ONCF : de l’intérêt d’élaborer un schéma directeur pluriannuel

L’ONCF (Office national des chemins de fer marocains) a été parmi les premières entreprises du Maroc à intégrer l’informatique comme outil de gestion. Si le système d’information est depuis toujours un élément clé au niveau opérationnel, il est également au cœur de la stratégie de l’entreprise depuis la fin des années 2000. Pour accompagner la décentralisation et les nombreux projets de développement de l’ONCF.

Quelles sont vos missions en tant que DSI de l’ONCF ?

Rokia Belkebir Le système d’information intervient de manière transversale dans l’organisation, mes clients sont les utilisateurs de l’entreprise. La DSI est directement rattachée à la direction générale. Ma première mission concerne le système d’information opérationnel.

C’est une responsabilité très lourde, rien ne doit s’arrêter. Il faut assurer la disponibilité et la continuité de service. Le taux d’utilisation du système d’information est de 90 %, sa criticité est extrêmement élevée pour l’entreprise. Mon deuxième rôle est de lancer les projets liés au système d’information, d’en suivre la réalisation et d’en assurer le succès.

Ma troisième et dernière mission est de créer de la valeur pour l’entreprise, de chercher des opportunités, de voir comment le système d’information peut améliorer la performance de l’entreprise et fournir des services innovants. Chacun de ces rôles nécessite des outils, une gouvernance et une gestion.

Pour assurer cette gouvernance, vous avez choisi de vous doter d’un cadre de schéma directeur. Pouvez-vous nous présenter le contexte de ce projet ?

Rokia Belkebir En 2003, l’ONCF a lancé un ambitieux projet d’entreprise, dénommé Rihane 50, comportant entre autres la construction de 400 kilomètres de voies et le renouvellement de 400 autres kilomètres. Pour la période 2005-2009, ce projet représentait un budget de 18 milliards de dirhams (environ 1,63 milliard d’euros).

Ce programme avait des conséquences très importantes sur le système d’information, qui devait se moderniser et être à même d’intégrer les applications liées aux nouveaux projets. Pour accompagner ce programme, l’ONCF a souhaité définir un schéma directeur pluriannuel pour la période 2005-2009.

Ce cadre a été défini sur trois niveaux : un schéma directeur du système d’information, un schéma directeur stratégique et un schéma directeur opérationnel.

Quels étaient les objectifs de ce schéma directeur ?

Rokia Belkebir Il s’agissait, en premier lieu, de créer de la valeur et d’améliorer la performance de l’ONCF, dans la continuité des axes définis par le projet d’entreprise. Le but est d’offrir le meilleur service à la clientèle.

Un autre objectif était de privilégier autant que possible des applications standard pour minimiser la part de développement spécifique et bénéficier plus aisément des évolutions technologiques.

Enfin, il fallait assurer une modernisation progressive et passer d’une culture d’informatique de production à une culture d’informatique de décision.

Le schéma directeur a été finalisé fin 2004. Comment vous êtes-vous organisés pour en assurer la mise en œuvre ?

Rokia Belkebir Sur la période 2005-2009, nous avons mis en place une organisation en processus. Avec trois niveaux de processus : le pilotage, les processus de support (finance, ressources humaines, service achats, service juridique, etc.) et enfin les processus opérationnels liés au transport de voyageurs et de marchandises (exploitation, gestion opérationnelle, gestion des infrastructures, gestion du matériel roulant, gestion du patrimoine, etc.).

Nous avons également mis en place des instances de gouvernance pour sélectionner les projets à mener et pour en assurer le suivi. Avant la mise en place de ces instances, les demandes arrivaient tous les jours, il était difficile de faire le tri entre celles qui étaient vraiment prioritaires et les autres.

Le schéma directeur a permis d’encadrer ce processus et de mettre en place des règles. Désormais, le plan d’action est arrêté en début d’année et la DSI dispose d’une feuille de route claire et stable.

Quelles étaient les instances de gouvernance mises en place ?

Rokia Belkebir Nous avons mis en place deux comités. Un comité stratégique SI (CSSI) est chargé de fixer les orientations et les priorités, d’évaluer les risques, d’engager les moyens humains et financiers nécessaires aux projets.

Il pilote également la réalisation du plan d’action, évalue les résultats et détermine le cas échéant des actions correctrices. Un comité directeur SI (CDSI) est chargé, quant à lui, d’appliquer les directives du CSSI et d’alimenter les tableaux de bord nécessaires pour le suivi des projets. Nous avons une direction générale qui comprend l’intérêt de l’informatique, ce qui était un atout pour la mise en place de cette gouvernance.

Le CSSI se réunit trois fois par an. Il est piloté par la direction générale et l’ensemble du comité de direction y participe. Le premier comité de l’année permet de choisir les projets à lancer et ceux à arrêter. Celui de la mi-année permet de faire le point sur l’avancement des projets.

Enfin, le dernier comité permet de faire le bilan de l’année. Pour sa part, le CDSI se réunit tous les deux mois. Pour chacun des processus de l’organisation, nous avons mis en place des binômes constitués d’un représentant à la DSI, le responsable domaine SI (RDSI) et d’un représentant côté métier, le PDU (pilote du domaine utilisateur).

Que vous a apporté ce nouveau mode de fonctionnement ?

Rokia Belkebir Auparavant, la synergie était insuffisante et les collaborateurs d’un métier ne savaient pas ce qui était mis en place chez les autres. Les tâches s’effectuaient de manière verticale et il arrivait que certaines directions nous expriment des demandes déjà satisfaites par ailleurs.

Depuis 2005, tous les comités se sont tenus. Ils permettent aux individus de se rencontrer et d’échanger. Désormais, tous les collaborateurs sont informés des projets menés dans l’entreprise. Ce ne sont plus « les projets de la DSI », ce sont « leurs projets ».

En outre, la DSI a été réorganisée pour refléter les métiers et les processus de l’entreprise. Elle est divisée en deux départements : d’un côté, l’infrastructure, regroupant les métiers classiques de la DSI et, de l’autre, le développement, aligné sur les métiers.

Nous avons également un service stratégie SI, qui est chargé de définir les méthodes et la politique qualité et qui gère le projet de schéma directeur. C’est un service transverse à toute la DSI.

Comment se passe la gestion des projets à l’ONCF ?

Rokia Belkebir Nos projets sont menés selon la méthode classique en V. Nous avons mis en place des documents types : chaque étape a des livrables associés, ce qui permet de documenter les projets. Le suivi est réalisé avec l’outil MS Project.

Pour accompagner la mise en place de la démarche projet, nous avons mis en place des formations pour les collaborateurs de la DSI et les utilisateurs. Ces formations ont d’ailleurs été appréciées et les différents acteurs de l’entreprise ont vu que la direction des systèmes d’information travaillait avec eux. Nous gérons entre 40 et 50 projets par an.

Nous les classons en fonction d’un certain nombre de critères : budget, charge, criticité, degré d’urgence, complexité, etc.

Quel bilan tirez-vous de ces années 2005-2009 ?

Rokia Belkebir Nous avons réussi à relever plusieurs challenges grâce à cette nouvelle façon de fonctionner. Au cours de cette période, nous avons construit un véritable réseau d’entreprise, brique par brique. L’ONCF a mis en place la fibre optique le long des voies ferrées, en partenariat avec un opérateur de télécommunications.

Aujourd’hui, nous exploitons ce réseau pour nos propres besoins de gestion et nous le valorisons en revendant la bande passante dont nous n’avons pas besoin. En 2008, nous avons également instauré une démarche qualité. Nous venons d’obtenir la certification ISO 9001 et nous voulons garder ce niveau de qualité.

Pour cela, nous souhaitons mettre en place un management basé sur le pilotage des processus et l’amélioration continue, tout en valorisant les progrès réalisés.

Quelles sont vos prochains chantiers ?

Rokia Belkebir Nous travaillons désormais sur la période 2010-2015, au cours de laquelle sont prévus différents projets phares, comme la mise en place du train à grande vitesse entre Tanger et Kénitra ou la rénovation de plusieurs gares importantes.

En outre, l’organisation de l’entreprise a changé en 2009, avec l’émergence de nouveaux métiers, comme la gestion des plates-formes logistiques.

Le prochain schéma directeur devra tenir compte de ces changements. Ce schéma directeur sera organisé en quatre axes : les services aux clients (voyageurs, fret et logistique), l’optimisation du trafic ferroviaire, la gestion et le pilotage et, enfin, la stratégie et l’évolution du système d’information.

Pour accompagner le déploiement de ce nouveau schéma directeur, nous allons créer des entités d’assistance à maîtrise d’ouvrage (AMOA) au niveau des différents métiers. Il est souvent difficile pour les métiers d’exprimer leurs besoins dans un cahier des prescriptions spéciales.

L’AMOA permettra d’assurer la jonction entre les métiers et la DSI. Disposer dans chaque métier de personnes qui connaissent la méthodologie projet, qui savent mener des recettes, cela facilite les échanges et permet de travailler en synergie.

Au niveau de la DSI, nous souhaitons également mettre en place un vrai bureau de projets (Project Management Office). Nous projetons enfin de revoir l’organisation de la DSI en nous appuyant sur le référentiel Cobit 4.

Quelle démarche avez-vous prévue pour bâtir le nouveau schéma directeur ?

Rokia Belkebir Pour le nouveau projet, nous nous faisons accompagner par un cabinet de conseil. Ce projet est décomposé en quatre phases : une première phase d’analyse et de bilan, pour laquelle nous avons fait le bilan complet de 2005-2009 : charges, projets, budgets consommés, etc.

Nous avons également mené une enquête de satisfaction auprès des utilisateurs, à la fois sur leur utilisation du système d’information et sur les projets réalisés, par exemple la mise en place d’Oracle RH. Pour la deuxième phase, nous avons défini la nouvelle vision.

La troisième phase consiste à décliner cette vision à travers le portefeuille opérationnel, qui établit le plan d’urbanisation et les différents chantiers fonctionnels, techniques et transverses (méthodologies et gouvernance). La dernière phase sera l’assistance à la mise en œuvre.

Quelles compétences attendez-vous de vos collaborateurs et partenaires pour accompagner ces changements ?

Rokia Belkebir Pour les collaborateurs de la DSI, je privilégie les compétences d’encadrement et les profils avec une double casquette métier-informatique. Il est très important de pouvoir parler un langage commun avec les métiers, car cela permet de mener des projets réellement utiles, qui vont servir.

Pour faire face à tous nos challenges, nous n’avons pas toujours les ressources suffisantes en interne. La seule solution pour s’en sortir est alors de faire appel à l’extérieur : les prestations pouvant être achetées sont externalisées, comme le développement ou le help-desk.

En 2009, nous avons également signé un contrat de maintenance avec un prestataire qui intervient sur les centres régionaux pour la maintenance corrective et applicative. C’est l’un des premiers contrats de ce type au Maroc, où le marché n’est pas encore mature.

Quelles sont les bonnes pratiques que vous retenez de votre expérience ?

Rokia Belkebir Le plus important à mon sens, c’est de travailler dans le cadre d’un schéma directeur et d’un plan d’action.

Cela permet de bien dimensionner les ressources et les budgets. Lorsque la vision est bien définie, avec un plan d’action fixé en début d’année, il est possible ensuite de travailler sereinement et efficacement. Un système de suivi régulier est également primordial.

Même quand on sous-traite, il faut mettre en place des personnes qualifiées pour assurer le suivi avec le prestataire. Nous avons mis en place des comités de suivi de projet tous les quinze jours, et tous les comités de direction des grands projets sont planifiés à l’avance.


Les best practices de l’ONCF

  • Créer un cadre à trois niveaux pour le schéma directeur : un schéma directeur du système d’information, un schéma directeur stratégique et un schéma directeur opérationnel.
  • Mettre en place une organisation en processus, avec plusieurs niveaux : le pilotage, les processus de support et les processus opérationnels.
  • Mettre en place des instances de gouvernance pour sélectionner les projets à mener et pour en assurer le suivi.
  • Créer deux comités : un comité stratégique SI (CSSI) et un comité directeur SI (CDSI).
  • Réorganiser la DSI pour refléter les métiers et les processus de l’entreprise, en séparant infrastructure, développement et stratégie SI.
  • Élaborer des documents types : chaque étape a des livrables associés, ce qui permet de documenter les projets.
  • Organiser des formations pour les collaborateurs de la DSI et les utilisateurs.
  • Classer les projets en fonction d’un certain nombre de critères : budget, charge, criticité, degré d’urgence, complexité, etc.
  • Mettre en œuvre une démarche qualité.
  • Privilégier un management basé sur le pilotage des processus et l’amélioration continue, en valorisant les progrès réalisés.
  • Organiser le schéma directeur en quatre axes : les services aux clients, l’optimisation du trafic ferroviaire, la gestion et le pilotage et la stratégie et l’évolution du système d’information.
  • Créer des entités d’assistance à maîtrise d’ouvrage (AMOA) au niveau des différents métiers.
  • Disposer dans chaque métier de personnes qui connaissent la méthodologie projet et qui savent mener des recettes.
  • Mettre en place un vrai bureau de projets (Project Management Office).
  • Mener une enquête de satisfaction auprès des utilisateurs, à la fois sur leur utilisation du système d’information et sur les projets réalisés
  • Décliner la vision à travers le portefeuille opérationnel, qui établit le plan d’urbanisation et les différents chantiers fonctionnels, techniques et transverses.
  • Privilégier les compétences d’encadrement et les profils avec une double casquette métier-informatique.
  • Externaliser ce qui peut l’être (développement, help-desk, maintenance applicative…).
  • Mettre en place un système de suivi régulier avec des comités de suivi projet tous les quinze jours, et une planification de tous les comités de direction des grands projets.