L’ubérisation, terme popularisé par Maurice Lévy, président de Publicis Groupe, est rapidement devenu anxiogène pour les dirigeants d’entreprise. Synonyme de rupture de business modèles, de concurrence agressive de la part de « barbares » et de captation indue de valeur, l’ubérisation est-elle « un tsunami qui va dévaster sur son passage la totalité des structures sociales, des modèles économiques, des cultures et des rapports de force prédominants ? », s’interrogent les auteurs de cet ouvrage.
Pour ces derniers, l’ubérisation trouve ses racines dans trois tendances majeures : la révolution numérique, « vecteur puissant et incontournable », la révolution de la consommation, avec l’engouement pour les pratiques collaboratives basées sur un système de confiance, et la révolution des modes de travail, avec la montée en puissance des professionnels indépendants.
Ubérisation, un ennemi qui vous veut du bien ? Par Denis Jacquet et Grégoire Leclercq, Dunod, 2016, 249 pages.
Transformer l’ubérisation en opportunités
L’ubérisation reste un phénomène teinté d’ambiguïté : « Toute créatrice de valeur qu’elle soit, elle est aussi destructrice d’emplois », résument les auteurs, qui privilégient les opportunités sur les menaces. Notamment parce que les entreprises, confrontées à l’ubérisation, ont les moyens de réagir : « Il faut adopter les mêmes métriques que les disrupteurs : se focaliser sur la relation client, capitaliser sur la qualité, mutualiser les ressources entre acteurs, faire participer le client final à l’élaboration du produit ou du service. »
Mais le chemin s’avère difficile. D’autant que les entreprises sont tentées d’opposer trois arguments à l’ubérisation : la proximité, la protection réglementaire et l’offre non délocalisable. Le premier suppose qu’une relation de voisinage entre une entreprise et ses consommateurs offre une garantie, mais, en réalité, « le consommateur est prêt à rapidement évoluer vers d’autres offres si celles-ci s’avèrent plus pratiques et avantageuses », assurent les auteurs.
Le second argument est, lui aussi, fragile : « Rares sont les consommateurs qui pensent d’abord à préserver les intérêts supposés des acteurs d’un secteur, dès qu’ils se sont habitués à un service facile à manipuler, il devient illusoire de les faire revenir à une solution moins confortable. » Conséquence : les réglementations protectrices sont condamnées à s’effriter. Quant au troisième argument, celui de l’impossibilité de délocaliser, c’est aussi une illusion, rappellent les auteurs : « Le secteur de l’hôtellerie, par essence non-délocalisable, le prouve ! »
Des dirigeants partagés entre le déni, la peur et l’audace
Face à cette situation et aux menaces potentielles que fait planer l’ubérisation, « le chef d’entreprise traditionnelle doit réagir, et vite ! » assènent les auteurs. Ils distinguent trois catégories de dirigeants. La première regroupe les « fiers-à-bras ». « Ils sont délibérément entrés dans un état d’esprit de « même pas peur ». Ce positionnement réellement dangereux cache deux réalités : une vraie peur du phénomène et un manque d’anticipation des risques. C’est l’autruche qui gonfle ses muscles mais se voit déjà courir pour fuir son prédateur. Ce type de comportement enclenche souvent une mort à petit feu. »
Seconde catégorie de dirigeants : les immobilistes, qui envisagent le numérique « comme une menace et en restent totalement pétrifiés, les innovations digitales leur paraissent inabordables, complexes, coûteuses et finalement inaccessibles. »
La troisième catégorie rassemble les réalistes, les plus pragmatiques. Ils réagissent en trois temps : constater que le consommateur se détourne des offres car d’autres acteurs sont plus attractifs, lancer un nouveau service et abandonner progressivement d’anciennes offres, « disruptées ».
Pour les auteurs, « l’ubérisation, inexorable dans bien des secteurs, n’est pas si terrible, car on peut la comprendre et la décrypter. On en connaît presque tous les leviers et tous les alibis et elle plaît aux consommateurs. » Hélas, déplorent les auteurs, « les patrons sont désarmés, pris en étau, depuis longtemps entre les impératifs de marché, les actionnaires, leur conseil d’administration et leurs cadres dirigeants. »
Entre la peur et la confiance, il va falloir choisir et gérer le poids du passé. Si les auteurs de cet ouvrage plaident pour une vision optimiste, ils le sont moins quant à l’attitude des dirigeants d’entreprise : « Ceux qui ont pris les devants sont rares, et un grand nombre ont tort de sous-estimer la menace. »
Entre les pour (par choix, par nécessité ou par stratégie), les contre (par frilosité ou par principe) et les inquiets « qui se posent des questions et réfléchissent à des limites à ne pas franchir », il va falloir choisir son camp pour saisir ou ignorer ce que les auteurs considèrent comme « l’opportunité du siècle ! »
À retenir :
- L’ubérisation n’est pas une menace, c’est une source d’opportunités.
- Les arguments classiques contre l’ubérisation (la proximité, la réglementation, le non-délocalisable) ne tiendront pas longtemps.
- L’ubérisation est l’occasion, pour les entreprises, de repenser leur relation client et la valeur de leurs offres pour les consommateurs.