Neuf idées reçues sur la gestion de projet

Lors de la première édition de la DuckConf, organisée par Octo Technology, son directeur général France, Ludovic Cinquin, est revenu sur les neuf idées reçues associées au management de projet. Des erreurs de raisonnement qui limitent la performance et accélèrent l’échec des projets…

Idée reçue n° 1 : « Pour livrer à temps, il faut ajouter des développeurs sur le projet »

Cette loi, dite loi de Brooks, a été documentée au milieu des années 1970. Elle pose que plus on ajoute de personnes sur un projet, plus ce dernier accuse de retard. Pourquoi ? « En fait, plus les équipes sont étoffées, plus la communication entre les membres devient difficile, ce n’est donc pas pertinent d’ajouter des personnes supplémentaires et plus on en ajoute, plus l’efficacité diminue », explique Ludovic Cinquin.

En outre, le fait d’ajouter des ressources humaines demande de consacrer davantage de temps pour s’approprier les outils, les méthodologies, le contexte métier. « Tout cela dégrade fortement la vélocité de l’équipe projet », résume Ludovic Cinquin, qui rappelle qu’il faut entre un mois et demi et trois mois pour qu’une personne supplémentaire sur un projet produise des résultats. Conclusion : « Si un projet doit être livré dans moins d’un mois, il est complètement inutile d’ajouter une ressource. »

Idée reçue n° 2 : « Supprimer les temps morts permet d’augmenter la productivité »

Cette idée est liée à la théorie des files d’attente. Par exemple, si la mémoire d’un ordinateur est utilisée à 100 %, il n’effectuera plus aucune tâche. « De même, assure Ludovic Cinquin, si les développeurs ont un emploi du temps chargé à 100 %, le temps qu’une User Story traverse le système est infini. Mais si, à l’inverse, les développeurs ne font rien, l’entreprise subit un coût de non-utilisation de 100%. » D’où la conclusion que le mode de fonctionnement optimal d’une équipe projet est d’environ 80 % : « En dessous de ce seuil, ça coûte, au-dessus également », précise Ludovic Cinquin.

Par analogie avec la théorie des files d’attente, « le fait, sur le périphérique parisien, d’abaisser la limitation de vitesse de 80 à 70 km/h a eu pour effet d’augmenter la vitesse moyenne, de 32,6 à 38,4 km/h, avec une chute des bouchons de 36 % », rappelle Ludovic Cinquin. C’est le principe des sections à régulation de vitesse que l’on trouve sur certaines autoroutes, même si cela paraît contre-intuitif de vouloir limiter la vitesse pour l’augmenter…

Idée reçue n° 3 : « Affecter les gens sur plusieurs projets permet de lisser la charge… et de supprimer les temps morts »

Là encore, cette idée va à l’encontre du principe selon lequel le multi-tâches a tendance à nuire à la productivité. La baisse peut atteindre 40 % et, plus étonnant, le multi-tâches réduit le quotient intellectuel de 10 points, selon une étude réalisée par Peter Bregman en 2010 (1). Une autre étude, menée par des psychologues (2), a conclu que gérer les projets en série plutôt qu’en parallèle peut réduire les coûts jusqu’à 40 % sur des projets complexes.

« Beaucoup d’entreprises ont mis en place des centres de compétences, par exemple pour la Business Intelligence, les ERP ou la sécurité, mais, lorsque l’on pousse la logique, pour réaliser des projets, il faut affecter un expert pointu sur plusieurs équipes, mais comme ils sont toujours très occupés, les projets dérives, ne serait-ce que parce que caler des points de suivi dans les agendas devient problématique », observe Ludovic Cinquin.

Idée reçue n° 4 : « On va pouvoir prendre des profils moins chers pour la maintenance »

Cette idée est très courante, parce que c’est a priori facile. En réalité, rappelle Robert Glaas, dans son ouvrage sur le développement logiciel (3), « l’activité de maintenance consomme typiquement de 40 à 80 % des coûts de fabrication d’un logiciel. C’est donc probablement l’étape la plus importante de son cycle de vie. La maintenance est une tâche plus complexe que le développement. » Pour Ludovic Cinquin, « on a tendance à utiliser les meilleures compétences pour le développement et pas pour la maintenance, alors que l’on devrait faire l’inverse. »

Idée reçue n° 5 : « En misant sur la réutilisation, nous allons réduire nos coûts de développement »

D’après Robert Glaas, un composant réutilisable est trois fois plus complexe à construire qu’un composant à usage unique. « C’est davantage un problème de design qu’un problème technologique », estime Ludovic Cinquin. D’autant qu’il y a toujours des spécificités, par exemple pour les environnements multi-pays ou multi-systèmes.

« La facilité apparente de la réutilisation de composants devient vite un cauchemar, cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas réutiliser des éléments, mais qu’il faut absolument tester et re-tester les composants réutilisables dans au moins trois contextes différents », suggère Ludovic Cinquin.

Idée reçue n° 6 : « Les primes sur objectifs permettent de motiver les gens »

« Les bonus ne sont efficaces que dans des contextes particuliers, par exemple lorsque la tâche est connue et pour un individu seul », note Ludovic Cinquin. Sinon, on risque « l’effet cobra », qui fait référence à la politique indienne visant à diminuer la population des cobras, en versant une prime à ceux qui les éradiqueraient… et qui a eu l’effet contraire, beaucoup en ont élevé pour percevoir la prime, d’où une rapide augmentation de la population des serpents qui devait diminuer ! « Il faut être très vigilant avec cette pratique, surtout dans les métiers qui nécessitent beaucoup de collaboration entre les individus », souligne Ludovic Cinquin.

Idée reçue n° 7 : « La localisation des équipes n’est pas importante »

En réalité, la localisation est fondamentale. Selon la courbe de la gravitation universelle de Thomas Allen, être à plus de trente mètres a les mêmes effets que d’être à plusieurs kilomètres. « Si les membres d’une équipe projet ne sont pas sur le même plateau, il n’y a quasiment aucune chance qu’ils communiquent de manière efficace », conclut Ludovic Cinquin. Selon les travaux de E. Bradner et de G. Mark, de l’université de Californie, la perception de la distance a un impact négatif sur la collaboration. « Le meilleur moyen de rater un projet consiste à constituer une équipe dispersée géographiquement et dont tous les membres sont occupés à 100 % et affectés à plusieurs projets en parallèle », déduit Ludovic Cinquin.

Idée reçue n° 8 : « La taille du projet n’est pas importante »

Quelle que soit la qualité des développements, le coût d’un projet augmente avec sa taille. Selon le Standish Group, seulement 2 % des grands projets sont considérés comme des succès, contre 62 % des projets de faible envergure (5). « Il faut donc commencer petit pour réussir », conseille Ludovic Cinquin.

Idée reçue n° 9 : « L’informatique n’est pas cœur de métier pour notre entreprise »

Les recherches menées par le MIT, sur un échantillon de 400 entreprises mondiales entre 1998 et 2003, ont montré que les investissements dans les technologies de l’information sont plus efficaces que ceux dédiés à la recherche et développement ou à la publicité pour doper les profits des entreprises (6). « On voit d’ailleurs des entreprises qui l’ont bien compris et qui réinternalisent des compétences en développement pour en avoir la pleine maîtrise », observe Ludovic Cinquin, pour qui « les entreprises qui considèrent que la technologie n’est pas stratégique sont en train de rater le virage digital ! »


(1) « How (and why) to stop multitasking », par Peter Bregman, Harvard Business Review, avril 2010. Lien : https://hbr.org/2010/05/how-and-why-to-stop-multitaski.html
(2) « Executive control of cognitive processes in task switching », par J. Rubinstein, D. Meyer et J. Evans, Journal of Experimental Psychology, août 2001.
(3) Facts and fallacies of software engineering, par Robert Glass, Addison-Wesley, 2002, 224 pages.
(4) Why Distance Matters: Effects on Cooperation, Persuasion and Deception, Erin Bradner and Gloria, université de Californie, 2002. Lien : https://www.ics.uci.edu/~gmark/CSCW2002.pdf
(5) « Standish Group 2015 Chaos Report », Lien : www.infoq.com/articles/standish-chaos-2015
(6) « The impact of IT investments on profits », par S. Mathias, A. Tafti, I. Bardhan et J. Goh. Lien : https://sloanreview.mit.edu/article/the-impact-of-it-investments-on-profits/