Quand les directions générales parlent trop au lieu d’écouter

Et si, au lieu d’exprimer en permanence des opinions et des stratégies, les directions générales se mettaient à mieux écouter leurs collaborateurs et détecter les signaux faibles dans leur environnement ? Pour Hal Gregersen, directeur du MIT Leadership Center, c’est un puissant levier pour améliorer la performance d’une organisation.

Le statut de dirigeant se caractérise par une difficulté majeure : « Soit vos collaborateurs vous disent ce qu’ils pensent que vous avez envie d’entendre, soit ils ne vous disent pas ce qu’ils pensent que vous n’avez pas envie d’entendre », explique Hal Gregersen, dans un article publié dans la Harvard Business Review. Cette situation, qualifiée de « bulle du CEO », s’avère très préjudiciable dans un contexte de transformation numérique et d’innovation, lorsque le rôle du dirigeant est d’anticiper les changements susceptibles d’altérer, voire d’annihiler, un business modèle.

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« Bursting the CEO bubble, why executives should talk less and ask more questions », par Hal Gregersen, Harvard Business Review, mars-avril 2017.

Car il est difficile de capter les signaux externes, notamment les « Unknow Unknows », qui caractérisent des phénomènes qui ne peuvent être anticipés, ni même imaginés. C’est le principe de la disruption, lorsqu’une entreprise devient aveugle et réagit trop tard face à de nouveaux concurrents. D’où l’impératif, pour les dirigeants, de sortir de leur bulle, d’échanger, et, surtout, de questionner.

Hal Gregersen rappelle que ce qui fait la différence entre les dirigeants performants et les autres ce n’est pas le fait de prendre les mauvaises décisions (c’est toujours plus ou moins un ratio 60-40), mais la vitesse de reconnaissance d’une mauvaise décision et de sa correction. « L’un des meilleurs moyens d’absorber de nouvelles idées et de détecter les signaux faibles consiste à se taire, ce qui n’est pas dans les habitudes des dirigeants, habitués à communiquer en permanence sur leur stratégie et leur vision », suggère Hal Gregersen.

Les multiples changements et perturbations associés à la transformation numérique remettent au goût du jour l’analyse des signaux faibles. Ce principe n’est pas nouveau, mais il est devenu, aujourd’hui, un élément essentiel de la panoplie d’outils et de méthodologies de la stratégie digitale. Le concept des « Unknow Unknows » est, lui aussi, parfaitement adapté aux environnements numériques.

Dans un article publié en 2007 dans la MIT Sloan Management Review, les auteurs expliquaient déjà que c’est le dilemme de tout innovateur d’accepter de « ne pas savoir ce qu’il ne sait pas ». C’est aussi ce qui illustre la théorie du Cygne Noir qui décrit les événements aléatoires, hautement improbables, aux conséquences énormes, qu’il s’agisse des attaques de type 11 septembre… ou de nouveaux business modèles, qui peuvent s’avérer mortels pour une entreprise qui aurait pensé qu’il était impossible de voir survenir de nouveaux entrants. Les dirigeants doivent donc sortir de leur zone de confort et en faire une habitude. « Le processus de découverte vous emmène au-delà de la zone dans laquelle vous vous sentez compétent et dont vous avez le contrôle », précisent l’auteur.

Les opportunités numériques leur en donnent l’occasion : jamais l’on n’a connu un tel foisonnement d’idées, de talents, de concepts innovants. Le problème est double : ils sont disséminés dans le monde entier et ils n’arrivent pas naturellement dans le cerveau des dirigeants : il faut aller les chercher, se les approprier, par le questionnement et la curiosité. Cela va au-delà d’une simple veille, qui reste utile, mais encore souvent trop lourde et formelle. C’est le principe même de l’innovation. Pour Hal Gregersen, « elle intègre implicitement le fait que l’on s’est trompé quelque part auparavant. La question essentielle, pour les managers, reste de savoir comment intégrer le fait de se tromper… »


Quelques questions à se poser

  • Combien de barrières doivent franchir les collaborateurs avant de pourvoir parler à la direction générale ?
  • Combien de temps par semaine les directions générales passent-elles hors des locaux de leur entreprise ?
  • Depuis combien de temps un DG ne s’est pas trompé dans une prise de décision ?
  • A quelle fréquence les collaborateurs posent-ils des questions dérangeantes ?
  • Combien de fois un manager a répondu « Je ne sais pas » à une question posée par un collaborateur ?