En matière de technologie, il faut en général y revenir à deux fois pour que les révolutions annoncées prennent corps et se déploient. Sans doute parce que leur angle de vue est moins centré sur la technique que sur les usages, les acteurs de la deuxième génération tirent en général les fruits des premiers innovateurs. Déjà annoncées il y a 20 ans, les places de marché devaient révolutionner la relation entre donneurs d’ordre et fournisseurs.
On nous promettait un changement des relations commerciales B2B en profondeur grâce à Internet, automatisant tous les stades du processus d’achat. Force est de constater que la montagne a accouché d’une souris et qu’au mieux a-t-on assisté à une amélioration marginale de l’efficacité souvent au prix d’une complexité accrue pour les utilisateurs. Les fournisseurs de logiciels traditionnels ont ensuite prospéré sur ce champ de ruines, en revenant à des leviers d’efficacité plus traditionnels, souvent limités à l’automatisation de process existants.
Ainsi, au fil des vingt ans qui viennent de s’écouler, toutes les grandes organisations ont persévéré dans leurs projets de transformation digitale de la dépense indirecte : moteurs de recherche, e-procurement, automatisation des relations avec les fournisseurs … Les initiatives ont été foisonnantes et certaines ont permis de gagner en productivité, mais aucun modèle n’a semblé suffisamment convainquant pour s’imposer.
Un grand nombre de raisons peuvent expliquer ce demi-succès, dont, sans doute, une immaturité des technologies associée à une impréparation des directions des achats. Pour autant, il nous semble que c’est la complexité des premiers dispositifs et l’absence d’une vision d’ensemble des enjeux liés aux achats indirects qui doivent être pointés comme facteurs principaux.
L’introduction d’une place de marché doit en effet s’accompagner d’une évaluation d’ensemble des processus et des coûts associés, qu’ils soient directs ou indirects. Ainsi, en matière de dépenses indirectes, le prix de vente est souvent l’arbre qui cache la forêt : le vrai sujet réside dans le coût administratif. Ce constat n’est pas nouveau, mais il se limite bien souvent à une analyse au sein des directions des achats.
A l’inverse, approcher ce sujet dans la globalité de l’entreprise change la perspective et permet qu’à la gestion des fournisseurs et des processus associés s’ajoutent les coûts liés aux délais de paiement, au devoir de vigilance et à toutes les contraintes qui s’imposent à un grand compte. Le bon système d’achat devient celui qui, tout en permettant de garantir les prix du marché, offre à la fois simplicité, transparence et bonne gestion des risques.
La simplicité et la transparence sont les caractéristiques des places de marché depuis des millénaires. La place du village où se réunissent les producteurs présente les conditions d’une autorégulation des prix tout en simplifiant la vie des acheteurs. Il doit en être de même pour les dépenses indirectes des entreprises : une expérience utilisateurs simple et rapide sur des outils réunissant toute l’offre disponible. Les technologies les plus récentes permettent de répondre à cette promesse et l’on voit apparaître les conditions d’un marché autoregulé, ouvrant la voie à une remise en cause des approches traditionnelles de contrôle de la dépense, dans lesquelles les conditions d’achat doivent être définies a priori. Sur ces nouvelles plateformes, le vendeur peut mettre en ligne librement et simplement ses conditions, mais doit s’adapter en permanence s’il veut rester « dans le marché » et continuer de recevoir des commandes.
Cet article a été écrit par Bertrand Mabille, associé du groupe EPSA, et Martial Gérardin, directeur général Europe de Proactis.