Dans son article sur « les enjeux économiques de l’ubérisation », Bertrand Blancheton, professeur à l’université de Bordeaux, s’est intéressé aux conséquences de ces nouveaux business models, de type Uber ou Blablacar, et à la montée du travail indépendant.
Pour lui, « l’économie numérique déplace les frontières de la firme en modifiant les coûts de transaction. » D’autant, ajoute-t-il, que « l’ubérisation commence aussi à concerner les secteurs économiques les plus traditionnels, réputés intouchables. »
Mais, d’un point de vue macroéconomique, l’impact reste très marginal, notamment sur la productivité et le PIB. « Le processus de destruction créatrice engendre bien sûr une création de valeur, mais celle-ci apparaît limitée, elle en détruit par ailleurs en réduisant l’activité des opérateurs traditionnels », assure l’auteur.
L’ubérisation marque quand même le grand retour du travail non salarié, qui avait connu un déclin jusqu’en 2008, du fait de l’effondrement du travail agricole. L’auteur rappelle que, en 1970, 20 % de l’emploi était non salarié en France, contre 8 % en 2008. Et 1 % en 2017. L’économie des plateformes repose sur le fait que les barrières à l’entrée étant très faibles, en particulier pour la technologie, aisément disponible, il s’agit, pour les acteurs, de miser sur « les externalités de réseaux associées à une diffusion et à une utilisation massive de la plateforme. L’enjeu est d’acquérir, le plus vite possible, un grand nombre de prestataires et d’utilisateurs, afin d’accroître l’attractivité de la marque et de tendre vers un service plus rapide. » Catherine Viot, professeur à l’université Claude Bernard Lyon 1, a cherché à savoir si, avec l’ubérisation des services, les clients sont toujours gagnants.
Pour elle, l’ubérisation n’offre aucune garantie de services et accroît la fracture numérique. « L’ubérisation n’est pas systématiquement synonyme d’innovations de rupture », observe-t-elle. La plupart des plateformes fonctionnent en agrégeant des éléments existants (un service, des technologies déjà matures…). « Du point de vue des habitudes de consommation, l’ubérisation n’est pas une révolution. La plupart du temps, il s’agit de proposer une offre alternative, mais celle-çi existait déjà. »
Le client peut donc être perdant. D’abord, parce que les plateformes ne fonctionnent pas avec des salariés : « Cette chaîne relationnelle entre qualité du personnel en contact, qualité de service et fidélité, est-elle toujours d’actualité ? » se demande l’auteur. Ensuite, les finalités des plateformes et celle des clients ne sont pas alignées : « Les plateformes sont avant tout des entreprises dont les fondateurs ou propriétaires recherchent le profit. Seules des personnes frappées de myopie, ou aveuglées par l’expression trompeuse d’économie collaborative ou d’économie de partage, pourraient y voir autre chose. L’idée que les plateformes sont animées par la recherche du profit étant admise, il est facile de comprendre que le meilleur moyen d’y parvenir est de maximiser l’écart entre la valeur perçue par le client et les coûts de production du service proposé. »
L’importance de cette valeur perçue explique d’ailleurs que les plateformes mettent en place des systèmes de notation, par les clients, de la qualité des services proposés. Mais, ajoute l’auteur, « il est difficile de définir l’objet sur lequel porte l’évaluation de la qualité de service. Par exemple, dans le cas d’un service de livraison de repas à domicile, la livraison peut être parfaite mais la nourriture très médiocre, et inversement. »
Et les plateformes elles-mêmes ne sont jamais à l’abri de disparaître sous l’effet de la concurrence, on l’a vu récemment avec la faillite de Take It Easy, qui avait un modèle aisément copiable. « Alors que les plateformes réduisent à néant les barrières à l’entrée des marchés traditionnels qu’elles concurrencent, elles négligent d’ériger leurs propres barrières, d’où un avantage concurrentiel souvent illusoire », souligne Catherine Viot.
Les quatre piliers des modèles économiques des plateformes
- Une externalisation poussée de la production et des risques associés auprès d’une multitude de producteurs indépendants, la participation de la plateforme se limitant à des tâches de coordination et à un rôle de tiers de confiance.
- Un rapport de forces favorable à la plateforme du fait du grand nombre de producteurs indépendants.
- Le déploiement de l’activité à grande échelle grâce aux technologies numériques.
- Le rôle interchangeable de producteur/consommateur, car les producteurs peuvent être également des particuliers.
Les quatre caractéristiques de l’ubérisation
- Un bouleversement de l’échiquier concurrentiel.
- Le numérique comme catalyseur.
- Le changement rapide.
- Un service existant délivré à bas prix.
« Enjeux économiques de l’ubérisation : histoire, innovations, nouvelles frontières du salariat et de la firme », par Bertrand Blancheton.
« Ubérisation des services : les clients sont-ils toujours gagnants ? », par Catherine Viot.
Ubérisation de l’économie, entrepreneuriat et capital humain, Vie et Sciences de l’Entreprise, n° 205, 2018, 177 pages.