back-office, notamment pour consolider la gestion de trésorerie, le reporting ou les achats de carburant. « Pour les achats de carburant, un de nos postes de coûts les plus importants, nous avons par exemple développé une plate-forme d’enchères inversées afin de réduire nos dépenses, précise Stéphane Deux. Chaque matin, les pétroliers se connectent et proposent leurs tarifs, c’est très efficace pour réduire les coûts d’autant qu’auparavant chaque filiale gérait sa propre filière d’approvisionnement en carburant. Par ailleurs, nous avons virtualisé certains environnements et élaboré les unités d’œuvre correspondantes. »

L’informatique centrale, ainsi que les applications mises à la disposition des filiales, étaient déjà prises en charge par un infogérant. Le recours à l’externalisation fait partie de l’ADN du groupe Keolis : « Elle concerne à la fois la production, le développement, la gestion du réseau, même des chefs de projet sont externalisés, l’important est de conserver la maîtrise en termes de cahier des charges, de spécifications et de suivi de contrats », explique Stéphane Deux.

Fin 2007, un nouvel appel d’offres est lancé par Keolis, qui a décidé de quitter son infogérant. Le nouveau contrat, baptisé KEOP est gagné par Thales Services. « Nous savions que Thales disposait d’une expertise forte, plus particulièrement sur l’infogérance de systèmes d’information critiques, et cela nous a permis de développer les services, de professionnaliser les unités d’œuvre et d’accélérer la consolidation », résume Stéphane Deux. Le contrat est finalisé en octobre 2007 pour un démarrage en mars 2008. « Nous avons atteint un bon niveau de performance et de professionnalisation, mais nous étions encore plus ambitieux », ajoute le DSI de Keolis.

D’où le constat dressé à l’été 2009 : « Le premier retour d’expérience a montré des marges de progression notamment en termes de gouvernance, de reporting, de qualité de service pour le service desk et dans les différentes phases de mises en production », se rappelle Stéphane Deux. La première action engagée a consisté à adapter le modèle de gouvernance et à renforcer les équipes de Keolis: « Cela a permis de progresser en compétences, la DSI de Keolis, étoffée, compte aujourd’hui vingt-deux collaborateurs en central, auxquels s’ajoutent onze autres en régions, plus une grosse centaine dans les quinze grosses filiales françaises », précise Stéphane Deux.

Le plan d’actions défini conjointement par Keolis et Thales Services a porté sur le renforcement du dialogue, la mise en place d’une nouvelle gouvernance, un travail de fond sur les services, la refonte des unités d’œuvre et la formalisation d’un reporting standard. « Nous avons laissé le temps aux nouvelles équipes de s’approprier les différents éléments de la relation, d’évaluer la situation pour identifier les axes d’amélioration, et fait en sorte qu’elles reprennent les dossiers en totalité, afin qu’elles puissent notamment maîtriser le contrat, la facturation, les engagements de services et l’état de l’art de chacun des services », précise Stéphane Deux.

Vers une situation gagnant-gagnant

En mai 2010 intervient une remise à plat du contrat KEOP autour de trois temps forts. Le premier a consisté à mettre au point un accord sur la période de négociation. « Il nous fallait passer à la vitesse supérieure, nous étions de part et d’autre plus ambitieux pour améliorer encore la situation gagnant-gagnant», précise Stéphane Deux, qui ajoute : « Je conseille à tous les DSI de cadrer contractuellement au préalable la période de négociation. Nous avons passé quatre mois pour bien définir la phase de négociation à venir et tous les scénarios possibles, ce qui a abouti à la signature d’un avenant, à l’été 2010. Thales Services a très bien compris l’intérêt commun de cette approche, nous avons respecté le délai et je suis fier que l’on ait pu procéder de cette façon. »

Second temps fort : des sessions de travail ont été organisées pour chacun des services. « Les équipes de Thales Services avaient dressé le constat que le coût de certains services avaient besoin d’être recalculé car les hypothèses de départ avaient évolué et, de notre côté, nous souhaitions modifier la façon dont étaient délivrés certains services et valider un plan de transformation pour porter le développement du Groupe tout en recherchant une optimisation économique », explique Stéphane Deux.

Enfin, le troisième temps fort a correspondu à la négociation finale. Des conditions précises de poursuite ou d’abandon avaient été fixées, notamment des dates butoirs et des objectifs à atteindre par les deux parties. Une lettre d’intention a finalement été signée début janvier 2011. La formalisation du contrat a mis quasiment trois mois, le contrat ayant été signé fin mars 2011.

Le nouveau contrat pose plusieurs principes. D’abord, une gouvernance renforcée. « Cet aspect est fondamental pour la bonne implication des équipes, le bon niveau décisionnel de chaque partie, la communication entre les collaborateurs et un suivi régulier », estime le DSI de Keolis. Concrètement, Keolis dispose par exemple d’un reporting plus complet, avec des indicateurs plus précis, et d’une console de supervision déportée afin d’obtenir une vision en temps réel.

La gouvernance, pour être efficiente, impose toutefois de dégager les ressources nécessaires : « La gestion de la relation nécessite de consacrer au moins 10 % de ressources par rapport au périmètre et au volume du contrat, explique Stéphane Deux. Autrement dit, lorsque l’on sous-traite 100, il faut consacrer au moins 10 pour des ressources dédiées à la gouvernance, avec des profils senior, capables de négocier et contractualiser. »

En matière de gouvernance, le DSI de Keolis et Joël Derrien, le vice-président IT Outsourcing de Thales Services, ont institué un principe simple et particulièrement efficace : « Nous nous réunissons régulièrement en tête-à-tête, environ toutes les trois semaines, pendant deux heures, pour faire un point complet de la situation, et je conseille à tous les DSI d’adopter cette bonne pratique : pour la gouvernance d’un tel projet, bénéficier d’une telle relation de proximité est très utile pour mieux arbitrer, car il faut toujours éviter que les équipes qui travaillent au quotidien soient responsables des arbitrages. Elles apprécient d’ailleurs ce mode de fonctionnement qui leur permet de se concentrer sur leurs missions. »

Une nouvelle étape de consolidation

En parallèle, le contrat KEOP2 a abouti à une optimisation des unités d’œuvre, aujourd’hui plus souples, davantage prédictives et « à la demande », ainsi qu’à une évolution des engagements de services pour mieux prendre en compte le caractère critique des applications, ce que Thales Services sait décliner de manière très modulaire. « Le programme de transformation 2011-2015 se traduira également par une nouvelle optimisation des infrastructures et des applications, et par des gains de productivité qui sont intégrés dans le contrat pour toute sa durée, ajoute Stéphane Deux. Nous avions notamment centralisé des ressources serveurs sans systématiquement rechercher une optimisation globale de toutes nos infrastructures et nous n’avions pas de plan de reprise d’activités. »

Au niveau corporate, cette deuxième phase de transformation va se traduire par un renforcement de l’unification des outils (systèmes d’information ressources humaines, maintenance…), l’évolu­tion des infrastructures vers la consolidation des serveurs et des bases de données et une infrastructure de type « Dual-Building » (dans deux bâtiments), ainsi qu’un nouveau modèle d’unités d’œuvre « à la demande ». Pour l’informatique des filiales « Grand Urbain », le principe est d’élaborer un schéma directeur type et de mettre en place des plans de progrès.

Quant à l’informatique des 150 plus petites filiales, les neuf datacenters existants (dont deux sont déjà gérés par Thales Services) seront consolidés progressivement dans l’un des datacenters de Thales.


Transformation du SI et infogérance : les bonnes pratiques du groupe Keolis

  • Mutualiser et consolider le système d’infor­mation, avec un plan de transformation des infrastructures
  • Étoffer les équipes de la DSI corporate
  • Externaliser tout ce qui peut l’être, après stabilisation et optimisation, tout en conservant la maîtrise du SI
  • Regrouper l’informatique des filiales, si elles sont nombreuses
  • Implémenter un ERP et moderniser les applications de back-office
  • Uniformiser le système de messagerie
  • Virtualiser les environnements de manière sélective
  • Déployer un réseau Wan MPLS, avec une admi­nistration centralisée, pour relier tous les sites
  • Regrouper les datacenters après les avoir optimisés
  • Construire un plan de reprise d’activités et le tester régulièrement
  • Privilégier le monosourcing, plus adapté à la taille du groupe et moins complexe à gérer
  • Avant la (re)négociation proprement dite, envisager tous les scénarios de fin de négo­ciation
  • Élaborer un schéma directeur et des plans de progrès
  • Affiner la définition des services, dans le cadre de sessions de travail communes DSI-prestataire
  • Adapter les engagements de services au caractère critique des applications
  • Intégrer les gains de productivité dans le contrat, sur toute sa durée
  • Définir des objectifs précis à atteindre pour les deux parties
  • Systématiser l’usage d’unités d’œuvre et les réévaluer régulièrement, en fonction des changements de périmètre, de stratégie ou de l’environnement
  • Ne pas se focaliser sur la réduction des coûts mais veiller plutôt à l’équilibre et à la pertinence des unités d’œuvre
  • En cas de difficultés, considérer que les responsabilités sont souvent partagées et ne pas hésiter à changer les équipes pour progresser en compétences, en leur laissant un temps d’appropriation suffisant
  • Demander à rencontrer les spécialistes et experts du prestataire pour mieux aligner les prestations sur les besoins
  • Prévoir des rendez-vous régulier en tête-à-tête avec le top management du prestataire, notamment pour faciliter les arbitrages
  • Mettre en place des indicateurs reflétant les enjeux critiques pour l’activité, produits et partagés lors de points réguliers au plus haut niveau, afin d’optimiser les plans d’’amélioration.
  • Bien formaliser les principes de gouvernance afin de garantir une bonne implication des équipes et de définir les bons niveaux de décision
  • Dégager des ressources spécifiques pour piloter la gouvernance
  • Introduire davantage de souplesse et de prédictivité dans les unités d’œuvre
  • Formaliser un reporting standard précis
  • Ne pas hésiter à remettre en cause certains existants afin de rénover des pans entiers du SI
  • Veiller à ce que la relation avec l’infogérant soit toujours de type « gagnant-gagnant »
  • … et savoir « célébrer la victoire » en commun avec les équipes IT, les juristes et les acheteurs.

Trois questions à Stéphane Deux, DSI de Keolis : « Il faut savoir célébrer les victoires »

Comment avez-vous sélectionné Thales Services ?

Stéphane Deux En 2007, lorsque nous avons décidé de remettre l’infogérance en appel d’offres, nous avons défini une stratégie de sourcing basée sur la typologie des infogérants par rapport à la taille de Keolis : nous avons ainsi consulté un grand acteur français, deux prestataires de taille moyenne et deux acteurs de niches, mais aucun grand acteur international. Compte tenu de la taille du groupe Keolis et de son périmètre, nous avons privilégié le mono-sourcing pour gérer le service desk de proximité des sites, l’hébergement des applications corporate, ainsi que l’administration et la supervision des plate-formes.

Thales Services a été sélectionné à la fois du fait de la qualité de sa réponse à l’appel d’offres, de la négociation équilibrée qui a suivi et parce que c’est un acteur dont les compétences en infogérance de SI critique sont reconnues, et dont la taille permet une bonne flexibilité industrielle. En outre, notre relation de proximité a été plus forte qu’avec d’autres prestataires.

Avez-vous des exemples de cette proximité ?

Stéphane Deux Nous avons notamment demandé à rencontrer les spécialistes du reporting et de la production de Thales Services afin qu’ils viennent eux-mêmes nous montrer ce qu’ils savent faire par rapport à nos besoins. Il est très rare que cela soit possible dans le domaine de l’infogérance. De même, nous avons pu instaurer les réunions régulières en tête-à-tête avec le directeur des activités infogérance de Thales Services. Je doute que nous puissions obtenir la même écoute de la part d’un prestataire anglo-saxon plus gros …

Comment caractériseriez-vous vos relations avec Thales ?

Stéphane Deux Je dirais que s’est instaurée entre Keolis et Thales Services une véritable maturité relationnelle. Pour un groupe de la taille de Keolis, c’est important d’être un client qui compte ! Et c’est le cas chez Thales Services. Ce n’est pas un hasard si nous n’avons pas sélectionné un acteur beaucoup plus gros. Nous n’aurions probablement pas été considérés de la même manière… Nous travaillons donc comme des partenaires dans un modèle gagnant-gagnant. Je suis persuadé que, dans ce modèle, il est important, et symbolique, de célébrer les victoires de façon conviviale. Ce que nous n’avons pas manqué de faire à l’occasion de la signature du nouveau contrat, en réunissant les équipes informatiques de Keolis et celles de Thales Services, les juristes et les acheteurs.